Le Matin : derniers télégrammes de la nuit
1921/01/01 (Numéro 13436).
Propos frigorifiques : La Terre verra-t-elle une nouvelle période glaciaire ?
À la dernière séance de l’Académie des sciences, un physicien a attribué à une tache apparue récemment sur le soleil le froid piquant que nous avons subi l’autre semaine. Car la recherche des responsabilités qui est la chose la plus détestée et la moins pratiquée dans la politique est, au contraire, l’objet principal de la science. Mais j’ai bien peur que notre physicien n’ait commis une erreur judiciaire, car pour être attribuable à une cause astronomique, il faudrait que le froid de l’autre semaine eût été général et simultané sur toute la Terre, ce qui ne paraît pas avoir été le cas. Nous avons un peu trop tendance à attribuer à des causes extraterrestres les petites contingences de notre existence, et à prendre notre clocher pour le pinacle de l’univers.
Il y a pourtant certaines variations du temps et du climat qu’on ne peut pas ne pas attribuer à des causes astrales, et notamment ces périodes glaciaires pendant lesquelles à diverses reprises la Terre fut couverte de vastes glaciers s’étendant sur une grande partie de sa surface. La question est d’autant plus intéressante que d’après certains géologues et astronomes, nous sommes en train de nous acheminer vers une nouvelle période glaciaire. Brrr ! On tremble d’y penser ! Heureusement, nous pouvons nous rassurer en songeant que notre durée est plus courte que celle des périodes géologiques et que, grâce à cette heureuse circonstance, ce sont nos arrière-petits-neveux, tout au plus, qui reverront des glaciers au centre de la France.
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À quoi a été dû, à quoi pourra être dû demain — si j’ose ainsi dire — ce refroidissement complet du climat terrestre ? Il est d’ailleurs prouvé que les ères glaciaires ont été probablement simultanées sur tout le globe et ont certainement alterné avec des périodes chaudes.
Pour Arrhénius, le phénomène serait dû à la teneur, variable avec le temps pour diverses raisons, de l’acide carbonique contenu dans notre atmosphère. Or ce gaz laisse passer la chaleur qui nous vient du soleil et absorbe au contraire très fortement les rayons obscurs que la terre envoie dans l’espace. Autrement dit, ce gaz que les diverses combustions et la respiration des êtres vivants accumulent dans l’air, agirait comme une sorte d’édredon qui peu à peu aurait augmenté la température moyenne du globe. On a fait beaucoup de critiques à cette théorie. Pour d’autres savants, c’est la teneur en vapeur d’eau de l’air qui aurait produit un résultat analogue. Pour d’autres, c’est simplement le fait que l’excentricité de l’orbite terrestre varie avec le temps, et périodiquement, ce qui expliquerait l’alternance successive des ères glaciaires et chaudes. Malheureusement les auteurs ne sont pas d’accord lorsqu’il s’agit de savoir si une augmentation de l’excentricité — c’est-à-dire du fait, qu’aux diverses saisons, la terre est a des distances inégales du soleil — accroît ou diminue la température terrestre moyenne !… Avant d’aller plus loin, il conviendrait d’éclairer cette lanterne-là.
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Nous ne pouvons enfin passer sous silence les ingénieuses théories d’après lesquelles les périodes glaciaires seraient dues à ce que l’inclinaison de l’équateur terrestre sur l’écliptique varie avec le temps et oscille entre 21 et 27 degrés et demi. On sait que ce phénomène consiste dans le fait que l’axe de la Terre est plus ou moins incliné sur son orbite, de même que l’axe d’une toupie par rapport au plancher. C’est cela qui cause les saisons, comme chacun sait.
En l’an 29400 avant J.-C. environ, l’équateur terrestre était incliné de 27,5° environ, en 14400 avant J.-C, il ne l’était plus que de 21° ; remonté à 24° en 2000 avant J.-C., il ne sera plus incliné que de 22° en l’an 6000 de notre ère. bientôt donc. Il est facile de voir que ce phénomène doit produire des variations importantes dans les climats terrestres, et tend à refroidir maintenant le globe. Ce qui tend aussi à le prouver, c’est l’histoire. Il y a 2000 ans, on a franchi facilement les Alpes et les Pyrénées avec des éléphants qu’on pouvait employer dans nos régions comme bêtes de trait, et on a effectué jadis au Groenland des voyageas avec des navires qui ne pourraient résister aux courants de glaces de nos jours.
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Ajoutons, pour être complet, que certains attribuent l’alternance des ères glaciaires et chaudes, à ce que dans sa course à travers l’espace, le Soleil, avec ses planètes qui courent derrière son char doré, rencontrerait des régions plus ou moins chargées de poussières cosmiques, de petits nuages qui intercepteraient plus ou moins les rayons qui nous viennent de lui.
On voit que les explications ne manquent pas. C’est dire qu’aucune n’est parfait. Bénissons pourtant notre ignorance du temps qu’il fait et, fera : c’est elle qui fournit le principal aliment à notre voracité des conversations mondaines. Et le temps n’est-il pas, bien plus intéressant et bien moins capricieux que la politique ? Car enfin on a toujours vu les girouettes n’indiquer q’une seule direction à la fois, tandis que…
Charles Nordmann