Le « Carimaré » station météorologique flottante sur l’océan Atlantique

Jacques Boyer, La Nature N°3043 - 15 Février 1939
Vendredi 6 mars 2009 — Dernier ajout jeudi 23 novembre 2017

Ancien paquebot mixte, spécialement aménagé et équipé par l’Office National Météorologique (O. N. M.) en collaboration avec la Compagnie « Air-France Transatlantique », le « Carimaré » est une station météorologique flottante chargée d’explorer au cours de deux campagnes annuelles de 3 mois chacune, l’atmosphère de l’Atlantique nord.

Ancien paquebot mixte, spécialement aménagé et équipé par l’Office National Météorologique (O. N. M.) en collaboration avec la Compagnie « Air-France Transatlantique », le « Carimaré » est une station météorologique flottante (fig. 1) chargée d’explorer au cours de deux campagnes annuelles de 3 mois chacune, l’atmosphère de l’Atlantique nord, en vue d’assurer la ques autres, provoqués par la grande vitesse de propagation des divers hydrométéores (brouillard, pluie. neige ou grêle) l’aviateur transocéanien doit posséder une documentation non seulement renouvelée sans cesse mais s’étendant aux principales couches atmosphériques qu’il doit rencontrer dans son voyage. Il demande, en outre, aux météorologistes de lui fournir sécurité des avions commerciaux, qui ne tarderont sans doute pas à franchir cet océan d’un continent à l’autre. Effectivement, on ne saurait établir un service aéronautique régulier sur un tel parcours sans organiser météorologiquement au préalable les meilleures routes à suivre par les pilotes selon les circonstances météorologiques extrêmement variables. Dans la traversée de l’Atlantique d’Europe aux États-Unis, les aéronefs survolent, d’ordinaire, une bande maritime, comprise entre 30 et 50° de latitude nord et ils y rencontrent souvent des perturbations atmosphériques à déplacement rapide, qui conditionnent les temps locaux.

Par suite de ces réactions mutuelles entre les courants aériens chauds et froids, du givre peut se déposer sur les ailes d’avion. Pour éviter ce danger et quel- sur le temps futur, des renseignements précis et non périmés lors de leur réception à son aérodrome de départ ou au cours de ses randonnées transatlantiques.

S’inspirant des considérations précédentes, M. Wehrlé, directeur de l’O. N. M. et M. Robert Bureau, sous-directeur du même institut scientifique, ont tracé le programme de la difficile besogne que le personnel du « Carimaré » a su mener à bien. Dans sa seconde campagne (9 avril au 4 juillet 1938), ce laboratoire flottant a rempli, en particulier, avec plein succès sa mission, qui consistait à collecter des observations puis à les radiodiffuser et surtout à dresser des cartes météorologiques bi-quotidiennes dont il transmettait les éléments aux avions en vol. Il stationna durant 63 jours, du 23 avril au 24 juin 1938, en divers points entre les Bermudes et les Açores, dans les parages de 44° W et 38°-39° N. Grâce à son équipement radiotélégraphique, il recueillit pendant les 78 jours de son voyage 9.498 observations des navires de tous pays dont 8.o14 sur les lieux de stationnement et il étudia par les moyens du bord les perfectionnements à apporter soit aux méthodes, soit aux instruments. Pour la mesure nocturne du plafond, c’est-à-dire l’appréciation de la base des nuages bas, il essaya un procédé en usage à terre et dont voici le principe. Aux deux extrémités d’une base, en l’espèce l’axe du bateau, on installe un projecteur à faisceau vertical et un viseur donnant l’angle sous lequel la tache lumineuse se trouve dessinée sur le nuage.

D’autre part, afin d’obtenir des prévisions exactes sur la répartition, le nombre, la position et l’épaisseur des couches nuageuses, sur le vent aux différentes hauteurs atmosphériques, même au-dessus des nuages, et sur les zones où les pilotes peuvent craindre des dépôts de glace sur leurs avions, le « Carimaré » effectua de nombreux sondages aérologiques soit au moyen de théodolites spéciaux, soit à l’aide de radiosondes.

Si à terre, les sondages au théodolite se font assez aisément, en suivant avec un seul instrument la marche d’un petit ballon libre et en considérant comme constante la vitesse ascensionnelle, — ce qui est permis parce que le frottement de l’air sur l’enveloppe compense très sensiblement l’accélération verticale du ballonnet, — le problème se complique sur mer où la plateforme fixe manque. Le lieutenant de vaisseau Torchet a tourné la difficulté par l’association d’un théodolite avec un sextant, les deux appareils étant munis d’une suspension à la cardan destinée à annuler les oscillations de tangage et de roulis (fig. 2). D’août à novembre 1937, le « Carimaré » a procédé, de cette manière, à 220 sondages de vent par ballon pilote.

Dans sa seconde campagne (1938), il en a effectué 201 dont 50 ont dépassé 5.000 m, 50 ont atteint 10.000 m et un même environ 19.000 m. Les mesures se faisaient à 12 h et à 18 h T. M. G.

