Le chocolat, dont l’usage est aujourd’hui si général, ne fut connu à Paris que vers la fin du XVIIe siècle.
Les Espagnols furent les premiers fabricants de chocolat. Ils empruntèrent aux Mexicains le procédé de préparation de ce produit, l’importèrent en Europe vers 1520, et réussirent pendant longtemps à tenir cette fabrication secrète.
Le cacao, matière première du chocolat, est une espèce de fève oblongue qu’on trouve dans l’intérieur du fruit du cacaotier. Cet arbre, qui ne prospère que dans les climats très chauds, porte des fruits semblables à des concombres, remplis d’une chair rougeâtre comme celle des pastèques, et contenant une trentaine de fèves d’un rouge très foncé, douées d’une saveur aromatique un peu amère.
Le cacaotier, qui atteint la grosseur de l’oranger, donne deux récoltes par an, et peut produire ainsi jusqu’à 7 ou 8 kilogrammes de cacao supposé sec. Quand les fruits sont mûrs, on les cueille, et on en retire les fèves, qu’on soumet à une espèce de fermentation dans des fosses, en ayant soin de les couvrir avec des planches chargées de pierres.
Pendant cette opération, les fèves de cacao se gonflent, prennent une couleur plus foncée et perdent une partie de leur amertume. Elles sont ensuite séchées au soleil, et expédiées en Europe dans des sacs de grosse toile ou de cuir.
On distingue dans le commerce différentes qualités de cacaos. Le plus estimé vient du Caracas (Amérique méridionale) ; on le désigne sous le nom de cacao caraque. Les fèves de cacao doivent être volumineuses, d’une saveur agréable, très peu amères. Elles doivent paraître onctueuses au toucher ; la poussière qui les recouvre doit être d’un blanc pur, sans aucune tache de moisissure.
Les cosses forment à peu près 15 % du poids des fèves de cacao. Quand on les fait bouillir avec de l’eau pendant longtemps, on obtient une espèce d’infusion brune, usitée dans certains pays par les classes pauvres, en Irlande par exemple, pour remplacer le chocolat.
Dans les chocolats très communs on introduit aussi des cosses de cacao broyées.
Le cacao renferme plus de la moitié de son poids d’un corps gras particulier, le beurre de cacao, qui possède la blancheur et la consistance du suif. Ce corps présente sur la plupart des autres matières grasses l’avantage de ne pas rancir aisément au contact de l’air.
Le beurre de cacao est employé en pharmacie. On l’extrait des fèves de cacao en les chauffant, et les soumettant en même temps à une pression énergique.
Le cacao destiné à la fabrication du chocolat est d’abord trié à la main, épluché et vanné, puis torréfié, à une chaleur modérée, dans un grand cylindre de tôle disposé comme ceux qui servent à torréfier le café. Cette opération a pour but de diminuer l’amertume du cacao, tout en développant son arôme.
Les cosses torréfiées sont devenues très friables, et faciles à détacher par l’action d’un rouleau de bois qu’on promène légèrement sur le cacao sortant des cylindres et déjà à moitié refroidi. Dans les grandes usines, cette opération s’exécute au moyen d’un moulin concasseur.
Par un second vannage, on débarrasse le cacao des fragments de cosses. On le porte alors aux machines à broyer et à mélanger, dont la forme varie beaucoup, suivant les usines, et que chacun peut voir fonctionner à travers les vitres des fabricants de chocolat.
Une mélangeuse se compose ordinairement de plusieurs meules coniques de granit ou de porphyre. Chacune d’elles tourne autour d’un axe horizontal, en même temps que cet axe tourne lui-même autour d’un axe vertical,mis en mouvement par une machine à vapeur ou tout autre moteur.
Les meules roulent sur une plate-forme horizontale, qui reçoit aussi, dans les machines les plus parfaites, un mouvement de rotation autour d’un axe vertical. Cette plate-forme doit être maintenue constamment à une température de 60 degrés environ, de manière que e cacao se maintienne à l’état pâteux.
Pour le chocolat de bonne qualité, on mélange le cacao avec son poids de sucre raffiné. On y ajoute aussi une quantité variable de cannelle ou de vanille ; le broyage de cette dernière substance est fort difficile. La vanille, employée seule, serait presque impossible à pulvériser ; mais quand elle est mêlée avec le sucre et le cacao, elle finit par se diviser et se répandre uniformément dans toute la masse.
La pâte sortant de la mélangeuse ne serait pas suffisamment compacte et homogène ; on la fait passer entre des cylindres de fonte ou de granit, nommés cylindres broyeurs, qui la soumettent à une pression fort énergique et lui donnent en même temps un grain parfaitement uniforme.
La pâte, qui a subi l’action de la machine appelée mélangeuse, et ensuite celle des cylindres broyeurs, n’est pas encore suffisamment travaillée ; le mélange des matières ne serait pas assez intime, et le grain de la pâte ne serait pas assez fin.
