Les vagues de la mer, leur dimension et les lois du mouvement de l’eau

Émile Bertin, La revue scientifique — 18 & 25 août 1906
Mercredi 7 août 2019 — Dernier ajout mardi 14 avril 2020

Conférence faite sous les auspices de la Revue Scientifique et de la Revue Bleue, à la salle de la Société de géographie, le mercredi 23 mai 1906.

Par Émile Bertin, de l’Institut, Directeur du Génie Maritime.

I. - Préambule

Le sujet qui nous réunit ce soir est, je le crains, un peu aride. J’en ai jadis entrepris et poursuivi l’étude en vue des perfectionnements à apporter à l’architecture navale. Je vous demande la permission de laisser de côté la théorie du navire, si attrayante qu’elle puisse être, pour vous comme pour moi. J’étudierai les vagues pour elles-mêmes. Je chercherai à vous exposer les principales lois mécaniques de leur mouvement ; je vous décrirai leurs aspects divers en les expliquant par les lois du mouvement, avec l’espoir de vous inspirer le désir de vérifier sur place l’exactitude de mes descriptions, si vous n’êtes pas déjà familiers avec la mer. Je demanderai l’indulgence de ceux d’entre vous qui ont autant ou plus navigué que moi.

Les vagues de la mer sont du domaine de la géographie, ou plutôt de la géodésie, puisqu’elles constituent toutes les montagnes et les vallées de notre planète sur les deux tiers de sa surface. C’est une orographie un peu fugitive, il est vrai, mais sa mobilité même fait l’imprévu du paysage, et a, de longue date, inspiré la poésie. Quand, sur la surface blanchissante d’écume, les anciens voyaient les troupeaux du vieux Protée venus du fond des abîmes pour respirer l’air marin, leurs images présentaient plus de grâce que de précision, mais leur langage révèle une conception singulièrement exacte et claire du mouvement de l’eau, quand ils décrivent la mer roulant ses grandes orbes.

La science a suivi la poésie à trois mille ans de distance, peut-être davantage, car elle a commencé à s’occuper des vagues de la mer au milieu du XVIIIe siècle. Ses débuts sont obscurs, son point de départ malheureux. La conception du mouvement orbitaire, entrevue par les poètes, échappe à Newton, à Daniel Bernouilli et à leurs contemporains. Pour eux, tout se réduit à une oscillation purement verticale à la surface ; la colonne ascendante sur un sommet se relie à la colonne descendante au creux, par une sorte de canalisation intérieure où se produit tout le transport horizontal de liquide nécessaire ; la notion d’un mouvement horizontal à la surface est rejetée. Telle est la théorie dite du siphonnement, qui conservait encore des adeptes, il n’y a pas vingt ans, et dont D. Bernouilli a tiré sa déduction de la poussée hydrostatique partout verticale à la surface des vagues.

J’ignore si D. Bernouilli a jamais navigué. Peut-être n’a-t-il vu que le clapotis du bord des lacs de Suisse. Peut-être, aussi, a-t-il été trompé par les assertions de quelques marins. Le mouvement orbitaire résultant de la double oscillation verticale et horizontale des molécules liquides n’est pas facile à observer au large. Les corps flottants, au nombre desquels figurent les navires, participent au mouvement de l’eau qui les enveloppe. Les points de repère font donc défaut pour étudier le mouvement, ou plutôt on n’a qu’un seul repère qui est l’horizon ; on se voit monter sur les sommets, on se voit descendre dans les creux ; rien ne révèle le mouvement horizontal.

Quand j’ai commencé mes premières recherches analytiques, en 1868 et 1869, un marin consommé, celui auquel nous sommes redevables de la théorie de la cape, faisait tous ses efforts pour me détourner de la voie où je m’engageais. Il tenait pour constant, d’après ses observations répétées, que le mouvement de l’eau dans les vagues est purement vertical, parce qu’il n’avait jamais vu de mouvement relatif autre qu’un pur mouvement vertical entre l’eau et la carène de sa frégate. J’avais d’habitude, en ses dires, une confiance absolue ; la théorie de la houle est le seul sujet sur lequel nous ayons été en désaccord. Si l’erreur des marins est explicable au large, celle des savants, qui n’ont observé les vagues que le long des quais, peut s’excuser bien mieux encore par la forme spéciale du mouvement de l’eau dans le clapotis.

Disons de suite que si la science a erré à ses débuts et si elle a pu être, au XVIIIe siècle, en retard sur la poésie, elle a brillamment pris sa revanche au XIXe siècle, ainsi que nous allons le voir.

II. - Histoire de la théorie des vagues

La théorie mathématique, à laquelle nous devons aujourd’hui la connaissance exacte des lois du mouvement de l’eau, qu’aucune observation faite à la mer ,ne pouvait révéler, a donné lieu à de nombreux travaux, au cours du siècle dernier. Quelques-uns des plus beaux, comme ceux de Cauchy et de Poisson, qui sont des chefs-d’œuvre d’analyse mathématique appliquée aux propriétés des fluides, n’ont pas à retenir ici notre attention, parce qu’ils n’ont pas d’application aux vagues de la mer. La détermination des lois de la houle, qui n’exige heureusement que des connaissances élémentaires comparativement à la science des Cauchy et des Poisson, a été faite par divers auteurs et complétée à l’aide de nombreuses observations, principalement en Allemagne, en Angleterre, en Italie et en France.

La théorie de la houle a été donnée exactement en 1804, à Prague, par Franz von Gerstaer. Son mémoire, Theorie der Wellen, est resté longtemps. peu connu, et ensuite il n’a pas été apprécié à sa véritable valeur. En France, en particulier, je n’oserais certes pas affirmer qu’aucun exemplaire de la Theorie der Wellen n’ait pénétré avant celui que l’Académie des sciences de Prague m’a prêté en 1869 et dont j’ai pris copie ; il est du moins certain que ni Cauchy, ni Poisson, quand ils ont écrit leurs mémoires, ni Reech, quand il professait l’architecture navale de mon temps, ne, connaissaient même le nom de Gerstner.

En 1825, la Theorie der Wellen fut reproduite par les frères Weber, dans un ouvrage intitulé Wellenlehre, que le grand astronome anglais Sir George Airy analysa dix ans plus tard dans un article de l’Encyclopedia metropolitana, intitulé Tides and waves. Macquorn Rankine continua, je crois, les travaux d’Airy, dans un mémoire de 1863 intitulé : On the exact form of waves near the surface, in deep water, Enfin Scott Russell, qui avait déjà analysé l’ouvrage de Weber en 1844, dans son Report of waves, cita Gerstner dans son grand traité d’architecture navale, où j’en ai trouvé mention, pour la première fois en 1869. L’œuvre de Gerstner a donc été bien connue en Angleterre ; sa théorie y a été combattue par le professeur Stokes de Cambridge, et par Ch. Merrifield qui a envoyé un mémoire à ce sujet, à la Société des sciences de Cherbourg en 1870. Les objections, bien que provenant de savants autorisés, sont d’une réfutation facile.

Tous les ouvrages anglais que je viens de citer ont été connus du commandeur Cialdi, et se trouvent cités dans son grand traité Sul moto ondoso del mare, au catalogue bibliographique duquel sont empruntées la plupart des indications précédentes.

Enfin le marquis de Caligny a lu les travaux de G. Airy, qu’il cite dans un article du Journal de mathématiques de Liouville, t. XV, et, par eux, il a connu Gerstner, tout au moins de nom, ainsi qu’il me l’a assuré plus tard.

Tel était à peu près l’état des connaissances vers la fin de l’année 1868, en ajoutant toutefois que M. Reech avait soupçonné, dès 1803, l’existence d’un mouvement orbitaire ; mon souvenir personnel sur ce point est resté précis.

De 1804 à 1868, l’activité scientifique, en France, ne s’est nullement détournée d’ailleurs des choses de la mer. Notre rôle a été au contraire important, tout autant qu’au XVIIIe siècle. Seulement nos recherches s’étaient portées directement vers l’étude des qualités nautiques des navires ; on se contentait d’admettre les hypothèses de D. Bernouilli, au sujet des oscillations de l’eau dans des siphons renversés. C’est l’étude de la théorie du navire qui, en se poursuivant, devait nous amener, par une voie détournée, à la théorie des vagues ; il est donc juste de mentionner ici les étapes qu’elle a successivement franchies, grâce aux travaux classiques de Ch. Dupin et de Reech principalement.