Pour pratiquer les radiosondages en pleine mer, le « Carimaré » emploie les appareils dont on se sert à l’Observatoire de Trappes, près de Paris, depuis une dizaine d’années. Seuls le panier d’osier et le parachute ont été supprimés puisque l’instrument ne pourrait être retrouvé. L’appareillage radioélectrique permet l’audition à bord des signaux transmis, même si le ballonnet, dépassant la limite de la troposphère, entre dans la stratosphère à plus de 1o km d’altitude. Toutefois elles en diffèrent par certaines caractéristiques. Comme le note M. Robert Bureau dans un mémoire auquel nous empruntons ces détails, le dispositif radioélectrique comprend un émetteur réglé sur environ 9 m de longueur d’onde avec lampe actionnée par des piles de montage classique, système Mesny. Une antenne relie le ballon à la sonde suspendue en dessous. Les organes de mesure (capsule de Bourdon pour le baromètre, lame bimétallique pour le thermomètre, cheveux pour l’hygromètre) sont logés dans un tube qui les abrite contre le rayonnement solaire et les soumet à une énergique ventilation, par suite de la vitesse ascensionnelle. Les styles de ces minuscules instruments météorologiques s’insèrent dans les trois secteurs d’un plateau, qu’un chercheur parcourt circulairement (fig. 3). D’autre part, une roue dentée que des engrenages relient à ce dernier découpe l’émission en impulsions rapides, dont le nombre varie proportionnellement à l’angle parcouru par le chercheur. Ces signaux très serrés (5o environ par seconde) s’enregistrent à la réception, 1o par 1o, sur une bande et cessent pendant le passage du chercheur sur les bords du secteur et sur les styles de chacun des instruments météorologiques. Le décalage angulaire entre les deux contacts, ponctués à l’émission radioélectrique, fournit la valeur correspondant à l’observation.

Pour lancer les radiosondes, le « Carimaré » a été doté d’une cheminée, spécialement installée à l’arrière du navire, au-dessus d’une pièce où l’on gonfle les ballons avec de l’hydrogène contenu sous pression dans des cylindres d’acier (fig. 4). Dans une salle contigüe , on étalonne les appareils avant leur lancement, selon la température, la pression et l’état hygrométrique régnant à ce moment au niveau de l’Océan. Dans le même laboratoire (fig. 5), on a installé les enregistreurs des émissions hertziennes que la radiosonde lance, selon un rythme déterminé, aux diverses altitudes atteintes. Pendant sa deuxième campagne 1938, le paquebot exécuta, de la sorte, 82 radiosondages (4 à l’aller, 67 durant ses stationnements et 11 pendant sa traversée de retour), radiosondages que la Tour Eiffel retransmit aux intéressés. L’altitude maxima enregistrée au cours de cette croisière, fut de 21.000 m. Pendant son voyage, le « Carimaré » se tint constamment en liaison avec les stations météorologiques d’Arlington (Washington, États-Unis), de l’Europe et de l’Afrique du nord. Indépendamment des météorogrammes terrestres prévus au programme et provenant des stations européennes, il recevait des radiogrammes des bateaux naviguant dans l’ouest ou au centre de l’Atlantique. En outre, du 22 mai au 17 juin 1938, il fut en liaison avec le navire océanographique allemand « Altaïr » et relaya 51 observations du navire océanographique norvégien « Armauer Hansen » ( [1]) ; entre le 27 mai et le 24 juin, il se tint en communication avec un patrouilleur international d’icebergs, qui lui fournit 184 observations météorologiques diverses (fig. 6).

Grâce à cette importante centralisation d’informations recueillies en plein Océan et surtout à ses propres observations, le personnel scientifique du « Carimaré » établit régulièrement de remarquables cartes météorologiques des pressions barométriques, des vitesses du vent, de l’état hygrométrique et des températures de l’air à la surface de la mer (fig. 7). Les renseignements transmis à Paris, joints à tous ceux provenant des stations de l’ouest de l’Europe, servirent à l’O. N. M. pour établir les premiers essais de cartes en altitudes, jusqu’à plus de 15 km, entre les Açores et les Bermudes.

Si d’autres pays équipent des bateaux similaires se relayant aux mêmes points de stationnement, on parviendra à assurer entièrement la protection internationale de la navigation aérienne transatlantique. Alors le commandant d’un avion, disposant des cartes synoptiques établies par la station météorologique de départ et remontant aux quelques derniers jours, pourra les compléter par les informations plus récentes des observatoires flottants. Il connaîtra donc l’évolution probable de l’ambiance atmosphérique dans laquelle il devra naviguer, les perturbations actuelles qu’il aura à survoler ou qu’il s’efforcera de contourner durant son voyage transatlantique et par suite il sera à même de choisir, chaque fois, le meilleur itinéraire aérien. Souvent sa détermination s’inspirera même de l’opportunisme : son aéronef devra affronter quelquefois les vents contraires sur certaines parties du parcours ou même a franchir des zones assez mauvaises. Mais les précieux avertissements d’un navire stationnaire lui permettront d’éviter les perturbations atmosphériques trop graves.

Le « Carimaré » vient de rentrer, en novembre dernier, de sa troisième campagne accomplie sous les ordres du commandant Beilvaire, assisté du commandant en second Arnold. Son état-major comprenait deux officiers météos, MM. Darondeau et Boulanger, l’officier radiotélégraphiste Robert, huit météorologistes.

Comme souvent, la France est à la tête du progrès scientifique dans le domaine de l’air, mais elle ne saurait accomplir seule une œuvre internationale qui exige de nombreux concours. Nous souhaitons donc que d’autres nations viennent joindre leurs efforts à ceux des savants et des marins qui, depuis deux ans, font une œuvre si utile sur cet original observatoire flottant, pendant ses croisières, au centre de l’Atlantique.

[1Ces deux navires croisaient au nord des Açores, dans le but de préparer une exploration internationale du Gulf Stream, sous l’égide de l’Union géodésique et géophysique internationale.

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