L’acide carbonique de l’air

Dosages exécutés à bord du ballon « Le ZÉNITH » pendant la première ascension.
Samedi 21 février 2009 — Dernier ajout mardi 6 février 2024

Le gaz acide carbonique, entrevu pour la première fois, par Van-Helmont, au commencement du dix-septième siècle, étudié par Black en 1757, et plus tard par Lavoisier et Priestley, joue un rôle considérable à la surface du globe. Disons d’abord que sa présence dans l’atmosphère peut être manifestée très-facilement. Si, comme l’a fait le chimiste anglais Black, on expose à l’air de l’eau de chaux limpide et claire, on ne tarde pas à voir le liquide se couvrir d’une pellicule cristalline. C’est du carbonate de chaux qui a prise, par l’union de l’acide carbonique contenu dans l’air, avec la chaux dissoute dans l’eau.

Thénard, en 1812, imagina une méthode d’analyse propre à déterminer exactement le proportion de l’aride carbonique existant dans l’atmosphère. Il faisait entrer de l’air dans un grand ballon, où l’on avait préalablement fait le vide ; il y versait de l’eau de baryte qui absorbait l’acide carbonique en le précipitant à l’état de carbonate de baryte. Il était facile de déduire le poids de l’acide carbonique de celui du sel insoluble obtenu. Thénard a reconnu que 10,000 parties d’air en volume contiennent de 3,71 à 4,00 d’acide carbonique, ou, en d’autres termes, que 100 litres d’air renferment en moyenne 4 centimètres cubes de ce gaz.

Théodore de Saussure, entreprit des expériences analogues : il étudia à la surface du sol les variations de proportion de l’acide carbonique dans l’air, suivant les saisons, et ses dosages sont résumés par le tableau suivant :

10,000 parties d’air ont donné les quantités suivantes d’acide carbonique en volume :

Plus tard. M. Boussingault exécuta un remarquable travail sur le même sujet, et opéra de nombreux dosages d’acide carbonique atmosphérique à l’aide d’une méthode devenue classique. Un certain volume d’air, dépouillé de la vapeur d’eau par son passage à travers de le ponce sulfurique, circule dans des tubes en U, remplis de pierre ponce imbibée d’une solution de potasse caustique. L’augmentation des poids de ces tubes, donne le poids d’acide carbonique qu’ils ont retenu. — M. Boussingault a trouvé que le volume d’acide carbonique contenu dans. 10 000 partles d’air, était de 3,0 pendant le jour, et 4,2 pendant la nuit.

On sait que les proportions d’acide carbonique de l’air, sont soumises à des variations à le surface du sol ; suivant que l’on opère, par exemple, dans le voisinage des plantes à feuilles vertes, qui absorbent l’acide carbonique ; suivant que l’en exécute des dosages, pendant le jour, ou pendant la nuit, etc., on obtient des résultats différents. On sait encore que bien des causes tendent à élever cette proportion, tandis que d’autres tendent à le diminuer.

M. Péligot a calculé que les 550 millions de quinone métriques de bouille que l’on brûle tous les ans en Europe, doivent produire environ 80 milliards de mètres cubes d’acide carbonique. Tous les êtres vivants contiennent dans leurs tissus du charbon qui, à leur mort, bûle lentement et fournit de l’acide carbonique ; pendant, leur vie, ils produisent constamment encore de l’acide carbonique par leur respiration. — Les volcans, les sources thermales lancent constamment dans l’air des quantités énormes d’acide carbonique. Il est vrai que ces phénomènes, comme l’a démontré M. Dumas, passent presque inaperçus tant est considérable la masse de l’atmosphère.

D’ailleurs, plusieurs causes, exercent une adieu inverse des précédentes, et tendent à faire disparaître une partie de l’acide carbonique contenu dans l’air. L’eau des mers, des fleuves, renferment en grande abondance de l’acide carbonique, sans doute fournie par l’eau de pluie qui se dissout par sa duite au sein de l’atmosphère. Certaines roches naturelles s’emparent par leur décomposition de l’acide carbonique de l’air, et le fixent à l’état solide. Les végétaux enfin, sous l’influence de la lumière, absorbent l’acide carbonique, le décomposent, retiennent le carbone et exhalent l’oxygène. Les plantes purifient ainsi l’air vicié par les animaux.