Le besoin de sortir des considérations hypothétiques et d’entrer dans la voie expérimentale semble se faire jour à partir de 1863. Une campagne d’essai, faite à cette époque par les premiers cuirassés, rapporta des documents d’une précision toute nouvelle sur le roulis et le tangage. Dupuy de Lome avait, à cette occasion, imaginé la construction d’un pendule destiné à garder la verticale sur le navire en oscillation, idée qui devait être reprise plus tard.

En 1864, Ch. Brun publia, dans le Mémorial du Génie maritime, une Étude sur le roulis, où se rencontre, pour la première fois, le souci d’attribuer à la période des vagues une valeur déterminée expérimentalement. D’après les renseignements qu’il a recueillis des navigateurs, Ch. Breen attribue à cette période la valeur de 28 à 38, singulièrement trop faible. J’ai à mentionner, au printemps de 1867, l’expérience de roulis factice du Renard, la première où ait été obtenue la mesure de la décroissance des amplitudes dues à la résistance de l’eau. A la même époque, Mottez proposait l’emploi d’un instrument composé de deux pendules de longueur très différente, pour déterminer le point du navire qui n’éprouve aucun déplacement horizontal dans le roulis. Il touchait ici au point vital de la question, car il aurait pu être conduit, par l’emploi de son instrument, à constater lm-même qu’un semblable point n’existe pas à bord. Il aurait été ainsi conduit à reconnaître l’existence du mouvement orbitaire, qu’il se refusait à découvrir par l’observation directe des vagues.

Pour en finir avec ces développements historiques qui ne présentent qu’un simple intérêt de curiosité, il me reste à dire que mes observations sur les vagues et le roulis commencèrent en 1867-1868, au cours d’un embarquement de dix-huit mois sur l’escadre du Nord. J’eus naturellement de nombreuses occasions de voir la houle ; je fis de nombreux relevés automatiques du roulis, en rencontrant des amplitudes qui atteignirent un jour 45° d’un bord sur l’autre ; je pus à peu près acquérir la certitude qu’il n’y a pas de point immobile à bord. Après avoir débarqué, j’entrepris les recherches dont le résultat est consigné dans mon Étude sur la Houle et le roulis de 1869. J’ai eu connaissance à ce moment, pour la première fois, d’une publication faite hors de France, le mémoire de W. Fronde « Rolling of ships », dans la traduction, encore inédite à ce moment, de MM. Villaret et Daymard.

On sait assez que le 19 avril 1869, J.H. Boussinesq, alors simple professeur dans un collège du Dauphiné, publia dans les Comptes rendus l’Essai sur la théorie des ondes liquides périodiques, prélude de ses grands travaux ultérieurs qui embrassent tous les mouvements oscillatoires des liquides. Ce premier travail était consacré seulement aux ondes qui se propagent autour d’un centre d’ébranlement ; il analysait le phénomène connu de ceux qui ont vu tomber une pierre dans l’eau et non les ondes dont l’Océan est le siège ; toutefois le mouvement orbitaire des molécules liquides y était nettement indiqué, ainsi que la forme des orbites.

Le 26 avril suivant, le marquis de Caligny apporta son contingent d’observateur, en formulant avec exactitude la forme des orbites dans la houle artificielle produite dans un canal peu profond. M. de Caligny ne parle d’ailleurs que de la forme des orbites et non des lois de la propagation ; il vise seulement le travail de M. Boussinesq, non celui de sir Georges Airy.

Enfin le 10 mai 1869, Reech, dans une note « Sur la théorie des ondes liquides périodiques » publiée aux Comptes rendus, fit savoir qu’il venait de découvrir les lois de la houle et les formula très complètement. Ces lois sont celles de Gerstner que nous ne connaissions pas alors et que Reech a étale premier à découvrir en France. Reech n’a rien publié de ses calculs ; il m’a assuré plus tard que la méthode suivie par lui étaient notablement plus compliquée que la mienne.

Dès que j’eus connaissance de la note de Reech, je m’empressai d’adresser à Delaunay mes propres travaux dans l’état où ils étaient en ce moment. Delaunay les communiqua à Reech et reçut l’assurance que nos recherches étaient indépendantes. Je fis alors ma première publication et je continuai les recherches dont j’aurai à vous communiquer divers résultats.

Une dernière coïncidence se produisit vers la même époque, non moins singulière que celle de mes travaux et de ceux de Reech. Un de mes camarades, M. Duhil de Benazé, parti de France pour une campagne de deux ans, sans avoir lu mon Étude sur la houle et roulis, rapporta du Pacifique un mémoire sur le même sujet publié en 1872 ; il donnait, de son côté, les équations de la houle de Gerstner

III. - Lois de Gerstner et de Reech

Les lois établies par Gerstner peuvent se formuler dans les termes suivants :

I. - La houle est produite par un mouvement orbitaire des molécules liquides décrivant toutes un cercle, d’un mouvement uniforme autour d’un centre fixe. Toutes les molécules dont les centres d’oscillation sont sur une même verticale occupent simultanément lrs mêmes positions angulaires sur leurs orbites.

II. - Entre les molécules ayant leurs centres sur deux verticales différentes, il existe à chaque instant une différence de position angulaire proportionnelle à la distance entre les deux verticales. Les temps qui séparent les arrivées au sommet de l’orbite sont donc proportionnels aux abscisses des centres d’oscillation. En d’autres termes, le mouvement de propagation apparent, qui est en réalité un simple mouvement de translation du profil, est un mouvement uniforme (fig. 35).

Il résulte de là que les molécules ayant leurs centres d’oscillation sur une même horizontale présentent à chaque instant la forme d’une trochoïde, La limite d’acuité est donnée par la cycloïde. Les différents points d’une roue de voiture décrivent toutes les courbes de la houle, mais la distribution est très différente.

III. - Le rayon des orbites décroît, à mesure qu’on s’enroule, suivant la loi exponentielle en fonction de la profondeur. En d’autres termes le logarithme du rayon r des trajectoires est égal à celui du rayon à la surface h diminué proportionnellement à la profondeur et la demi-longueur L de la houle.

Le rayon r n’est donc nul que pour une profondeur infinie.

IV. - La vitesse de rotation uniforme E commune à toutes les molécules et la vitesse de translation U du profil sont inversement proportionnelles l’une à l’autre sur des houles différentes, Leur produit est égal à l’accélération g due à la pesanteur. UE=g Cette loi peut s’écrire sous une autre forme, et s’énoncer en disant que la longueur 2L est proportionnelle au carré de la période 2T,

Cette forme rend les vérifications expérimentales faciles, puisque la longueur 2L et la période 2T sont des données possibles à observer.

À ces quatre lois principales s’en ajoutent beaucoup d’autres, plus ou moins faciles à établir par le calcul, qui n’en sont que des corollaires.

On trouve par exemple, pour la valeur du travail mécanique consommé par la formation de la houle et restitué par son extinction. en négligeant les frottements moléculaires, deux parties exactement égales : d’une part, la force vive emmagasinée, d’autre part, l’élévation du poids. Chacune d’elles a pour expression :

Ce travail n’intéresse que la formation, la propagation, l’extinction de la houle.

Beaucoup plus important, au point de vue de l’architecture navale, est le calcul de la poussée hydrostatique en chaque point de l’eau.

La force d’inertie supposée appliquée à chaque molécule étant égale à la résultante de la pesanteur et de la poussée subie par la molécule, la poussée, de son côté, est égale et opposée à la résultante de la pesanteur et de la force d’inertie.

On connaît ainsi sa direction et aussi son intensité,

Le calcul de l’intensité, de la direction, du point d’application de la poussée résultante sur une carène de navire est ardu. Il conduit à des résultats assez importants pour récompenser de la peine prise ; il a permis l’adoption d’un type de bâtiments de guerre dont on aurait difficilement admis la possibilité, sans le secours de celle analyse délicate.