Avant de mouler le chocolat, on le fait donc passer dans une dernière machine, appelée la remêleuse. La pâte est entassée dans une grande trémie et passe ensuite entre deux cylindres broyeurs. Elle est alors chassée dans un conduit latéral, d’où elle sort sous la forme d’une espèce de boudin continu.
Un ouvrier détache à l’extrémité de ce boudin un morceau de pâte d’une grosseur suffisante pour faire une tablette de 250 grammes ; il la pèse sur une balance placée devant lui.
Un autre ouvrier prend les morceaux pesés, les place dans des moules de fer-blanc et les étale avec une spatule. Les moules remplis sont alors portés sur une table à secousses, que l’on nomme claquette ; les mouvements saccadés communiqués à cette table par une machine à vapeur ont pour effet d’étaler parfaitement la pâte et de la faire pénétrer dans les moindres cavités du moule.
Enfin les moules sont portés au refroidisseur ; c’est un local ordinairement séparé de l’atelier, une cave, par exemple, où la pâte moulée se solidifie par le refroidissement, en se contractant un peu, de sorte qu’on peut faire sortir les tablettes des moules sans difficulté.
Toute la partie du travail que nous venons de décrire peut être exécutée par des machines d’une manière tout à fait automatique. Chacun peut voir fonctionner une semblable machine, rue Saint-Honoré, au coin du passage Delorme, chez M. Devinck. Les moules, remplis et soumis à l’action de la claquette, sont descendus au refroidisseur à l’aide d’une chaîne sans fin ; des moules vides viennent constamment prendre la place qu’occupaient les moules pleins sur le contour d’une plate-forme tournante.
Les tablettes de chocolat sont enveloppées d’une mince feuille d’étain qui les préserve de l’humidité et de la piqûre des vers, qui est fort à craindre pour ce genre de produit.
Caractères d’un chocolat, de bonne qualité. — Falsification du chocolat.
Un chocolat bien préparé ne doit contenir que les trois matières suivantes :
- Cacao de bonne qualité, torréfié et mondé, comme nous l’avons dit plus haut ;
- Sucre blanc raffiné ;
- Vanille en quantité variable, qu’on remplace par de la cannelle dans les chocolats dits de santé.
Le chocolat doit présenter une couleur brune, tirant à peine sur le. rouge. Son odeur doit être celle de la vanille ; elle ne doit jamais rappeler celle des corps gras qui commencent à rancir. La saveur du chocolat de bonne qualité est toujours fraîche et agréable ; il fond complétement dans la bouche, sans laisser aucun résidu granuleux.
Ce qu’un grand nombre de personnes ignorent, c’est qu’un chocolat de bonne qualité ne doit jamais s’épaissir beaucoup par la cuisson. Quand on veut faire mousser le chocolat, on lui ajoute, pendant la cuisson, une petite quantité de sucre mis en pâte avec du blanc d’œuf façonné en petites boulettes, et mis en réserve pour cet usage. En agitant vivement le chocolat avec un moussoir, on le fait alors monter aisément. Mais cet artifice est inutile, et ne peut modifier en rien la saveur du chocolat.
Le chocolat, à l’eau ou au lait, doit être cuit pendant longtemps à un feu doux ; on recommande même de le préparer le soir et de l’abandonner toute la nuit sur des cendres chaudes.
Il est impossible qu’un chocolat à bas prix ne soit pas falsifié ou fabriqué avec des matières premières très inférieures, comme des cacaos avariés ou même des cosses de cacao, des cassonades des dernières qualités, etc. Le consommateur doit donc choisir entre deux partis opposés : renoncer entièrement au chocolat, ou bien y mettre le prix des chocolats de seconde qualité au moins.
La plus ordinaire, et heureusement la plus inoffensive des falsifications que subit ordinairement le chocolat, c’est l’addition de farine de blé, de riz ou de différents légumes et surtout de fécule de pommes de terre. Les chocolats ainsi falsifiés
ont une saveur pâteuse ; ils s’épaississent beaucoup par la cuisson avec l’eau, et répandent alors l’odeur de la colle de pâte dont ils ont d’ailleurs presque toutes les propriétés.On ajoute souvent au chocolat des matières gommeuses, telles que gomme adragante, gomme arabique, dextrine, etc.
Le beurre que devrait renfermer le cacao absent ou insuffisant est souvent représenté, dans les chocolats communs, par des jaunes d’œufs, du suif de veau ou de mouton, des huiles d’olives, d’amandes douces, etc. On y introduit aussi des amandes à l’état de farine.
La vanille a été souvent remplacée par le benjoin, le storax, les baumes de Pérou ou de Tolu. Les chocolats ainsi falsifiés répandent, en brûlant, une odeur aromatique toute spéciale.
Enfin, quelques fabricants n’ont pas craint de rehausser la couleur de leurs chocolats communs avec de l’ocre rouge, du minium, du cinabre ou de l’oxyde de mercure. Ces trois dernières substances sont très vénéneuses et pourraient donner lieu à de graves accidents.
Alfred Cerbonet