Un physicien du siècle dernier a prétendu que, dans le principe, l’homme, entièrement soumis à la domination de la nature, était doué de la faculté de prévoir, ,au moyeu des influences qu’il ressentait, les variations atmosphériques et la plupart des phénomènes terrestres. Les animaux jouissent encore instinctivement d’une pareille faculté ; mais l’homme, ayant émoussé ses sens, détruit la sensibilité de ses organes, affaibli son tact, raccourci sa vue, substitué l’intempérance à sa sobriété originelle et remplacé, en un mot, tous ses goûts primitifs par des goûts factices, renversa l’autorité que la nature avait sur lui ; il en fut puni en se trouvant tout à coup privé de la faculté intuitive qui lui faisait prévoir l’approche des phénomènes naturels.
Suivant le même physicien, l’homme réduit à l’impuissance de savoir dans quel milieu atmosphérique il vivrait le lendemain, chose qui avait pour lui tant d’importance, fit d’incroyables efforts, sinon pour recouvrer la belle faculté qu’il avait perdue, au moins pour suppléer à celle perte par l’invention de quelque procédé artificiel qui conduisît au même résultat. Après des siècles de recherches vailles, le baromètre fut inventé, en 1643, par Torricelli, disciple de Galilée.
Cet instrument d’un usage si général aujourd’hui, même parmi les agriculteurs, est le seul que la science nous offre comme indiquant les variations de l’atmosphère et la nature des changements de temps. On a toujours su que ce sont ces variations de l’atmosphère qui occasionnent l’ascension ou l’abaissement de la colonne de mercure dans le tube barométrique, en rendant l’air plus ou moins lourd, selon la quantité de vapeur d’eau qu’il contient ; mais à quelle cause attribuer le plus ou moins d’humidité de l’atmosphère ?
C’est une question qui ne nous parait pas définitivement résolue. D’illustres physiciens attribuèrent ces fluctuations à la même cause qui produit le flux et le reflux de la mer, c’est-à-dire à l’action de la Lune. « Cette cause, dit d’Alembert, doit certainement entrer parmi celles qui produisent les variations du baromètre ; mais son effet ne doit pas être fort considérable à cet égard, quoique l’action de la Lune élève à une hauteur très grande les eaux de l’Océan. Voici, ajoute-t-il, la raison de cette différence : supposons que l’eau s’élève en pleine mer à la hauteur de 60 pieds par l’action de la Lune ; qu’on mette, à la place de l’Océan, l’atmosphère ou tel autre fluide qu’on voudra : il est certain qu’il devra s’élever à peu près à la même hauteur, car l’atmosphère ayant moins de parties que l’Océan, il y aura, à la vérité, une moindre masse à mouvoir, mais aussi la force qui agite cette masse, en attirant chacune de ses parties, sera aussi plus petite en même raison. L’air s’élèvera donc à la hauteur de 60 pieds, c’est-à-dire qu’il variera en hauteur de 120 pieds en tout. Or, le mercure étant 11000 fois plus pesant que l’air, une variation de 120 pieds dans une colonne d’air ne doit faire varier le mercure que d’environ 2 lignes. C’est à peu près la quantité dont on trouve qu’il doit varier sous l’équateur [1], dans la supposition que le vent d’est y fasse 8 pieds par seconde. »
Pour faire échapper à l’influence de la lune les variations de la pesanteur de l’air, on les a attribuées aux vents ; mais ce n’était que reculer la difficulté, car quelle est la cause des vents ? Après avoir dit qu’elle se trouve dans les variations subites de température qui se produisent dans l’atmosphère, on en viendrait, de déduction en déduction, à conclure que les variations de l’humidité de l’air sont dues aux variations de la température atmosphérique ; ce qui ne résoudrait pas le problème, parce qu’on pourrait demander encore quelle est la cause de ces dernières variations. En répondant à cette question, on risquerait de tomber dans un cercle vicieux dont on ne pourrait plus sortir. Il nous semble que la véritable cause des oscillations de la colonne barométrique n’est pas là où on la cherche.