Le fondement de la théorie de la houle, telle qu’elle a été ainsi établie par Gerstner et par ses successeurs, consiste à chercher un mouvement qui satisfasse à toutes les lois du mouvement des liquides.

I. - Lois de continuité et de constance des volumes.

II. - Absence de frottements moléculaires, réduisant les forces appliquées sur chaque molécule à la pesanteur et à la poussée du.liquide environnant.

III. - Condition pour la superficie, d’être une couche de niveau normale en chaque point à la poussée hydrostatique.

La houle que nous venons de définir satisfait à ces trois conditions et à une quatrième, qui ne semble pas avoir été nettement énoncée par Gerstner mais dont tout son calcul suppose la réalisation. Chaque molécule liquide, en effet, est soumise, dans la houle pure, à une pression constante, pendant toutes les phases de son oscillation. La pression constante dépend seulement de la profondeur à laquelle est situé le centre d’oscillation de la molécule. En d’autres termes, les couches horizontales, dans la houle, coïncident avec les couches de niveau.

Il est bien évident que la condition. qui précède n’est nullement imposée par les propriétés physiques des fluides. Il ressort également du calcul qu’elle ne peut être réalisée que dans une masse liquide de profondeur infinie.

IV. - Confirmation des lois de Gerstner

La très grande lenteur, avec laquelle les lois de la houle de Gerstner se sont fait connaître et accepter, tient à des causes multiples.

Je ne dirai qu’un mot de l’objection de Stokes et de Merrifield consistant à reprocher aux calculs de Gerstner de ne tenir aucun compte de la résistance des éléments liquides à la rotation, et du moment de rotation nécessaire pour les faire tourner. En réalité les éléments liquides, ceux par exemple qui sont rectangulaires au repos, ne tournent pas, ils se déforment seulement (fig. 36). La considération de ces déformations n’appartient qu’à la cinématique, après que la détermination du mouvement de chaque molécule est faite dynamiquement.

On aurait pu objecter, avec plus de raison, aux .calculs de Gerstner, cette singularité qu’ils semblent avoir pour point de départ des équations exprimant .les propriétés générales des liquides, et qu’ils aboutissent à un mouvement exigeant une profondeur infinie. Il résulte de là, en toute rigueur, que la houle ne pourrait se produire que sur une mer de profondeur infinie.

Nous venons de voir que l’explication de cette contradiction apparente entre les prémisses et les conclusions, résulte de ce que les prémisses de Gerstner contiennent implicitement une condition étrangère aux lois du mouvement de l’eau. Celte condition éventuelle est satisfaite pour la houle des mers infiniment profondes ; elle ne l’est pas et ne peut l’être dans les autres.

Le retard mis par la découverte de Gerstner à porter ses fruits me semble avoir eu pour cause principale l’isolement du monde maritime.

En ce qui concerne spécialement la France, il faut accuser la très grande ignorance, où se tenait Reech, des publications étrangères. Savant de premier ordre en. mécanique, Reech était, en effet, très peu soucieux d’érudition ; ainsi, par exemple, il avait découvert le principe de Carnot dans le mémoire original, et poussé à fond, dès 1855, la théorie mécanique de la chaleur, mais il ignorait presque tout des travaux de Clausius. La marine, d’ailleurs, avait besoin de preuves plus palpables que des pages d’équations, pour admettre que les vagues de la mer sont soumises à des lois mathématiques. Il lui fallait, pour être convaincue, des vérifications expérimentales que les mémoires antérieurs à 1860 ne donnaient pas.

Quoi qu’il en soit, mes travaux, qui ajoutaient assez peu de chose aux calculs de Gerstner, ont été assez généralement acceptés dès leur apparition en 1869, et n’ont rencontré plus tard presque aucun contradicteur.

Sur la partie mathématique, je ne dirai que peu de mots.

Deux méthodes de calcul ont été employées.

La première consiste, en partant des équations générales du mouvement orbitaire, à déterminer les conditions de ce mouvement, de manière à satisfaire aux trois conditions indiquées au n° IV. On a une équation de plus qu’il n’y a de paramètres à déterminer. La vérification de cette équation sert de confirmation à l’hypothèse initiale du mouvement orbitaire : Cette méthode, très simple, permet de bien distinguer le rôle de la loi de constance des volumes en raison de laquelle l’eau se soulève entre les couches verticales, qui se ferment comme un éventail, et le rôle des lois de l’hydrodynamique, en raison desquelles l’eau roule librement sur les couches horizontales. Un avantage plus important est celui de se prêter à l’étude de beaucoup d’autres mouvements oscillatoires de l’eau, dont Ies lois ne peuvent pas se déterminer d’une manière aussi exacte que celles de la houle, mais dont la connaissance est utile pour compléter l’explication des spectacles variés que présente l’agitation de la mer.

La seconde méthode consiste à admettre explicitement et à priori, la coïncidence des couches horizontales avec les couches de niveau. On peut, en partant de là, arriver par une intégration directe à démontrer que le mouvement des molécules est orbitaire et qu’il satisfait aux lois de Gerstner. On a aussi la démonstration certaine que ces lois ne s’appliquent qu’à la houle, et cela dans une mer de profondeur infinie. Réciproquement, on pourrait admettre comme très vraisemblable que la condition de coïncidence nécessairement remplie à la surface, remplie également au fond quand la profondeur est infinie, doit être remplie dans toute la masse ; mais il ne faut pas aller trop loin, car tous les mouvements sont possibles à la surface d’une mer infiniment profonde.

Le plus sûr moyen de faire accepter les équations de la houle dans les milieux maritimes était d’en obtenir la vérification expérimentale sur les relevés pris en mer. II fallait prouver, en effet, que les lois ne s’arrêtaient ni aux petites ondes circulaires que chacun peut produire dans sa cuvette, ni même aux vagues factices étudiées par M. de Caligny dans un bassin de quelques décimètres de largeur, mais qu’elles régissaient les agitations grandioses et parfois redoutables de l’Océan lui-même.

Dès le début, je trouvai deux houles relevées dans l’Iroise à l’aide du traces-vagues de MM. Paris (C.R., 8 avril 1867). La relation théorique liant la longueur à la période s’y trouvait convenablement satisfaite. Je rencontrai ensuite beaucoup d’autres exemples dans le grand ouvrage : Sul moto ondoso del mare, que le commandeur Cialdi m’avait gracieusement envoyé en retour de ma première « Étude sur la houle et le roulis » ; mais ici la difficulté commença. Un certain nombre de résultats d’observation concordaient bien avec la loi théorique, tandis que d’autres étaient en parfaite discordance.

Les observations citées avaient été faites en cours de campagne ; la mesure de la période avait donc été souvent faussée par la vitesse propre du navire. Il n’y avait à tenir compte que des observations pour lesquelles la correction de la vitesse était possible ; on arrivait alors à un résultat satisfaisant.

La correction de l’effet de la vitesse propre du navire sur. la période de la houle observée n’est point aussi simple qu’on pourrait le croire. En dehors du cas où la houle vient du travers, cas où il n’y a pas de correction du tout, on se trouve en présence de celte situation, que deux houles différentes présentent la même période relative pour l’observateur placé à bord.

Une houle apparente venant de l’avant peut être en réalité, soit une houle de l’avant, soit une houle de l’arrière marchant moins vite que le navire. La période réelle T est donnée en fonction de la période observée T1 par la formule

Une houle apparente venant de l’arrière peut avoir une période longue, soit parce que la période réelle de la houle est longue, soit parce que la vitesse de la houle diffère peu de celle du navire. On a, entre les deux périodes, la relation.

On voit qu’il faut, dans les deux cas, savoir faire le choix des signes.

Si l’observation a été exacte et que la correction soit bien faite à l’aide des formules précédentes, la concordance entre la période et la longueur de la houle se rencontre toujours. Un exemple de correction importante est celui auquel a donné lieu un relevé de cinq houles obtenu, il y a une trentaine d’années, à bord du La Clochetterie, que j’ai analysé dans une communication au Congrès de l’Association pour l’avancement des sciences

T1T
6,08 3,04
5,45 2,90
2,50 2,83
15,50 3,20
2,75 3,75

Après la correction de la période, la longueur théorique n’a différé de la longueur de houle observée que d’une fraction comprise entre un sixième et un dixième. Avant la correction, il n’y avait aucune analogie entre les deux longueurs ; la longueur théorique était, dans un cas, vingt fois plus grande que la longueur observée.

