La Météorologie vient de perdre l’un de ses plus fervents adeptes, Léon Teisserenc de Bort, savant d’une grande largeur de vues, initiateur infatigable et érudit.
Léon Teisserenc de Bort, né à Paris en 1855, a commencé ses travaux en 1878 au Bureau central météorologique. A partir de ce moment, la Météorologie devait le posséder tout entier, et elle occupa, en effet, le reste de son existence.
En 1878, il publia des Recherches sur la distribution relative des températures et des pressions moyennes à la surface du globe. Il remarqua que les lignes isobares se groupent autour de centres de hautes et de basses pressions bien définis et en nombres limités dans les deux hémisphères. En comparant les cartes isobariques et les cartes d’isanomales, il vit que les aires de basses pressions se superposent aux régions où l’anomalie thermique positive est la plus forte, tandis que les hautes pressions correspondent aux valeurs négatives de l’anomalie. Ces relations mises en lumière pour la première fois par L. Teisserenc de Bort, ont été confirmées par toutes les études faites depuis.
Généralisant ensuite les résultats obtenus par Hofmeyer, ,il montra que les maxima et minima barométriques, les « centres d’action » comme il les a dénommés, oscillent autour de positions moyennes, se déplacent lentement d’une saison, à l’autre, et que les combinaisons de leurs positions relatives constituent des types du temps auxquels correspondent des conditions climatériques déterminées, de sorte que si l’on connaissait les lois suivant lesquelles un type de temps se transforme en un autre ou persiste en un point, le problème de la prévision à longue échéance serait réalisé.
De 1886 à 1889, L. Teisserenc de Bort publia dans les Annales du Bureau. central météorologique plusieurs mémoires où il montre l’intérêt de la connaissance de la distribution des pressions à différents niveaux pour la théorie de la circulation générale.
Jusqu’en 1892, L, Teisserenc de Bort fut chargé du Service de la météorologie générale au Bureau central météorologique. A cette époque un nouveau genre de recherches commençait à s’imposer à l’attention des météorologistes. Les observations ordinaires ne nous renseignent que sur les conditions réalisées au voisinage immédiat de la surface du sol, dans les bas-fonds de notre océan aérien. Pour trouver les lois des phénomènes atmosphériques dans toute leur généralité, il apparaissait nécessaire de prendre la météorologie par en haut, de sonder les régions élevées.
Déjà, en 1884, dans un Mémoire sur les Isonèphes, L. Teisserenc de Bort avait reconnu que la nébulosité générale à la surface de la Terre est en relation constante avec la circulation atmosphérique. A la réunion du Comité permanent météorologique et de la Commission des Nuages tenue lors de la Conférence d’Upsal en 1894, on proposa d’étudier d’abord le mouvement des nuages et de déterminer leur altitude. C’est à L. Teisserenc de Bort que fut confié le soin d’organiser ces recherches en France.
Puis MM. Hermite et Besançon en France, L. Rotch aux Étals-Unis, ayant montré que l’on pouvait envoyer dans la haute atmosphère des enregistreurs, sans les y accompagner, en les confiant à des ballons libres ou à des cerfs-volants, on songea à utiliser ce nouveau moyen d’investigation. Mais le budget, toujours trop exigu, du Service météorologique, n’eût permis de consacrer en France que des essais isolés à ces recherches coûteuses par leur essence, et qui ne valent que par une longue continuité. C’est alors que L. Teisserenc de Bort décida de s’y vouer tout entier, et de consacrer au vaste champ d’action qui allait devenir celui de sa vie, toutes les ressources matérielles que lui assurait une fortune indépendante. Ayant renoncé à fonder une famille, il avait gardé toute liberté de consacrer noblement à la science son temps, ses forces, et toutes ses ressources. Par ses seuls moyens, avec ses seules ressources, il créa et outilla l’Observatoire de Trappes qui servit bientôt de modèle aux installations similaires.
Cette exploration de la haute atmosphère a conduit L. Teisserenc de Bort à fixer les premières lois de la variation de la température avec l’altitude, la vitesse et la direction des courants aériens supérieurs, selon les situations atmosphériques. Les sondages lui ont révélé ce fait inattendu que la température de l’air, après avoir décru à partir du sol, montre, subitement, à partir d’un certain niveau qui est variable d’une ascension à l’autre, une inversion qui se maintient jusqu’aux plus hautes altitudes atteintes jusqu’ici. Cette zone, appelée par L. Teisserenc de Bort zone isotherme, présente une superposition feuilletée de couches où les températures se succèdent dans un ordre quelconque. La portion de l’atmosphère inférieure au niveau de l’inversion a reçu de L. Teisserenc de Bort le nom de troposphère, celle qui lui est supérieure, le nom de stratosphère.
Des sondages exécutés dans la région intertropicale au cours des croisières de l’Otaria, en commun avec L. Rotch, lui ont permis de mesurer l’altitude, la vitesse et l’étendue des contre-alizés et lui ont montré qu’au-dessus de l’équateur, à des hauteurs de 15 à 20 kilomètres, on trouve normalement des températures extrêmement basses, tout à fait exceptionnelles à nos latitudes, même en hiver.
Enfin, à mesure qu’on s’élève dans l’atmosphère, l’entraînement des ballons-sondes vers l’est lu ! a révélé l’existence probable d’un mouvement général de l’ air formant un grand tourbillon polaire qui tourne autour de la Terre de l’ouest à l’est dans notre hémisphère. Ce tourbillon, prévu il y a 50 ans par la théorie de Ferrel, avait été indiqué il y a une vingtaine d’années à M. Hildebrandsson par l’observation du mouvement des nuages, en même temps que L, Teisserenc de Bort en découvrait l’existence par le calcul des isobares supérieures.
Depuis plusieurs années, L. Teisserenc de Bort avait porté son attention sur la composition de l’air et la proportion de gaz rares arec l’altitude.
Mais il est impossible de tout citer, car son esprit original était ouvert à toutes les questions qui touchaient à la dynamique de l’atmosphère.
Ajoutons cependant, en terminant, que L. Teisserenc de Bort fit paraître en 1898 — et les années suivantes — en collaboration avec M. Hildebrandsson, un ouvrage intitulé les Bases de la météorologie dynamique dans lequel il a réuni l’ensemble des faits observés et des recherches servant de bases à nos connaissances sur les mouvements de l’atmosphère, ouvrage aujourd’hui entre les mains de tous les météorologistes.
Telle est, dans ses grands traits, l’œuvre scientifique accomplie par L. Teisserenc de Bort. On le voit, elle fut vaste, originale et neuve. Le nom de ce grand laborieux ne restera pas seulement associé à la météorologie d’hier, mais encore à celle de demain.
J. Loisel