L’observatoire du Mont Aigoual

Fabien Bénardeau, La NAture N°699 — 23 octobre 1886
Dimanche 6 novembre 2011

L’Aigoual n’est pas un sommet inconnu ; il est célèbre depuis longtemps par les travaux scientifiques qu’il a inspirés. L’Observatoire qu’il va porter lui réserve le plus brillant avenir. Ce dôme est le nœud orographique et hydrographique de la contrée ; il sert de trait d’union entre la région schisteuse accidentée des Cévennes centrales et les hauts plateaux calcaires des Causses. Il est sur la ligne de partage des eaux de l’Océan et de la Méditerranée. c’est le point culminant du pays. Il est exceptionnellement placé pour observer la marche des cyclones, soit qu’ils arrivent d’Amérique, soit qu’ils viennent d’Afrique. De son sommet on pourra annoncer les orages qui se forment sur la Méditerranée, signaler les vents des Pyrénées parfois producteurs de grêles désastreuses et étudier, dans une certaine mesure, les tempêtes de l’océan Atlantique. Les vents jouent un rôle spécial sur cette cime ; ils y sont les arbitres des changements atmosphériques. Les masses de vapeurs produites par la Méditerranée, accumulées dans les gorges abruptes et sauvages des Cévennes, s’y condensent en pluies diluviennes sous l’influence des vents du nord. Son nom lui-même, qui signifie « ruisselant, » le désigne comme le grand distributeur d’eau de la région. A Valleraugue, petite ville située au pied des escarpements de l’Aigoual, il tombe près de 2 mètres d’eau par an ; quelques orages suffisent pour produire la presque totalité de ce volume considérable.

Les riches pelouses de l’Aigoual en ont fait la montagne sacrée des botanistes du Midi. Rabelais y a herborisé comme étudiant en médecine et les professeurs de l’école de Montpellier conduisent encore chaque année leurs élèves dans l’Hort-de-Dieu.

Le futur Observatoire ne rendra pas seulement des services à la météorologie ; il profitera aux astronomes et permettra de consacrer à la géologie de la région une étude spéciale et détaillée. Les agriculteurs y feront hiverner leurs graines de vers à soie. Le Génie militaire pourra y installer un poste de télégraphie optique et l’Administration forestière une station expérimentale. Les naturalistes feront leurs recherches avec plus de suite, lorsqu’ils auront un gîte sûr pour les abriter. Les touristes eux-mêmes vont profiter de l’Observatoire. Peu de personnes se priveront d’un des plus beaux spectacles que je connaisse, maintenant qu’il est facile d’arriver en voiture jusqu’au sommet. Le voyageur, placé sur les ruines de la tour de Cassini et orienté au midi, domine la vallée profonde et escarpée de l’Hérault dont il suit les sinuosités jusqu’à la Méditerranée. Au sud-ouest se profilent à l’horizon les Pyrénées-Orientales et le Canigou qui semble émerger de la mer. Vers le nord au delà des Causses, apparaissent les antiques volcans du Cantal et du Mont-Dore, tandis qu’à l’est, le Ventoux se dresse majestueusement au-dessus des plaines brumeuses du Rhône.

On a discuté longtemps pour savoir en quel point des Cévennes il fallait élever un Observatoire. Les uns se prononçaient en faveur du moût Lozère dont l’altitude atteint 1702 mètres, les autres accordaient leurs préférences à l’Aigoual, dont la hauteur est de 1567 mètres seulement. Le mont Lozère convenait bien pour étudier la lutte des vents méditerranéens contre les alisés du nord, mais ne se prêtait point à l’observation des bourrasques dû l’Océan ; sa forme défectueuse, la difficulté d’y organiser une station pastorale et forestière, devaient le condamner au profit de son rival d’où l’on aperçoit le mont Ventoux, les établissements scientifiques de Montpellier et, quand le temps est clair, le Pic du Midi.

