À peine le président de l’Académie des Sciences venait-il de féliciter cette assemblée dans sa séance annuelle de n’avoir éprouvé aucune perte pendant un an, que l’on apprenait la mort (22 décembre), d’un de ses membres très appréciés et très aimés, Bouquet de la Grye, ingénieur hydrographe, géographe et astronome, membre du Bureau des Longitudes, successeur d’Yvon-Villarceau dans la section de géographie et de navigation et doyen de cette section où il était entre en 1884.
Le nom de Bouquet de la Grye était surtout devenu populaire par l’ardeur avec laquelle il s’était attaché au projet non réalisé de Paris port de mer. Approfondir le lit de la Seine, couper ses courbes par des canaux, créer un vaste port à Saint-Denis, telles étaient les grandes lignes d’un projet, qui pouvait être et qui fut discuté à bien des égards, mais qu’il ne manqua jamais une occasion de défendre avec une ardeur de missionnaire. Il apporta d’ailleurs en maintes autres occasions la même ardeur de jeunesse inlassable et de foi et tous les « jeunes camarades » de l’École Polytechnique qui ont eu recours à lui ont pu apprécier la bienveillance spirituelle avec laquelle il leur venait en aide, se laissant détourner de ses propres travaux, par le désir de les diriger dans leurs recherches.
Né à Thiers, dans le Puy-deDôme, le, 29 mai 1827, entré à l’École Polytechnique en 1847, il en sortit comme ingénieur hydrographe.
Dès 1852, encore jeune ingénieur, il faisait un relevé des côtes de l’île d’Elbe et de la Toscane qui le mettait en évidence ; puis, un peu après, une reconnaissance de la Loire maritime, dont la consciencieuse étude a servi de base à nombre de travaux d’amélioration de ce beau fleuve. Ensuite vinrent les relevés des côtes de la Nouvelle-Calédonie (1853 et suiv., 14 cartes) ; du Banc de Rochebonne (1859) ; d’Alexandrie (1861). En 1863, il fit une révision des cartes hydrographiques du littoral Ouest de la France. On lui doit des travaux sur l’amélioration de la rade de Saint-Jean-de-Luz, sur la création d’un port au cap Breton, sur, les moyen de combattre l’envasement du port de Lorient. Dès 1876, il suggéra et fit mûrir l’idée d’un grand port commercial dans les parages de la Rochelle et l’on sait comment il réussit à faire créer de toutes pièces le si utile port de la Pallice.
Mais il était autant astronome qu’ingénieur et, à ce titre, il a fait partie d’un certain nombre de missions scientifiques importantes. En 1868, il fut un de ceux qui observèrent le passage de Mercure sur le Soleil. En 1874, l’Académie des Sciences le chargea d’aller étudier le passage de Vénus à l’ile Campbell. L’état de l’atmosphère empêcha les observations ; mais il fut plus heureux dans une seconde expédition du même genre,et dans le même but, effectuée au Mexique en 1882.
La liste de ses travaux est longue.
Il a rédigé et publié beaucoup de mémoires et de notés qui ont paru dans les Annales hydrographiques, la Connaissance des temps, les Annales des ponts et chaussées, la Revue des eaux et forêts. Les Comptes-rendus de l’Académie contiennent de nombreuses communications de lui sur l’astronomie, la physique du globe, la géodésie, la navigation. Le dépôt de la marine s’est enrichi, grâce à lui, d’une centaine de cartes. Citons, parmi ces ouvrages, les Passes d’Alexandrie (1869), le Pilote des côtes ouest de la France (1869-1873), un Guide des manœuvres en cas de cyclone, une Dynamique de la mer, le Port de la Rochelle (1882), l’Amélioration de la Seine et Paris port de mer (1884 et 1892), Régime de la Loire maritime.
Enfin, on peut ajouter qu’en bon observateur il s’attachait à établir lui-même des instruments destinés à faciliter ses observations.Il en a conçu et fait exécuter de remarquables dans leur genre, parmi lesquels un cercle azimutal remplaçant, pour les triangulations, le théodolite répétiteur, une sonde à main à déclic, un sismographe enregistreur.etc.
Depuis plusieurs années l’âge l’avait atteint sans le briser ni l’arrêter. Les forces physiques semblaient toujours prêtes à l’abandonner, mais la force morale y suppléait et l’on admirait en lui une vivacité d’esprit qui l’a maintenu debout presque jusqu’au dernier jour.
Dans toutes les Sociétés qu’il présida, notamment (en 1896) à la Société de géographie, il se montrait partout un collègue aussi obligeant qu’éclairé ; avec la profondeur de son savoir,on appréciait la justesse de ses vues et de ses remarques en matière d’administration intérieure. tes membres des conseils auxquels il appartenait seront unanimes à regretter en lui un guide sûr et et un ami dévoué !
P. Sallior