Grâce à ces actions compensatrices, qui constituent une des plus belles harmonies de notre globe, la proportion de l’acide carbonique, dans l’air, reste à peu près constante à la surface du sol. Les analyses nombreuses exécutées à ce sujet le démontrera. d’ailleurs. Voici le moyenne des résultats obtenus. 10,000 parties d’air renferment à la surface du sol en volume :

En présence de nombreux résultats concordants, il sera permis de mettre en doute les chiffres fournis par les deux derniers chimistes allemands, MM. Henneberg et Schulze, qui paraissent beaucoup trop faibles. On peut admettre en toute certitude que 10,000 parties d’air, en volume, renferment environ à la surface du sol 4 parties d’acide carbonique.

Si l’atmosphère a été souvent analysée à la surface des continents ; si l’on connait la composition des parties basses de l’Océan aérien au fond duquel nous vivons, on ne sait presque rien de sa constitution dans ses régions élevées. -L’air est un mélange, par conséquent, il y a lieu de se demander, si la proportion des gaz qui le constituent ne varient pas avec les altitudes ; si les quantités d’humidité, d’acide carbonique, d’ammoniaque, d’acide nitrique qu’il renferme, ne vont pas en diminuant à mesure que l’on s’élève, au-dessus du niveau de la mer. De nombreux problèmes à résoudre, s’offrent ainsi au chimiste ; pour en trouver les solutions , d’une façon précise, il faut qu’il opère ses dosages au sommet des montagnes, ou dans la nacelle des aérostats. La détermination de la quantité d’acide carbonique contenu dans l’air, à différentes altitudes, a été déjà entreprise en 1873, par M. P. Truchot(Comptes rendus de l’académie des sciences, t. LXX, p. 675 ), au sommet du Puy-de-Dôme et du pic de Sancy. Ce savant chimiste a fait passer de l’air dans de l’eau de baryte préalablement titrée, a laissé déposer le carbonate formé, puis a titré de nouveau la liqueur limpide surnageante en en prélevant une certaine quantité à l’aide d’une pipette.

Les résultats obtenus par M. Truchot ont indiqué une diminution rapide d’acide carbonique avec l’altitude ; mais il nous a semblé qu’il y avait un intérêt réel à analyser l’air, loin de la terre, dans la nacelle de l’aérostat, là où l’on a abandonné complètement le sol, qui doit exercer une grande influence sur l’atmosphère qui en baigne la surface. il est probable que le massif d’une montagne influe sur l’air qui l’enveloppe, il est possible que cet air diffère sensiblement de celui qui se trouve à la mime altitude au-dessus des plaines et loin de tout contact terrestre. Ces motifs ont déterminé la Société française de navigation aérienne, à me confier le soin de doser l’acide carbonique de l’air, à différentes altitude, dans la nacelle du ballon le Zénith.

L’appareil habituellement employé pour ces dosages, et qui consiste comme nous l’avons vu précédemment à déterminer l’augmentation de poids, de tubes à potasse caustique, où a été retenu l’acide carbonique d’un certain volume d’air, ne pouvait être avantageusement employé en ballon. Nous avons eu recours à une disposition nouvelle dont M. Hervé‑Mangon nous a suggéré l’idée, d’après le principe de la méthode que M. Regnault a employée pour les dosages de l’acide carbonique dégagé dans respiration des animaux.

Notre appareil, représenté fig. 1, tel qu’il a été disposé à bord du Zénith, consiste en deux tubes de verre, fermés à la lampe à leur partie inférieur, et munis d’un bouchon à leur partie supérieure. Leur hauteur est de 0,38m, leur diamètre de 0,03m ; tous deux sont fixés à une planchette de bois C, qui permet de les manier commodément. Ces tubes sont remplis de pierre ponce lavée et calcinée, imbibée d’une solution concentrée de potasse caustique, préalablement précipitée par le chlorure de baryum, et parfaitement exempte d’acide carbonique.L’air extérieur appelé à l’aide d’un aspirateur à retournement, mis en communication avec le tube E, était prélevé à 6 mètres au-dessous de la nacelle, à l’extrémité d’un mince tuyau formé par des tubes à gaz reliés à l’aide de caoutchouc au tube A. L’air extérieur traversait d’abord un tube en U. représenté sur notre figure en B, et rempli de coton destiné à arrêter les parcelles de sable servant de lest, qui eussent pu introduire de l’acide carbonique étranger à l’air, par l’apport de petits fragments de carbonate de chaux. Il arrivait à la partie inférieure de premier tube à potasse, qu’il traversait de bas en haut, et. s’engageait de la même manière, dans le second tube. En circulant dans ces deux tubes, l’air était absolument dépouillé de l’acide carbonique qu’il contenait. A la sortie, il passait dans un flacon laveur D, qui est resté limpide pendant toute la durée des expériences. L’aspirateur, que nous n’avons pas représenté sur notre figure, contenait 22 litres d’eau additionnée du tiers de son volume d’alcool qui avait pour but d’empêcher la congélation du liquide par le froid. Satie cette précaution nous n’eussions pas réussi à exécuter nos expériences, car l’eau destinée à humecter la surface de la boule de notre thermomètre mouillé, n’a pas tardé à se congeler sous l’influence de -4°.