L’élévation de la façade sud, la plus importante (fig. 1) et le plan du rez-de-chaussée (fig. 2), que représentent nos figures, donnent la physionomie de l’édifice dont plusieurs pièces sont voûtées. L’Observatoire est orienté au midi, muni de larges baies. vitrées sur la façade sud, et protégé contre

la foudre par un système de paratonnerres sur mâts. La face nord est isolée de la montagne par un large corridor qui donne accès sur une vaste citerne. Tout a été établi, non point en prévision du beau temps qui est l’exception aux grandes altitudes, mais bien pour résister aux agents destructeurs de l’atmosphère, assurer à l’intérieur pendant les bourrasques et la mauvaise saison, la sécurité, matérielle et morale, qui débarrasse l’habitant de toute appréhension. Les retraits et les saillies sont minimes et en aussi petit nombre que possible afin de ne pas donner prise aux vents. La simplicité de l’édifice rend promptes et faciles toutes espèces de réparations. Sa division en compartiments lui permet de résister aux ébranlements de l’ouragan, aux dégâts possibles de la foudre, aux variations brusques de température et à la propagation des incendies. En un mot rien n’a été épargné pour rendre les appartements commodes et salubres.

Quant aux dispositions spéciales, elles résultent du programme d’études qu’on se propose d’entreprendre sur la montagne. Telle est la liaison télégraphique de l’Observatoire avec les postes de Florac (versant océanique) et de Valleraugue (versant méditerranéen) pour la transmission des dépêches, soit météorologiques, soit relatives aux crues. Les instruments qui se rattachent aux observations météorologiques seront installés au sommet sur une plate-forme exposée à toutes les intempéries. Les divers enregistreurs seront placés dans une salle appropriée avec quelques autres instruments. Les études particulières à la physique du globe exigent des pièces spéciales. Ainsi la salle de magnétisme doit être voûtée, à température constante et loin de toute masse métallique ; celle des spectroscopes, disposée de façon à recevoir facilement les rayons solaires réfléchis par un héliostat. La chambre du sismographe doit être à l’abri des vibrations et disposée de telle sorte que la suspension de l’appareil soit aussi longue que possible. Enfin une terrasse découverte et élevée au point culminant de la montagne est nécessaire pour les opérations géodésiques. A ces sujétions nombreuses s’ajoutent toutes celles qui résultent de la nécessité de loger en permanence un observateur et un garde forestier, soit deux ménages complets. Le projet dont nous publions les plans donne satisfaction à ces exigences multiples.

La figure 2 montre la disposition et la destination des pièces du rez-de-chaussée. Les salles du premier étage comprendront un grand laboratoire de chimie, un atelier de photographie, et des cabinets de spectroscopie et de magnétisme. Au-dessus de la salle ronde des conférences du rez-de-chaussée, la pièce correspondante au premier étage sera destinée aux instruments de précision ; les autres salles formeront le logement de l’observateur, la chambre des agents, des greniers, bûchers, cuisines, etc., etc.

D’après ce que je viens de dire, les observatoires de montagne ont cessé d’être le domaine exclusif de la météorologie ; ce sont de véritables « ateliers scientifiques » où physiciens, astronomes, chimistes, agronomes, navigateurs, botanistes, géologues et forestiers travaillent sans relâche. À côté des phénomènes locaux ou régionaux, on étudie là toutes les intéressantes questions qui se rattachent à la physique du globe.

L’administration forestière, par exemple, peut déterminer scientifiquement la part d’influence qu’il convient d’attribuer aux grands massifs boisés sur la formation des orages à grêle et sur le phénomène redoutable des inondations ; noter les modifications du climat local sous l’influence progressive des reboisements ; faire des essais méthodiques de naturalisation ; étudier la croissance des bois dans ses rapports avec le sol, le climat, l’altitude, la situation et l’exposition ; élucider toutes les questions relatives à la limite de la végétation ; se livrer à l’analyse chimique des fromages sur les lieux mêmes de fabrication en vue de modifier une industrie routinière dont l’importance n’échappe plus à personne.

Chaque observatoire devrait être le centre d’une station forestière, expérimentale et scientifique. C’est ce que semble avoir compris l’Administration en coopérant de ses deniers à la fondation des observatoires du mont Ventoux et de l’Aigoual qui ne tarderont pas, sans doute, à être classés parmi les observatoires de l’État, comme ceux du Puy-de-Dôme et du Pic-du-Midi.

Fabien Bénardeau

Revenir en haut