Faire de longues courses à travers les bois est un exercice toujours salutaire auquel, suivant la saison, viennent s’ajouter des plaisirs variés qui peuvent satisfaire les goûts les plus différents. Le simple promeneur aspire, à chaque pas, la douce senteur de la violette ou du muguet et résiste rarement à la tentation de faire un bouquet de ces fleurs charmantes ; l’enragé botaniste, tout entier à sa passion, marche avec rapidité, les yeux fixés sur le sol, cherchant partout la plante rare qui doit faire la gloire de son herbier ; le gourmand, peu sensible au charme des fleurs, s’arrête à chaque instant pour cueillir les baies aigrelettes des groseilliers, les fruits rouges du framboisier sauvage et les petites fraises des bois, à l’exquise saveur, qui rafraîchissent ses lèvres altérées.
Si vous le voulez, cher lecteur, nous irons, nous aussi, faire une promenade dans les bois en nous rangeant parmi les excursionnistes de la première catégorie ; mais pour donner un but à notre promenade, nous nous proposerons de rechercher parmi les arbres de la forêt, des branches pouvant servir à la confection de cannes.
Les éléments de cette fabrication ne manquent pas, mais encore est-il nécessaire de les choisir avec beaucoup de soin, tant sous le rapport de la résistance que sous celui de la forme ou de la grosseur.
Voici d’abord l’Épine noire ou Prunier épineux qui porte encore quelques prunelles ; ses nombreuses branches garnies d’aiguilles forment un buisson d’aspect peu rassurant pour l’épiderme. Une branche bien droite, grosse comme le doigt, séparée de tous ses rameaux, nous fournira, quand nous en aurons poli, puis verni la surface, une canne à la fois légère et résistante.
Les branches du Cerisier Mahaleb, commun dans nos bois où il épanouit en avril ses fleurs blanches qui sentent l’aubépine, donnent des bâtons légers susceptibles d’un beau poli et qui prennent de fort jolies teintes sous l’action des vernis.
Le houx, aux feuilles piquantes, aux branches chargées de fruits rouges, nous fournira des baguettes dures et légèrement flexibles, et à l’aide d’une branche de buis, un peu plus grosse que le pouce, nous pourrons faire une canne lourde, résistante, capable d’assommer un bœuf et néanmoins fort présentable, quand nous l’aurons polie et vernie.
Si nous tenons surtout à l’originalité, nous n’aurons pas besoin de chercher longtemps pour trouver les matériaux nécessaires à la réalisation de notre fantaisie.
Les jeunes tiges d’ormeau sont souvent quadrangulaires, grâce à une couche de liège inégalement épaisse. Cette écorce, striée d’une façon bizarre, présente parfois de jolies nuances métalliques qui permettent d’utiliser directement la branche, sans autre préparation qu’une légère friction au papier de verre à ses deux extrémités.
Certains rameaux noueux, irréguliers, renflés à leur origine ou sur leur trajet, pourront être transformés en une canne au sommet de laquelle nous obtiendrons, à l’aide du renflement entaillé d’une façon artistique, une tête d’animal ou un masque grotesque, souvent indiqué déjà par la nature qui se plaît à ces jeux.
Que direz-vous maintenant d’une jolie canne, à bois spiralé, comme celle que brandissaient les Incroyables, à la fin du siècle dernier ?
Regardez autour de vous. Voyez ce chèvrefeuille qui grimpe en s’enroulant jusqu’au sommet de cette jeune branche. Il y a déjà longtemps qu’il l’enserre ainsi comme l’indique le profond sillon dans lequel il disparaît presque. Remarquez qu’au-dessus de ce sillon est un énorme bourrelet qui n’a pas son correspondant en dessous ; il est dû à l’arrêt de la sève descendante déterminé par l’étreinte du chèvrefeuille. Cette ligature obstrue les vaisseaux que doit suivre le liquide nourricier ; celui-ci, ne pouvant circuler, forme de nouveaux tissus ; la tige se gonfle au-dessus du lien qui l’étouffe ; son écorce peut même déborder et finir par recouvrir l’étrangleur.
Coupez maintenant la branche à bonne longueur ; enlevez la guirlande de chèvrefeuille incrustée dans le bois et vous aurez en main une canne d’Incroyable ; il ne s’agira plus que de la dégrossir.
Ferdinand Faideau