Notre première expérience a été commencée le 25 mars à 8 h. 45 m. du soir à l’altitude de 890 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle e duré jusqu’à 10 h. 7m. Dans cet espace de temps nous avons fait passer dans nos premiers tubes 110 litres d’air, en re tournant cinq fois l’aspirateur. L’aérostat est resté sensiblement sur l’horizontale ; sa hauteur n’a varié que de 100 mètres environ.

Notre deuxième expérience a été faite le 24 mars, de 3 h. 35 à 4 h. 30 du matin. Pendant tout ce temps l’aérostat a plané à l’altitude de 1,000 mètres. La pression barométrique est restée presque absolument constante. Par suite de quelques dispositions à donner à notre appareil, nous n’avons fait passer dans nos seconds tubes que 60 litres d’air. Les tubes à potasse, après ces expériences qui se sont exécutées dans les conditions les plus favorables, ont été rapportés à terre, parfaitement intacts, grâce à un emballage minutieux. Les « deux tubes fixés à la planchette de bois C, étaient introduits dans une petite caisse de bois, garnie de ouate. Une fois le couvercle fermé, ils se trouvaient introduits de coton de toutes parts, et ils ont pu supporter sans inconvénients les secousses de la descente.

M. Hervé-Mangon et moi, nous avons déterminé la proportion d’acide carbonique absorbé dans chaque expérience, en séparant le gaz de le façon suivante :

Chaque tube à pierre ponce potassique a été muni successivement, à sa partie supérieure, d’un entonnoir A (fig. 2), où l’on a introduit de l’acide sulfurique étendu d’eau. Ce liquide décomposait le carbonate de potasse formé ; carbonique isolé était chassé à travers un tube à dégagement dans une longue éprouvette de verre graduée D, remplie de mercure et retournée sur une cuve à mercure C.

Le tube à potasse B, retenu par une pince incliné environ 45°, comme le représente la figure 2, était à moitié entouré d’une feuille métal. tique, qui permettait de le chauffer à l’aide d’un bec Bunsen. On arrivait ainsi à faire bouillir le liquide, et à chasser les dernières traces de gaz dans l’éprouvette graduée. Après avoir recueilli dans l’éprouvette D, les gaz (air et acide carbonique) contenus dans les deux tubes à potasse, ayant servi à le première expérience on a déterminé le volume de l’acide carbonique, l’absorbant par, une solution concentrée de potasse caustique. Les corrections de pression, de température, ont été calculées très exactement les lectures des divisions de l’éprouvette graduée, comme celle du baromètre et du thermomètre, placées dans son voisinage, ont été faites à l’aide du cathétomètre. L’expérience a été recommencée de la même façon pour les tubes à potasse de la deuxième expérience. Voici les résultats de nos dosages :

La différence entre ces deux chiffres, est dans les limites de variation des expériences exécutées à terre. Ces résultats semblent indiquer que le proportion d’acide carbonique contenu dans l’air, décroît avec l’altitude. Mais nous devons bien observer que pour obtenir des conclusions certaines, il est indispensable de faire des dosages à des hauteurs plus considérables dans des ascensions exécutées dans les hautes régions de l’atmosphère. Nous espérons pouvoir compléter prochainement nos premières déterminations et fournir des faits positifs, sur les variations de la quantité d’acide carbonique contenu dans l’air à différentes altitudes.

Nous ajouterons enfin que le méthode d’analyse, employée par nous à bord du Zénith, a été précédemment étudiée à la surface du sol, et que nous avons déterminé par de nombreuses opérations préparatoires Ice conditions du fonctionnement de l’appareil.

P. S. L’article qui précède était composé et mis en page, avant l’épouvantable catastrophe du Zénith, lors de son ascension à grande hauteur. Au milieu de notre douleur, nous n’avons ni la force ni le courage d’y rien changer, avant le tirage de la livraison.

Gaston TISSANDIER.

La Nature - N°97 - 10 Avril 1875

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