Les vérifications de la loi pendulaire

se sont, depuis cette époque, répétées à l’infini, et l’exactitude de la formule ne donne plus lieu à contestation. La mer, dès qu’une houle régulière s’y produit, est bien exactement soumise aux lois établies par l’analyse.

V. - Effet de la profondeur de l’eau

Quand la mer a une profondeur limitée p, les équations de Gerstner cessent d’être applicables, et on n’en a jusqu’ici obtenu aucunes qui satisfassent exactement aux lois du mouvement. On a pu seulement déterminer l’excentricité moyennant laquelle des ellipses, substituées aux cercles, remplissent le moins mal possible les conditions imposées. Le mouvement réel diffère nécessairement quelque peu de celui qui est ainsi établi par le calcul.

Les deux particularités principales résultant du défaut de profondeur de l’eau sont les suivantes :

1° Les orbites ont une excentricité constante en allant de la surface au fond, dont la valeur est

Près du fond, le petit axe devient nul et le grand axe se réduit à l’excentricité c.Près de la surface, le petit axe diffère très peu du grand, mais c’est toujours le petit axe qui est vertical, contrairement à ce que certains observateurs avaient cru voir.

2° La longueur des ondes est diminuée, par rapport à sa valeur en eau profonde, pour une période donnée T, suivant le rapport

La vitesse de translation des ondes U est nécessairement réduite dans le même rapport que la longueur.

La réduction de longueur et de vitesse est d’environ moitié quand la profondeur d’eau p est le cinquième de la demi-longueur L ou le dixième de la longueur de crête en crête.

Quand la profondeur p atteint le dixième de la longueur 2L, le coefficient réducteur de la longueur et de la vitesse n’est plus que 0,85 (soit 15 % de perte ).

On voit avec quelle rapidité l’effet du voisinage du fond augmente, quand la profondeur diminue.

La longueur L est ici la demi-longueur en eau de profondeur limitée.

Les lois précédentes ont été vérifiées au cours de -diverses expériences de vagues factices exécutées à Cherbourg, de 1875 à 1880, par M. de Caligny et moi.

Pour les vagues de haute mer, une vérification est donnée par une observation faite par M. de Bénazé sur deux houles ayant une longueur totale égale en moyenne à cinq fois la profondeur. Le coefficient de réduction a été 0,55.

La hauteur paraît augmenter, en même temps que la longueur diminue, quand la houle rencontre un haut fond. On n’a pas d’observations précises sur ce point.

Les vagues qui viennent déferler sur les plages où les profondeurs s’annulent ne sont plus de la houle et ne se prêtent à aucun calcul. On ne peut les traiter -que par l’observation.

VI. - Clapotis, vagues irrégulières

La figure qui représente une coupe dans la houle avec toutes les positions, à un moment donné, de ses couches horizontales et verticales dont les profils se transportent avec une vitesse uniforme, s’applique identiquement à un second mouvement oscillatoire, le clapotis.

Dans le clapotis, il n’y a pas d’orbites, mais une oscillation des molécules, autour d’un point, le long d’une droite diversement inclinée. Les trajectoires des molécules sont verticales dans les points qui sont alternativement les creux et les sommets, horizontales, dans les points situés à mi-distance entre les précédents, et obliques dans l’intervalle. Le mouvement des molécules sur les trajectoires est la projection d’un point parcourant un cercle d’un mouvement uniforme, c’est-à-dire le mouvement pendulaire classique.

Dans le clapotis, il n’y a plus transport des courbes horizontales et verticales, mais déformation de ces courbes comprenant le passage, à un certain moment, sur les positions occupées par les molécules dans le liquide au repos. Les vagues montent et descendent sur place, le même point devenant alternativement sommet et creux sans cesser jamais d’être soit sommet, soit creux. La période est le temps mis par un sommet, d’abord à devenir creux, puis à redevenir sommet. Entre les demi-longueurs et les demi-périodes, il existe la même relation que dans la houle.

Le clapotis peut exister dans une eau de longueur limitée. L’existence d’une paroi verticale, en effet, ne contrarie en rien le mouvement, si celte paroi se trouve en un endroit où l’oscillation de l’eau se fait suivant des trajectoires verticales. Il résulte de là que la houle se transforme nécessairement en clapotis à l’approche d’un quai vertical. Tout se passe comme si, par une propagation conforme il celle décrite, les profils des couches revenaient en arrière, après s’être réfléchis sur le quai.

Cette manière de considérer le clapotis comme résultant de la combinaison d’une houle directe et d’une houle réfléchie exprime très exactement la nature du mouvement. Les deux houles ayant même période, si deux sommets se rencontrent en un point, les deux creux suivants se rencontreront au même point, ainsi que les deux nouveaux sommets qui leur su cèdent. A l’endroit où deux points à mi-hauteur se croisent, tous les points à mi- hauteur se croiseront. La superposition des deux profils donne à certains moments le profil d’une houle de hauteur double, à d’autres moments une simple ligne droite horizontale.

Il est à noter toutefois qu’au moment où la surface est horizontale, les centres d’oscillation doivent tous avoir descendu d’une certaine quantité, parce que, dans les houles, ces centres sont situés au-dessus de la superficie de l’eau au repos. On voit ainsi que les équations du clapotis, par cela même qu’elles représentent la superposition de deux houles, ne peuvent représenter que d’une manière approximative le mouvement réel de l’eau clapoteuse.

La considération de la constance du travail emmagasiné dans l’eau en oscillation conduit aux mêmes conclusions que la considération de l’invariabilité du volume de l’eau. Dans le clapotis, la force vive s’annule à l’instant des sommets, et l’élévation du poids s’annule à l’instant de l’horizontalité. Il y a donc déplacement des centres d’oscillation transformant toute la force vive en travail de la pesanteur et inversement.

En considérant, au lieu de la superposition des profils des deux houles marchant en sens contraires, la combinaison des deux mouvements orbitaires de même vitesse, de même diamètre et de sens opposé, nous trouverons bien les mouvements rectilignes des molécules liquides dans le clapotis.

Aux points où les molécules passent en même temps aux extrémités opposées A et A’ d’un diamètre horizontal pour se rencontrer aux extrémités d’un diamètre vertical, les déplacements verticaux s’ajoutent, les mouvements horizontaux se contre-balancent. Nous avons ainsi les trajectoires verticales des sommets et des creux. Aux points où les molécules passent en même temps aux extrémités opposées d’un diamètre vertical, la trajectoire rectiligne est horizontale ; elle est, d’une manière générale, partout perpendiculaire aux diamètres dont les extrémités opposées forment les points de passage simultané.

Si maintenant nous remarquons que la combinaison de deux mouvements perpendiculaires de même amplitude, sur des trajectoires normales l’une à l’autre, donne un mouvement circulaire uniforme. nous voyons que la houle, de son côté, peut être. considérée comme résultant de la superposition de deux clapotis. C’est là une simple conception d’ordre mécanique. La houle est en réalité le mouvement primitif, dans l’agitation de la mer, celui, en particulier, qui résulte de l’action du vent. Le clapotis est le mouvement composé.

Cette combinaison purement cinématique des deux mouvements orbitaires ne tient pas compte du déplacement vertical des centres d’oscillation, dont nous venons de voir la nécessité dans le clapotis.

En faisant varier les combinaisons de mouvements orbitaires circulaires et de mouvements pendulaires, rectilignes dont le clapotis vient de nous fournir l’exemple, on peut trouver l’explication des mouvements les plus variés qui se présentent à la surface de l’Océan.

Parmi ces combinaisons, l’une des plus curieuses et en même temps des plus simples est certainement celle qui résulte de la superposition de deux houles de mêmes longueurs d’onde, mais de hauteurs 2h différentes CoA. et CoB, ou, en d’autres termes, la combinaison d’une houle unique CoD qui serait la différence des deux premières avec un clapotis CoE qui serait la somme des deux houles en réduisant la grande à la hauteur de la petite (fig. 39).