Nous n’avons à nous occuper ici que des applications du baromètre à la pratique agricole, et, pour cette raison, nous devons mettre les cultivateurs en garde contre les oscillations périodiques de cet instrument qui se reproduisent tous les jours à certaines heures fixes, ce qui leur a fait donner le nom de variations horaires. Ces variations, qui n’indiquent jamais un état particulier de l’atmosphère, sont d’autant moins régulières qu’on s’éloigne davantage de l’équateur, dans nos climats elles sont souvent troublées par des variations accidentelles, qui n’ont jamais lieu sous les tropiques [2].
En France, le baromètre offre chaque jour trois variations horaires ; en hiver, il monte jusqu’à neuf heures du matin, où il atteint pour la première fois sa hauteur maximum ; il baisse ensuite jusqu’à trois heures de l’après-midi, époque de sa hauteur minimum, et remonte jusqu’à neuf heures du soir, où il atteint pour la deuxième fois sa hauteur maximum. En été, la première hauteur maximum du baromètre est vers huit heures du matin. la seconde à onze heures du soir, et la hauteur minimum vers quatre heures de l’après-midi. C’est vers midi que le baromètre marque la hauteur moyenne de la journée. Toutes les oscillations du baromètre qui se produisent en dehors de ces variations horaires sont produites par un état particulier de l’atmosphère et annoncent un changement de temps. Ces variations sont dites accidentelles, par opposition aux variations régulières.
Lorsqu’on veut observer le baromètre, il faut partir de ce principe que, la pression de l’air étant la même partout à une même élévation au-dessus du niveau de la mer, le mercure prend en chaque lieu d’observation une hauteur en rapport avec l’altitude de ce lieu ; ainsi, à Paris, la hauteur moyenne du baromètre est de 756 millimètres ; la plus grande hauteur qu’il puisse atteindre dans cette ville est de 790 millimètres, ce qui n’arrive qu’en hiver, par un vent sec de nord-est. Le point le plus bas où il puisse tomber est 700 millimètres, ce qui ne peut arriver que sous l’influence d’un vent fortement humide du sud-ouest.
L’illustre Edmond Halley fut le premier savant qui nous apprit à interpréter l’étal du temps par les variations de la colonne barométrique : « Dans un temps calme, lorsqu’il doit pleuvoir, écrivait-il dans les Transactions philosophiques, le mercure est habituellement bas ; il s’élève quand le temps doit devenir serein. Lorsqu’il doit faire de grands vents accompagnés de pluie, le mercure descend plus ou moins, selon la direction du vent régnant. Toutes choses égales, la grande élévation du mercure arrive quand les vents soufflent de l’est ou du nord-est. Après que le vent a soufflé violemment, le mercure, fort bas, s’élève avec rapidité. Dans un temps calme, pendant la gelée, le mercure se tient haut. L’élévation du mercure présage le beau temps après la tempête et le souffle du vent d’est ou du nord-est ; son abaissement, au contraire, présage la pluie avec le vent du sud ou de l’ouest ou des vents d’ouragan ; si le mercure vient à s’élever pendant la tempête, il indique qu’elle touche à sa fin. »
Les remarques de Halley sur les indications barométriques ont été confirmées par une foule d’observations postérieures, et, aujourd’hui même, elles forment encore la base des règles données par la plupart des météorologistes pour l’interprétation des mouvements de la colonne de mercure.
Pour qu’on ne se méprenne pas sur la valeur du baromètre, il est utile de faire remarquer qu’il n’a pas la puissance de nous apprendre l’avenir i ses oscillations annoncent toujours un état présent et jamais un état futur de l’atmosphère. Ce qui le rend si précieux pour nous, c’est l’extrême précision avec laquelle il constate jusqu’à la moindre fluctuation qui s’opère dans le milieu gazeux où nous vivons.
On n’a considéré les mouvements de la colonne de mercure, comme indiquant des changements de temps, que parce qu’on savait que ces mouvements sont occasionnés par des variations dans la densité de l’air, et que chacune de ces variations est toujours suivie d’un nouvel état atmosphérique, qui se traduit pour la terre en un changement de temps déterminé. Or, comme la variation dans la pesanteur de l’air se produit toujours un laps plus ou moins long avant que le changement de temps se manifeste, il arrive qu’aussitôt que le baromètre accuse une variation dans le poids de l’atmosphère, on peut prédire à coup sûr le changement de temps comme prochain et même annoncer quelle sera la nature de ce changement : il n’est besoin pour cela que de connaître la signification météorologique des divers mouvements du mercure.
