Permettez-moi de communiquer aux lecteurs de la Revue Scientifique quelques renseignements sur le rayon vert, et quelques réflexions que m’ont suggérées, depuis un certain nombre de mois, de nombreuses observations que j’en ai faites.
Il y a plus de deux ans, en septembre 1896, j’avais été frappé par ce phénomène, réputé extrêmement rare (si l’on en croit la romanesque idylle de Jules Verne), et je m’étais plu à l’observer presque chaque jour, chaque fois que la pureté de l’atmosphère me le permettait, lorsque le soleil disparaissait chaque soir, derrière la ligne de l’horizon de la mer à Saint-Georges-de-Didonne-en-Royan.
Comme beaucoup de savants, je pensais à cette époque que le rayon vert ne se produisait qu’au moment du coucher du Soleil, pendant les chaleurs, et seulement à l’horizon de mer. La teinte des eaux de cette mer n’était pas, disait-on souvent, étrangère à la coloration des derniers rayons de l’astre radieux, lorsque le segment supérieur de ce dernier vient s’abîmer dans les flots. L’explication était d’ailleurs assez poétique pour devoir être admise à première vue, attendu qu’il n’avait jamais été question de rayon vert observé sur terre.
Or, l’an dernier, et surtout cette année, pour mieux dire en 1898, il m’a été donné d’observer, et de faire observer, à des personnes non prévenues, nombre de fois le rayon vert, soit au lever du Soleil, soit à son coucher.
De ma maison, j’ai la bonne fortune de voir se lever l’astre, suivant la saison, soit du côté de Genève, soit du côté de Grenoble, sur les Alpes, et de le voir se coucher tantôt sur les monts du Beaujolais, en été, tantôt sur les monts du Lyonnais, en hiver.
J’habite en effet le cinquième étage de la plus haute maison du plateau de la Croix-Rousse, et je domine les vallées du Rhône et de la Saône.
En cherchant à observer, dès Pâques, le point de la chaîne des Alpes, où se lève le Soleil, chaque fois que l’état de l’atmosphère me le permettait, j’ai eu le plaisir d’observer, dis-je, le rayon vert aussi souvent que je l’ai voulu.
Je l’ai même souvent observé, sans la moindre précaution optique, avec ma lunette astronomique de 108 millimètres que j’avais braquée préalablement sur le point mathématique d’où devait jaillir le premier rayon.
J’ajouterai que le spectacle était alors admirable, et que j’ai vu, suivant l’époque, le rayon vert aussi bien jaillir du mont Blanc, que des autres montagnes plus méridionales des Alpes, ou des autres points, moins accidentés de l’horizon, situés entre l’équateur et le 23° degré Nord pendant l’été.
J’avais cessé d’observer le Soleil levant croyant qu’il n’était possible de relever le rayon vert que pendant la belle saison et même pendant les chaleurs : l’intéressante observation signalée à l’attention de l’Académie par M. de Maubeuge en septembre dernier, à l’occasion du lever du Soleil sur l’atmosphère pure du Sinaï, Se lait attribuer en partie la beauté de cette observation à la température calme et chaude qui régnait à ce moment sur la mer Rouge.
Mais le 27 décembre, désireux de marquer l’endroit de l’horizon où le Soleil se lève à l’un des jours les plus courts de l’année, et profitant d’un temps admirablement sec et transparent, mais présentant une température basse (5° C. au-dessous de zéro), accompagnée d’un vent assez violent, j’ai voulu assister au lever du Soleil, et j ai été agréablement surpris d’observer, avec une longue-vue terrestre, rapprochant une dizaine de fois, le rayon vert dans toute sa beauté.
J’ajouterai que j’ai observé souvent ce rayon, même plusieurs jours de suite, en septembre et octobre derniers, sur l’horizon brisé, c’est-à-dire irrégulier, des collines du Beaujolais, et même peut-être sur le toit d’une maison éloignée (mais je ne puis garantir d’une façon absolue cette dernière observation). Piqué au vif, par ces observations si fréquentes et si faciles, - il est vrai que la saison estivale dernière a été exceptionnellement favorable, - j’ai exploré avec assez fort grossissement l’extrême bord de l’astre radieux, et j’ai eu la satisfaction de constater au moment où le point opposé du limbe du Soleil quitte la Terre un rayon rouge fort vif. Il ne m’était plus difficile dès lors d’expliquer le rayon vert qui a intrigué tant de monde, par un très simple phénomène de réfraction.
Les premiers rayons du Soleil se présentent décomposés en indigo, bleu, vert, et le dernier en orange et rouge.
Avec une lunette, il est facile de constater le rayon rouge et orange, du dessous du limbe, lorsque celui-ci prend contact ou bien perd contact (au lever) avec l’horizon. Il faut reconnaître néanmoins que le phénomène du rayon vert est assez fugitif, car étant en mer, en septembre dernier, vers six heures du soir, dans la Méditerranée, et ayant averti une vingtaine de personnes qui étaient à côté de moi à bord, de guetter le rayon vert au coucher du Soleil, une quinzaine seulement, - mais parmi elles, quelques sceptiques, en cette matière, ont observé le phénomène radieux.
Comme conclusion, j’estime que le rayon vert est un simple phénomène de réfraction et qu’il doit se produire aussi bien pour la Lune et pour les étoiles que pour le Soleil, aussi bien au lever qu’au coucher d’un astre suffisamment brillant, et que le rayon rouge pourra être observé avec certaines précautions ; que ces deux rayons complémentaires sont observables en montagne, aussi bien qu’en plaine, et qu’en mer ;
Qu’ils pourraient être observés, à la rigueur, sur des horizons d’une distance fort restreinte ;
Et enfin :
Que dans les éclipses de Lune les teintes livides, puis rouges, observées sur la face de la Lune, entrant dans la pénombre puis dans l’ombre de la Terre ne sont autre chose que les reflets de magnifiques auréoles vertes, puis rouges, couronnant le limbe, du Soleil ou de la tune, à travers l’atmosphère terrestre.
V. TURQUAN