Par la composition des deux mouvements, les particules décrivent des ellipses, dont le grand axe est dirigé suivant les trajections du clapotis.

Aux points des sommets et des creux du clapotis, les grands axes des ellipses CoG sont verticaux. Aux points de mi-hauteur des vagues, les grands axes sont horizontaux.

En suivant le mouvement dans ces conditions, on trouve l’existence de sommets qui se déplacent, comme dans la houle, mais en changeant de hauteur, de Co en C4, la demi-hauteur des vagues passant du demi grand axe des ellipses au demi petit axe pour redevenir le demi grand axe quand la longueur totale d’une vague a été parcourue en C3.

De plus, les inclinaisons variables sur l’horizontale, des rayons des ellipses dont les extrémités forment les sommets successifs font que les sommets se déplacent beaucoup plus lentement, au moment où les vagues ont leur grande hauteur qu’a celui où elles ont leur faible hauteur.

Cette propriété des vagues de pouvoir varier de hauteur avait été signalée par quelques observateurs. La variation de vitesse, concomitante à la variation de hauteur, n’avait pas été observée ; elle ne serait pas impossible à vérifier.

VII. - Mesure des dimensions et de la période

La mesure des dimensions des vagues n’est point chose facile. Elle a fortement exercé l’esprit inventif des observateurs. Divers instruments spéciaux ont été imaginés, qui méritent tout au moins une brève mention.

Le trace-vagues de MM. Paris consiste en un mât vertical, dont le pied est immergé dans l’eau à une grande profondeur, tandis qu’un petit flotteur monte et descend librement contre lui à la flottaison. Le mouvement relatif du petit flotteur est enregistré par une courbe portant une échelle des temps. On obtient ainsi la mesure de la période, avec une indication de la hauteur. La longueur doit être relevée séparément.

Cet instrument a été employé vers 1867 seulement ; j’en ai utilisé les relevés, ainsi qu’il a été indiqué plus haut.

L’oscillographe double repose sur des principes . moins simples et moins faciles à exposer ici. Il se compose de deux pendules de périodes d’oscillation très différentes, soit environ une minute pour l’un et un quart de seconde pour l’autre (périodes totales) correspondant à des pendules simples dont l’un serait 60.000 fois plus long que l’autre. L’instrument étant placé à bord d’un navire, en marche ou au repos, qui .participe au mouvement orbitaire de l’eau, le grand pendule tend à se placer dans la direction de la poussée normale à la surface de l’eau. Si les inclinaisons des deux pendules par rapport au navire sont enregistrées par des courbes portant une échelle des temps, leurs différences donnent la période et indiquent l’inclinaison des vagues.

L’oscillographe double a fourni des relevés intéressants au cours d’une traversée de l’Annamite de Cherbourg à Toulon, en 1877 ; les principaux ont été publiés dans un mémoire qui a paru dans les Mémoires de l’Académie des Sciences, (Savants étrangers). J’ai obtenu depuis lors d’autres courbes sur le Milan, puis sur le Djemmah en allant au Japon. Au retour du Japon, j’ai fait la traversée de Shang-Haï à Marseille, sans rencontrer de mer.

La paternité de l’oscillographe a donné lieu à contestation. Son histoire est simple. Mon savant collègue M. Wolf m’a rappelé que je lui en ai exposé exactement le principe dès 1867. À cette époque, je ne possédais qu’un instrument imparfait. Le grand pendule avait une période insuffisante ; je l’ai utilisé comme pendule court, en 1868, après avoir supprimé le contre-poids qui servait à la compensation. Ensuite, en 1869, dans ma première publication j’ai indiqué la possibilité d’employer l’instrument au relevé des vagues. M. William Froude a construit, vers 1872, le premier instrument capable de donner des résultats sérieux et il a fait plus tard une campagne pour l’utiliser.

Les deux instruments qui précèdent ne font connaître que la période des vagues. La longueur, à supposer qu’elle n’ait pas été l’objet d’une observation directe, doit être déduite de la période, en tenant compte des recommandations sur le choix entre deux racines d’une équation.

Une curieuse tentative vient d’être faite pour obtenir la longueur et la hauteur des vagues à l’aide de photographies instantanées prises des deux extrémités d’une base, dans des conditions analogues à celles des relevés géodésiques. C’est une application imprévue du procédé dont M. le colonel Laussedat a été en France l’actif initiateur et qui vient de recevoir en Allemagne d’ingénieux perfectionnements. La base qui, à la mer, ne peut être que la longueur du navire où se tient l’observateur est nécessairement un peu courte. Cependant, grâce à un instrument spécial, le stéréo-comparateur inventé par M. le Dr Pulfrich de la maison Zeiss, il est possible de relever les parallaxes, en même temps que les directions pour tous les points apparents et en particulier tous les points des crêtes des vagues. On peut ainsi tracer une carte exacte de la surface liquide avec toutes ses courbes de niveau. On a donc les longueurs, à un moment donné, tandis que les périodes sont à relever directement par l’observateur.

Ce curieux procédé de mesure vient d’être expérimenté au cours d’une-campagne de cinq mois, spécialement entreprise à cet effet, par M. le professeur W. Laas, à bord du clipper Preussen, La navigation de Hambourg à Iquique et retour a été très malheureusement favorisée par le beau temps. Aucune véritable houle n’a été rencontrée, même sur le méridien du cap Horn. Le seul relevé qu’on ait pu obtenir, d’une mer un peu agitée, a donné une surface irrégulière où les contours des courbes de niveau rappellent assez bien ceux d’une carte du Tyrol. Trois photographies étaient prises simultanément, par trois appareils aussi éloignés que possible l’un de l’autre. Ces intéressantes recherches seront poursuivies.

Il existe un cas où l’emploi de la photographie permettrait de fixer un aspect assez singulier de la mer. C’est celui où l’horizon apparaît dentelé, sur une certaine étendue, par le passage du sommet des vagues, dominant au loin l’agitation irrégulière ou de direction différente qui entoure le navire.

L’effet produit, qui exige l’existence d’une houle très forte, très régulière et très prolongée dans le sens des génératrices, est représenté sur la figure 40.

Chaque vague se détache à son tour en A, de la masse, qui se confond en perspective, des vagues qui la suivent ; elle se montre un instant en D avec son profil exact et va se confondre en B dans la perspective des vagues qui la précèdent.

On peut ainsi distinguer nettement cinq ou six ondulations, dont la période est facile à mesurer. La longueur reste inconnue : Reste à savoir si les appareils Pulfrich-Laas permettraient de la mesurer.

L’emploi des appareils dont nous avons parlé, oscillographes ou lentilles photographiques, est tout à fait exceptionnel. La plupart des observations dont on possède les résultats ont été faites sans leur secours. Les méthodes permettant d’opérer avec quelque certitude sont les suivantes :

La mesure la plus facile est celle de la hauteur. Elle se fait, en s’élevant, soit sur les passerelles, soit dans les enfléchures, jusqu’à la hauteur où on ne cesse jamais de voir l’horizon, mais où la crête de la vague voisine tangente un instant l’horizon, au moment du passage du navire au fond d’un creux de la houle. La hauteur de l’œil au-dessus de la flottaison du navire est alors égale à la hauteur totale des vagues, de creux en crête (fig, 41).

Si deux navires naviguent de conserve, on peut aussi, en se plaçant à peu près à la même hauteur que précédemment, observer le point le plus haut du second navire qui vient tangenter l’horizon. La hauteur de ce point au-dessus de la flottaison du second navire est la hauteur des vagues cherchée.

La mesure de la longueur des vagues se fait assez exactement, quand deux navires naviguent de conserve, en plaçant les deux navires sur une même perpendiculaire aux génératrices, et de préférence, en travers à la lame. On mesure au sextant la distance entre les deux navires, et on compte le nombre de vagues qui les séparent.