Comme le mercure indique en s’élevant une tendance à la sécheresse, et en s’abaissant une tendance à la pluie, il est important de pouvoir distinguer d’un seul coup d’œil s’il monte ou s’il descend. Le moyen de reconnaître ces deux états du baromètre existe, et, de plus, il est très simple : 1°- Quand on voit le sommet de la colonne de mercure prendre la forme convexe, c’est-à-dire plus renflée au milieu que sur les bords, on peut être assuré que le baromètre monte ; 2°- quand on voit, au contraire, le haut de la colonne affecter une forme concave, c’est-à-dire moins élevée au milieu qu’aux bords, on peut être certain que le baromètre descend. La colonne de mercure s’élève dans le vide sous la pression de l’air sec, dont le poids est presque moitié plus considérable que celui de l’air humide, qui permet à cette colonne de s’abaisser ; la pesanteur de l’air sec étant 1000, la pesanteur de la valeur d’eau n’est que 620.
Voici les principales probabilités qu’on a déduites des divers mouvements du baromètre : Pendant l’hiver, l’ascension du mercure annonce la gelée, et lorsqu’il gèle, la neige. — Si le beau temps vient immédiatement après que le baromètre a monté, il est de peu de durée. — Si dans une période de mauvais temps le baromètre monte beaucoup et reste élevé, deux jours après il fera beau, et le beau temps se maintiendra ; mais si, au contraire, le mercure monte beaucoup et rapidement, le beau temps qui suivra durera peu. — En général, le baromètre monte beaucoup quand les vents sont du nord et de l’est, mais il baisse de même quand ils soufflent du sud et de l’ouest.
Le baromètre qui descend par une grande chaleur annonce l’orage ou la tempête. — Son abaissement par un temps de gelée annonce le dégel. La pluie qui vient aussitôt après que le baromètre est descendu ne se maintient pas. — Son abaissement par un temps de pluie annonce une pluie continue. — Le baromètre descendant et restant bas, lorsqu’il fait beau, annonce une grande pluie mêlée de vent. — L’irrégularité des mouvements du baromètre indique un temps très-variable.
Pour conclusion, nous donnerons quelques règles qui sont d’une application journalière dans la pratique agricole :
1° L’élévation du baromètre au-dessus de sa hauteur moyenne annonce un temps sec et beau, et son abaissement au-dessous annonce la pluie ; 2° si le mercure, tandis que le ciel est sans nuages, tombe au-dessous de sa hauteur moyenne, le ciel se couvrira bientôt ; si le mercure s’élève, an contraire, au-dessus de cette moyenne, tandis que le ciel est chargé, les nuages sombres et épais passeront sans donner de pluie ; 3° le baromètre baissant rapidement pour remonter, puis descendre ensuite, annonce un orage ; 4° lorsque le baromètre très bas commence à monter et s’élève lentement, le beau temps est proche ; au contraire, le baromètre très haut, mais commençant à descendre et s’abaissant par degrés insensibles, annonce la venue du mauvais temps ; 5° la chute de la neige, par un temps de gelée, élève le baromètre à une très grande hauteur ; si le temps s’éclaircit en laissant le baromètre dans cette situation, il surviendra de très grands froids ; 6° lorsque la colonne barométrique, oscillant très rapidement, monte et descend comme par bonds, elle annonce les plus grandes perturbations dans l’atmosphère, perturbations qui précèdent ordinairement les trombes, les ouragans, les tremblements de terre et les grands bouleversements de la nature.
Il ne faut pas croire que, dans telle situation donnée du baromètre, l’état atmosphérique que nous avons indique doit toujours et infailliblement se produire ; la science météorologique, qui a tout à faire encore avant d’avoir mis à nu tous les ressorts de la nature, se borne pour le présent à garantir qu’il en est ainsi, au moins dans le plus grand nombre des cas.
Lecouturier