Les galets coloriés du Mas-d’Azil : Les nombres

Ferdinand Faideau, La Science Illustrée N°488 - 3 Avril 1897
Dimanche 18 septembre 2011 — Dernier ajout mardi 30 janvier 2018

Dans une précédente série d’articles [1] nous avons fait connaître à nos lecteurs les belles découvertes de M. Ed. Piette dans la grotte pyrénéenne du Mas-d’Azil. Leur importance géologique et ethnographique est considérable, on ne l’a pas oublié sans doute, puisqu’elles ont mis en évidence l’existence, entre l’époque de la pierre taillée et celle de la pierre polie, d’une période de transition qui avait été niée obstinément par certains géologues.

Dans ce travail, auquel nous prions le lecteur de se reporter, nous avons décrit surtout les débris de plantes cultivées trouvés dans la grotte ; nous nous proposons aujourd’hui d’étudier les curieux galets coloriés qu’elle contenait et qui constituent les peintures les plus anciennes que l’on connaisse. Nous nous servirons pour notre exposé d’un article publié, dans la revue l’Anthropologie, par M. Piette, et d’une longue lettre qu’il nous a fait l’honneur de nous écrire à l’intention des lecteurs de la Science illustrée et qui contient des renseignements inédits d’un grand intérêt.

Précisons d’abord la position de ces galets. Une tranchée faite dans la grotte du Mas-d’Azil, sur la rive gauche de l’Arise, a montré, à la base, la présence de couches nombreuses contenant des ossements de rennes, de cerfs élaphes, d’aurochs, de renards, etc., des gravures nombreuses sur ramures de renne ; ce sont les dernières couches de la période paléolithique ; elles appartiennent à la fin de l’âge du renne.

Au-dessus est l’assise à galets coloriés, qui atteint 65 centimètres d’épaisseur. Elle contient, outre les peintures sur pierre dont nous allons parler, les noyaux de fruits déjà étudiés, des silex de forme magdalénienne, de petits grattoirs arrondis, des squelettes d’animaux ; on n’y trouve pas d’ossements de rennes. C’est cette couche qui représente la période de transition, que M. Piette nomme période asylienne. Le climat était alors humide et froid ; c’était l’époque des tourbières. Il ne s’est adouci que progressivement et il fini par être assez tempéré pour favoriser la reconstitution des forêts et même la culture des arbres fruitiers.

Vient ensuite l’assise à escargots, d’environ 60 centimètres d’épaisseur. Elle est formée de cendres rubanées de blanc, de rouge et de gris, contenant des lits lenticulaires d’Helix nemoralis, vestiges des repas des habitants de la grotte qui faisaient entrer les mollusques dans leur alimentation. Les cendres sont les résidus des feux de bois, tandis qu’à l’époque précédente les feux, allumés avec du bois, étaient entretenus avec des résidus de chair, sans doute à cause de la rareté du combustible. Tous les ossements qu’elle contient appartiennent à la faune actuelle ; on y trouve de nombreux noyaux de fruits, des instruments en pierre polie, mais pas de haches ; celles-ci n’apparaissent qu’au-dessus, dans l’assise pélécique. Cette période coquillière, remarquable par la richesse de sa végétation, est la première de la période néolithique.

Maintenant que la position de l’assise à galets coloriés est nettement fixée dans la série des dépôts quaternaires, nous allons aborder l’étude des peintures tracées par les troglodytes de l’époque asylienne.

Ces galets, généralement oblongs et aplatis, ont .été ramassés dans le lit de l’Arise. La couleur employée est le peroxyde de fer que l’on trouve associé au manganèse dans les gisements situés en amont de la caverne. Les troglodytes se servaient, pour l’appliquer, du pinceau, de bâtonnets ou même du doigt ; le plus souvent, ils coloriaient le bord du galet, formant ainsi une sorte de cadre aux dessins qu’ils faisaient ensuite.

Ces peintures, grossières et sans art, ne sont pas, contrairement aux gravures bien connues de l’époque du renne, des imitations de la nature, mais les caractères d’une sorte d’écriture. dont le sens est mystérieux pour nous.

Certains de ces signes peuvent être considérés comme des nombres ; ils sont de trois sortes et consistent en des séries de bandes parallèles, de cercles ou disques alignés et de disques ovalaires tangents.

Eu examinant les galets à bandes parallèles, M. Piette a acquis la conviction, bien naturelle d’ailleurs, que chaque bande rouge est une unité. Ainsi les figures 1, 2,3 représentent les nombres 1, 2 et 3 ; la figure 4, le nombre 8. Aujourd’hui encore, les ménagères qui ne savent pas bien compter tracent au charbon, sur la porte, des traits parallèles ; de même, les boulangers font des encoches sur leurs tailles. Les Égyptiens représentaient aussi les unités par des traits et leur manière d’écrire les nombres ne différait guère de celle des Asyliens.

D’autres galets portent des disques rouges alignés La première pensée qui vient à l’esprit est que chaque disque représente le nombre servant de base au système de numération. Si le système était décimal, ce qui n’a rien d’impossible, la figure 5 signifie Une dizaine ; les fig. 6 et 7, deux et trois dizaines. Les Égyptiens représentaient le nombre 10 par un demi-cercle, mais à partir du nombre 40 et, sans doute, pour ménager l’espace, ils plaçaient ces signes sur deux rangées, ce qui est évidemment un perfectionnement du système asylien. Dans la collection de M. Piette, le nombre des cercles alignés en une seule rangée, sur un même galet, ne dépasse pas huit.

Les disques ovalaires tangents aux bords paraissent être aussi des nombres d’égale valeur ; peut-être représentent-ils le carré du nombre servant de base au système de numération ; c’est-à-dire 144 dans le système duodécimal, 100 dans le système décimal, etc. Dans cette dernière hypothèse, les fig. 8,9, et 10 figureraient respectivement 1, 2 et 7 centaines. Il ne serait pas non plus absurde de prétendre que les caractères représentant des unités variaient suivant les objets auxquels ils s’appliquaient et que l’on en employait de différents pour compter des objets d’alimentation, par exemple, et le nombre des pas mesurant la longueur d’un espace parcouru. A l’appui de ces hypothèses, on pourrait invoquer ce fait que lorsqu’un galet est colorié de deux côtés, c’est presque toujours le même nombre qui est peint sur les deux faces, soit par des bandes sur rune, soit par des disques libres ou tangents sur l’autre face, en sorte que tous ces signes semblent avoir la même valeur numérique.

Les galets à signes numériques sont très nombreux au Mas-d’Azil ; ce sont très probablement des registres ou des aide-mémoire, analogues aux marques de chasse, gravées au silex, en usage à l’époque du renne.

F. Faideau

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