Pour un navire naviguant isolément, il faut se placer debout à la houle, jeter le loch à l’arrière, filer ensuite la ligne jusqu’à ce que le flotteur du loch et l’arrière du navire soient en même temps sur deux crêtes. Le mouvement orbitaire de l’eau, plus sensible pour le flotteur du loch que pour le navire, tend à ce moment la ligne, dont la longueur est égale à la longueur 2L de la houle. Le même procédé avec la houle venant de l’arrière est soumis à une cause d’erreur résultant du mou que prend la ligne quand le loch est sur une crête.

Généralement la longueur des houles se déduit simplement de leur période, en appliquant la formule universellement admise aujourd’hui entre la demi-longueur et la demi-période,

La mesure de la période, qui se fait en constatant le nombre des crêtes qui passent dans un temps donné, ne présente aucune difficulté, si le navire est stoppé ou s’il reçoit exactement la mer par le travers. Dans toute autre circonstance elle exige la correction dont nous avons parlé, pour annuler l’effet de la vitesse du navire.

Les deux houles entre lesquelles il faut distinguer la vraie sont, quand la mer vient droit de l’avant ou de l’arrière, très différentes l’une de l’autre ; le choix se fait sans grande difficulté. Il n’en est plus de même quand la direction s’écarte de l’axe du navire, parce que la différence entre les deux houles est de moins en moins accentuée à mesure que leur direction se rapproche du travers du navire.

VIII. - Dimensions maximum des vagues ; Leur inclinaison

Les maximum de hauteur et de longueur des vagues sont ce qui intéresse le plus le public curieux des choses de la mer, tandis que les dimensions moyennes et habituelles offrent, au contraire, plus d’importance, au point de vue technique des constructions navales.

Les minimum de hauteur et de longueur n’intéressent personne. On est porté à croire que ce minimum est zéro. Il n’en est pas ainsi, l’impossibilité d’un minimum résultant, à la mer, non pas des propriétés de l’eau, mais bien de la nature de l’action du vent. Il y a évidemment entre la vitesse des ondes et celle du vent une relation obligée. D’autre part, la vitesse est une fonction mathématique de la longueur des ondes.

Une houle de 0,10m de demi-longueur a donc une vitesse de 0,60m/s seulement. Il est probable que le vent, dont la vitesse correspond à une vitesse de 0,60m/s pour la houle, n’a pas une action suffisante pour soulever une houle. Ainsi, tandis que nous pouvons produire artificiellement une houle aussi courte qu’il nous plaira, le vent ne produit les houles qu’au-dessus d’une certaine longueur. Les premières rides qui se produisent quand la brise se lève, et qui devancent la houle, ne sont pas la houle.

En parlant des dimensions maximum, je considérerai la période totale comptée entre le passage de deux crêtes, la longueur totale d’une crête à l’autre, la hauteur totale du creux à la tète, et non les moitiés qui figurent dans les formules usuelles.

La plus grande longueur que je puisse mentionner d’après une observation sérieuse est de 800 mètres. Elle est déduite par le calcul de la période de 23s, relevée par un navigateur expérimenté. Il est évident que les moyens de mesure directe indiqués plus haut se trouvent en défaut pour de semblables longueurs.

Disons de suite que les périodes dépassant 10s, et par suite les longueurs dépassant 160 mètres sont très rares. Les périodes habituelles 2T sont celles de 6s à 8s, qui correspondent à des longueurs 2L de 56 mètres à 100 mètres.

La plus grande hauteur indiquée par une observation offrant des garanties, dont on puisse trouver mention dans l’ouvrage du Commandeur Cialdi, est celle de 13 mètres. Il serait sans doute téméraire d’en conclure que cette hauteur n’a jamais été dépassée, mais, en tenant compte de toutes les observations récentes, et, en particulier, de la connaissance plus exacte des mers australes, on peut affirmer que la hauteur de 16 mètres n’a pas été atteinte.

Les hauteurs dépassant 10 mètres sont rares. J’en ai observé une en 1893 à bord de la Champagne. J’avais un compagnon de route, et, tous deux, à deux reprises, nous avons relevé 11,50m.

Le rapport de la hauteur à la longueur des vagues, auquel est proportionnel le sinus de l’inclinaison θ au point d’inflexion,

paraît présenter, pour chaque longueur de vagues un maximum qui varie avec cette longueur.

Pour les vagues dont la longueur totale est égale à celle d’un grand navire, soit de 100 à 150 mètres, les seules que l’on ait à considérer pour le calcul de la résistance des coques à la flexion longitudinale, on admettait primitivement que le rapport de la hauteur à la longueur était égal à un vingtième. On le suppose maintenant égal à un trentième seulement. Si l’on admet que la longueur des vagues peut atteindre 800 mètres et que leur hauteur est toujours inférieure à 10 mètres, il est certain que le rapport reste au-dessous du cinquantième sur les houles les plus longues.

Pour les houles courtes, aux environs de 50 mètres, on a trouvé des rapports du vingtième et même du dizième. Ce dernier rapport a même été dépassé pour une houle de 100 mètres d’après une observation qui me semble, à cet égard, un peu sujette à caution, Pour les très petites houles de 20 mètres et au-dessous relevées par M. M. Paris dans l’Iroise, qui m’ont été si utiles au début de mes recherches, le rapport a atteint un seizième. Ce dernier chiffre mérite d’attirer l’attention ; une houle inclinée au seizième, réfléchie sur un quai vertical, donne un clapotis incliné au tiers environ, limite à laquelle le déferlement est fatal, puisque le sinus de l’inclinaison θ dépasserait l’unité.

La diminution de l’inclinaison, quand la longueur des vagues augmente, s’explique par l’accroissement de la vitesse de translation du profil, en raison duquel les vagues très longues échappent davantage à la pression directe du vent, sinon au frottement de l’air.

La controverse la plus vive, relativement aux dimensions maximum des vagues, a porté sur leur hauteur et par suite leur inclinaison. Les anciens navigateurs, même les plus illustres, ont été, à cet égard, l’objet d’illusions d’optique étranges. Cook, dans un de ses voyages, parle de vagues dont la hauteur dépassait celle de ses mâtures. Dumont d’Urville, dans sa discussion avec Arago en 1837, parle de vagues de 30 mètres de haut observées par lui. L’erreur s’explique, sur les petits navires marchant de conserve comme ceux de Cook et de Dumont-d’Urville, par la facilité avec laquelle des vagues de 8 mètres peuvent cacher les mâtures d’un navire à l’autre, si les observateurs ont l’œil à 4 mètres seulement au-dessus du creux des lames.

Pour un navire isolé, surtout pour un très petit bâtiment, l’erreur peut provenir de ce que la direction de la poussée hydrostatique et celle de la pesanteur sensible à bord, qui lui est opposée, sont normales à la surface de la houle en chaque point, au lieu d’être verticales. On a donc, à bord, le sentiment d’une horizontale tangente à la houle.

Si l’on est au point d’inflexion et qu’on prolonge par la pensée la tangente au-dessus de la vague voisine, on peut évaluer la hauteur des vagues au double, au triple, de la valeur réelle, et même au-delà.

Je rappellerai à ce sujet un souvenir de jeunesse se rattachant à ma première rencontre avec la houle du large, qui n’a peut-être pas été étrangère à la curiosité un peu passionnée avec laquelle j’ai abordé six ou sept ans plus tard le problème des vagues.

En 1861, avec un de mes camarades, j’accompagnai, à la sortie de Brest, un vieux petit aviso à roues, la Chimère, dont la machine était enlevée et qui allait à la voile servir de stationnaire ou de ponton à Cayenne. Le commandant, jeune lieutenant de vaisseau, nous offrit son déjeuner d’adieu, après quoi le remorqueur le Var nous envoya prendre à bord par son youyou de 3 mètres pour nous ramener à Brest. Il ventait une bonne brise de sud-ouest amenant la longue houle de l’Atlantique. Le remorqueur prolongea un peu sa conduite pour haler la pauvre Chimère dans le lit du vent ; on était hors de l’Iroise quand le youyou effectua notre transbordement.

Pendant les quelques minutes de ma navigation en youyou, je vis passer une vingtaine de vagues qui me semblaient bien avoir 20 mètres de haut, alors que sur la Chimère ou sur le Var, je me rendais à peu près compte de la hauteur véritable.

IX. - Formation, propagation extinction de la houle

L’action du vent sur l’eau, pour la production de la houle, n’a pas été mise en équations, comme l’ont été les lois du mouvement ondulatoire et permanent dont l’eau est susceptible d’après ses propriétés physiques. Il en est, du reste, un peu de même pour les vibrations des corps solides. On calculerait difficilement l’action de la main qui frotte sur une corde tendue. On sait seulement comment la note obtenue varie avec les dimensions de la corde, sa tension, le coefficient d’élasticité de la matière.

Ce que l’on peut dire de l’eau, c’est qu’elle se trouve dans un état d’équilibre instable dès que l’air se déplace à sa surface. Toute in tumescence élémentaire, aussitôt produite, donne prise au vent qui la pousse immédiatement en avant ; de là une augmentation de vitesse dans le transport du profil ; à laquelle correspond un allongement des vagues, et une augmentation de vitesse des molécules liquides sur les sommets, à laquelle correspond une augmentation de diamètre des orbites, c’est-à-dire de la hauteur des vagues. L’augmentation de longueur et l’augmentation de hauteur correspondent à un travail de la pesanteur et à une acquisition de force vive qui se trouvent égaux l’un à l’autre, comme nous l’avons dit, et dont la somme, pour une tranche d’un mètre de long dans le sens des génératrices, est :

Le mouvement atteint un état permanent, et, par suite, la longueur 2L et la hauteur 2h restent constantes, lorsque le travail du vent, pression et frottement, est égal au travail résistant de la viscosité augmenté du travail transmis à l’eau environnante par la propagation de la houle. Cette transmission a lieu en avant et en arrière de la région de la mer exposée au vent, comme nous le dirons tout à l’heure.

Quelques navigateurs ont essayé d’établir des relations empiriques entre les dimensions des vagues, particulièrement leur hauteur, et la vitesse du vent. Ces tentatives ont été vaines. La longueur des vagues, leur hauteur, leur acuité, dépendent, non seulement de l’intensité et de la durée de la brise, mais aussi de la configuration géographique de la mer et de la distance où l’on est des côtes, Courte et dure, par exemple, dans la Méditerranée, sous le souffle du mistral, la houle s’allonge mollement dans l’Atlantique et surtout dans le Pacifique, dans les régions des alizés et des vents d’ouest. La plupart des marins ont bien compris, celte diversité du paysage marin suivant les régions. Le lieutenant de vaisseau A. Paris avait même commencé à classer les mers, sous le rapport des dimensions de la houle la plus habituelle dans chacune d’elles, quand la mort est venue interrompre son travail, Dès que l’eau a pris son mouvement ondulatoire régulier sur une mer de vaste étendue, l’agitation se transmet en avant et en arrière de la zone troublée, parce que les molécules liquides placées à la limite du calme, ne peuvent pas décrire leurs orbites circulaires, si les parties voisines du liquide ne participent pas à leur mouvement.

La transmission du mouvement ondulatoire ne se fait point avec la vitesse de transport V du profil, qui porte assez improprement le nom de vitesse de propagation, Deux cas sont à distinguer.

Supposons d’abord la propagation se poursuivant librement depuis un temps assez long. La houle soulevée et entretenue par le vent de A en B pousse devant elle une série de n ondes de hauteurs décroissantes dont la dernière en C est de hauteur nulle à l’instant considéré. Si la propagation se poursuit régulièrement, après que n ondes auront passé en C, la hauteur y atteindra la même valeur h qu’en A, et la dernière de ces n ondes atteindra D, les deux distances OC et CA étant égales chacune à n fois la longueur des vagues 2L. La durée de la propagation de C en D sera donc 2 n fois la période 2T. La vitesse de la propagation sera

quel que soit n.

Il en est tout autrement si la transmission du mouvement se fait, de la houle de hauteur h à une masse d’eau en calme, lui opposant une sorte de muraille liquide verticale. Dans ce cas, en effet, si la première onde, gênée dans son mouvement, ne soulève près d’elle qu’une onde de hauteur h/n, la seconde portera la hauteur à 2h/n tandis qu’au delà, il n’y aura eu qu’une onde insignifiante de hauteur h/n² environ. Dans ce cas, il faut n passages de vagues pour soulever une seule vague de hauteur h capable d’en soulever d’autres à son tour. La vitesse de propagation se rapproche alors de U/n, plutôt que de U/2.

Le premier mode de propagation est applicable en particulier à la transmission de mouvement qui se poursuit après que le vent a cessé. Le travail important qu’elle absorbe contribue largement à l’extinction de la houle dans la région où elle a été originairement soulevée.

La houle est éteinte, quand la somme du travail de propagation et du travail de viscosité, dans la région originaire, ou plus simplement la totalité du travail moléculaire partout, est égale au travail total emmagasiné dans la houle. Nous avons vu plus haut la valeur de ce travail.

Le second mode de propagation se manifeste clairement dans deux circonstances intéressantes de la navigation.

Le navire en marche laisse derrière lui un sillage, qui, en mer calme, est surtout un mélange complexe d’ondes et de tourbillonnements dus aux hélices dont nous n’avons pas à nous occuper ici, et qui forme, au-delà de l’agitation tourbillonnaire vite éteinte, un long ruban d’eau calme ; les ondulations de la houle, brisées par le passage du navire, n’ont pas eu le temps de s’y rétablir, et n’arrivent que lentement à se rejoindre d’un bord du sillage à l’autre. Ce ruban de calme, à peine ridé par le vent, s’étend à perte de vue, jusqu’à la limite de l’horizon, quand le navire est animé d’une grande vitesse. On distingue nettement, sur le bord du sillage situé au vent et même sur l’autre, le déferlement des petites lames arrivant au contact de l’eau calme et s’y transformant en clapotis, comme sur un mur de quai.

Le second fait, bien plus important que le premier, consiste dans l’abri que le navire à la cape trouve dans le sillage qu’il laisse au vent, exactement par son travers, si la cape est bien établie et que le navire aille exactement en dérive sans aucune progression en avant. Les vagues du côté du vent, les seules qui -puissent assaillir les pavois, sont amorties au loin, en arrivant sur la région de mer où le passage de la carène a brisé les orbites de l’eau. Le navire trouve un calme relatif dans l’étroit ruban, d’une largeur égale à sa longueur, qui le suit constamment dans sa translation latérale. C’est à la possibilité de prendre la cape, que la navigation à voiles doit sa sécurité. C’est bien certainement grâce à elle, que tant de frêles bâtiments ont pu revenir de leurs : aventureuses expéditions, et que la navigation a été autrefois possible sans excès de témérité.

Il existe un mouvement ondulatoire de l’eau pour lequel la vitesse de propagation se confond avec la vitesse de translation du profil de l’onde. C’est l’onde solitaire, dont nous avons déjà dit un mot ; M. Boussinesq, qui l’a étudiée le premier analytiquement, en a établi toutes les lois ; il a montré les conditions de sa conservation, ou, comme il dit, de sa longévité très différente pour les ondes positives ou en relief et les ondes négatives ou en creux.

L’onde solitaire s’obtient en immergeant ou en émergeant subitement un corps solide à l’extrémité d’un long canal. Il est très remarquable que, si l’on imprime au solide un mouvement cadencé d’immersions et d’émersions assez rapprochées, on ne produit pas une série d’ondes solitaires, mais bien une véritable houle avec orbites en rapport avec la profondeur du canal. C’est en opérant de la sorte que j’ai étudié expérimentalement la houle avec M. de Caligny de 1875 à 1880. La houle artificielle ainsi produite, dont la première et la dernière vague gardent beaucoup des caractères de l’onde solitaire, présente dans sa propagation des caractères assez analogues à ceux des ondes solitaires. Ainsi, quand on arrête le mouvement du corps solide, l’ondulation de l’eau cesse aussitôt de se produire, ou plutôt de se continuer dans le haut du canal, tandis que les ondes formées précédemment continuent à se mouvoir comme si les deux mouvements de propagation et de transport du profil étaient les mêmes. Il est possible qu’il y ait surtout là, à l’arrière de la houle, une propagation de l’immobilité de l’eau, qui se produit nécessairement contre la cloison transversale arrière du canal, aussitôt que le mouvement du corps solide est stoppé. L’immobilité, en se propageant derrière les ondes, semble pousser celles-ci en avant.

X. - Résumé et conclusions

La diversité des mouvements dont les lois ont été indiquées dans les numéros précédents, et celle des dimensions dont nous avons pu donner la mesure, montrent combien la mer offre de formes changeantes ; elles expliquent comment, même parmi les navigateurs de profession, un petit nombre, peuvent. être certains de l’avoir observée sous tous ses, aspects.

Sans doute, il existe un mouvement fondamental, la houle, qui, sous ses formes variées, correspond -assez bien aux notes que donne en vibrant. Mille causes viennent en détruire la simplicité, et, dès qu’elles interviennent, la mer n’offre plus qu’une agitation irrégulière, différant autant de la houle, que la rumeur confuse des rues de nos grandes villes diffère d’une note de musique. C’est en particulier ce qui se passe d’ordinaire dans les mers de peu d’étendue.

Au large même, la production de la houle régulière à ondes indéfiniment prolongées dans le sens de leurs généralisatrices rectilignes exige tout un ensemble de conditions, l’étendue indéfinie de la mer, la constance du vent, en intensité et en direction, un état initial parfaitement calme de l’eau. Ces conditions sont souvent remplies dans la région de l’Atlantique voisine de la France, qui est soumise à l’action habituelle du vent d’ouest ; elles se montrent mieux encore sur certaines parties du domaine de la mousson et des vents alizés.

Dès que le vent n’est plus partout le même et partout constant, les irrégularités surgissent. La houle soulevée en chaque point se superpose à la houle antérieure due à une brise différente et à toutes celles venant par propagation des régions voisines où la brise souffle suivant une autre direction. La superposition de deux houles exactement pareilles et de sens contraire produisant le clapotis pur à ondes immobiles est évidemment un cas infiniment rare. Les vagues de hauteur et de vitesse variable, entes quand elles s’élèvent, rapides quand elles s’abaissent, conséquence de la superposition de deux houles contraires de hauteurs différentes ont peu de chances de se produire ; elles représentent sans doute la forme de mer si dure et si redoutée qui se rencontre quand le vent a une direction contraire à celle de la houle. Bien plus fréquent encore est l’entrecroisement de houles de directions différentes, produisant des variations de hauteur le tong de la crête de la houle principale, et pouvant donner lieu à des vagues pour ainsi dire pyramidales, si les hauteurs des deux houles diffèrent peu l’une de l’autre.

L’irrégularité revêt toutes les formes principales à prévoir sur le passage d’un cyclone, La trajectoire du centre du cyclone est agitée par deux houles de sens opposé qui peuvent donner du clapotis, ou plus vraisemblablement des vagues de hauteur et de vitesse variables, Les deux rubans latéraux voisins de la trajectoire sont parcourus par plusieurs houles de directions variables. C’est ainsi que sur nos cotes la brise tourne du S.-O. au N.-O. en passant par l’Ouest.

Nous n’avons considéré que la mer du large. Si nous approchons des côtes, nous pouvons rencontrer les hauts fonds. L’effet du défaut de profondeur est bien celui que le calcul a révélé à sir Georges Airy et à M. Boussinesq, et celui que M. de Caligny a observé ; il est souvent assez prononcé pour dénoncer la présence du haut fond et parfois le voisinage d’un écueil. Les vagues augmentent de hauteur comme par une sorte de réflexion sur le fond. En même temps, la longueur diminue beaucoup ainsi que la vitesse de translation du profil. L’acuité des sommets peut être accrue, par toutes ces causes réunies, jusqu’au point où le déferlement se produit.

Le long des plages doucement inclinées, les vagues viennent se su céder en déferlant. Les mouvements orbitaires près de ces rivages ont peu d’amplitude ; ils ne sont entretenus que par la lente propagation des mouvements ondulatoires, qu’ils contribuent à éteindre au large. C’est le premier des deux cas de propagation distingués plus haut.

D’habitude, les petites houles qui viennent briser sur des plages courbes, au fond d’une anse, ou autour d’un promontoire peu saillant, perdent la forme rectiligne dans le sens des génératrices ; elles épousent plus ou moins exactement la courbure du rivage. Cette déformation s’explique par la loi connue du ralentissement rapide de la translation des profils dans une eau peu profonde. Quand la houle rectiligne ABC se présente à l’entrée de la baie, ses deux extrémités A et C rencontrent le haut fond avant la partie centrale B, et par suite, se ralentissent les premières. La génératrice rectiligne ABC se recourbe ainsi, en prenant une forme telle que A’B’C’, à mesure que la vague s’approche du rivage.

Si la rive est bordée d’un quai ou d’une falaise accore, au pied de laquelle l’eau garde une profondeur suffisante pour porter des vagues, la mer qui vient frapper normalement, se réfléchit en produisant le clapotis dans sa plus grande pureté. Si le choc a lieu obliquement, l’entrecroisement de la houle directe et de la houle propagée par réflexion produit les vagues entrecoupées suivant les génératrices, que nous avons appelées pyramidales.

Sur un écueil isolé que la houle atteint en conservant toute sa hauteur du large, le mouvement ondulatoire peut atteindre une énorme amplitude. Le relèvement du fond, à l’approche du rocher qui émerge, peut faire monter à 16 mètres par exemple, la hauteur d’une houle de 12 mètres. Si la houle frappe ensuite une paroi verticale qui la transforme en un clapotis de hauteur double, on arrive à la hauteur de 32 mètres, atteinte un jour par l’eau verte contre le phare d’Eddystone. Les embruns peuvent aller plus haut.

À tant de mouvements variés de la masse liquide, s’ajoute encore, à des rares intervalles, le redoutable passage des ondes solitaires connues sous le nom de raz de marée. L’intumescence, produire par un phénomène séismique, probablement par une éruption de volcan sous-marine, peut atteindre une très grande hauteur ; elle se soutient sur les eaux peu profondes et elle va inonder sur une grande étendue le rivage qu’elle rencontre, engloutissant des villages entiers et déposant parfois des navires au loin dans l’intérieur des terres. On se rappelle le raz de marée, concomitant avec l’éruption du Krakatoa, qui a fait tant de victimes dans la mer de la Sonde. Quelques années plus tard, au Japon, la petite ville riante et prospère de Kamaïci a été détruite par un raz de marée tout local. Au large, le navigateur n’a pas à se préoccuper de ce terrible phénomène, qui menace les côtes des contrées volcaniques.

Pour le navigateur, l’approche de la terre seule a des dangers. La mer du large n’a que des charmes à ses yeux ; sa monotonie, même quand elle se prolonge, le berce et l’enchante ; la variété des aspects n’y manque pas d’ailleurs, même dans chaque mer en particulier, et la diversité s’accentue quand on franchit de vastes espaces. La mer a donc des attraits qui vont jusqu’à enthousiasmer ses fervents. Lors de sa promotion d’amiral, un de mes meilleurs amis m’assurait que sa première pensée a été pour le regret de n’avoir plus jamais à traverser le Pacifique sur une frégate à voiles.

La mer houleuse, par malheur, est inclémente aux novices. Pour en goûter le charme, il faut l’avoir pratiquée beaucoup. En terminant, je vous souhaite donc à tous, mesdames et messieurs, d’être assez familiarisés avec la houle pour n’avoir plus à craindre le mal de mer. Je vous recommanderai alors d’aller constater par vous-mêmes que, dans les vagues, l’eau décrit des orbites et ne siphonne pas comme le voulait Bernouilli. Vous pourrez rapporter des confirmations nouvelles, des lois que Franz von Gerstner a le premier formulées et qui ont été si longtemps méconnues. Si vous n’ajoutez aucune contribution nouvelle à la connaissance des vagues, vous aurez du moins respiré marin, d’une pureté inconnue sur le plancher des vaches : vous aurez, par surcroît, joui du calme d’esprit, qui repose si bien des misérables agitations dont est remplie la vie des pauvres terriens.

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