Dès le début des hostilités, en août 1914, la pénurie de monnaie d’argent multiplia les nécessités locales de recourir au papier-monnaie.
La création des billets de banque de 20 fr. et de 5 fr. ne suffit pas à compenser la gêne résultant de ce que, comme à toutes les époques troublées, le numéraire disparaissait presque en entier dans des cachettes.
C’est ainsi que l’arrêt à peu près intégral de la circulation monétaire avait déjà, lors de la première République française, fait surgir à côté des assignats gouvernementaux une grande quantité de bons de communes. Ainsi encore, en 1870-71, les bons de monnaie furent émis Par centaines.
Dès le lendemain de la mobilisation de 1914, la création d’une monnaie fiduciaire localisée devenait urgente. Et l’on vit éclore de tous côtés des petits papiers valant de 5 et 10 centimes (Chambre de Commerce de Constantine, Bons de consommation et. de monnaie des diverses villes du Nord, des Ardennes, etc.), à 100 fr. (villes de Donchery, Ardennes, Valenciennes, Chambre de Commerce de Cambrai (Nord), et même 500 fr., ville de Douai (Nord). La première de ces créations est celle de Nancy, du 2 août 1914 !
Plusieurs sortes de ce nouveau numéraire depapier ou de carton, ont vu le jour.
La plus importante est celle des billets émis par les Chambres de Commerce (départementales ou d’arrondissement), qui déposaient à la Banque de France l’équivalent, en billets de cette Banque, des coupures qu’elles émettaient.
Des instructions du Ministère du Commerce en date du 14 août 1914, précisèrent les conditions de ces émissions. Cependant, il est fort peu de ces coupures qui portent trace d’une autorisation ministérielle. On trouve mention des instructions sur les billets de la Chambre de Saint-Omer ; ceux des Chambres de Boulogne-sur-Mer et de Montluçon-Gannat relatent l’autorisation ministérielle du 20 août 1914 et du 15 octobre 1915 respectivement. Calais, Rouen, le Havre mentionnent (sans date), l’approbation de l’administration supérieure.
Dans certains départements, plusieurs Chambresde Commerce se sont réunies pour la garantie des billets (Clermont-Ferrand, Riom, Ambert, Issoire, pour la 2e série du Puy-de-Dôme) ; Quimper et Brest. pour le Finistère ; Rennes et Saint-Malo pour l’Ille-et-Vilaine ; Rodez et Millau pour l’Aveyron ; Alençon et Flers, pour l’Orne ; Alby, Castres et Mazamet, pour le Tarn, etc.
A la fin d’août 1914 la Chambre de Commerce de Paris avait présenté des essais, dont le tirage n’eut pas lieu.
Une seconde catégorie a été émise par les villes elles-mêmes par exemple à Ault (Somme), où des bons commerciaux de 1 fr., 5 fr. et 20 fr. garantis par un emprunt de 50 000 fr. furent créés le 15 septembre 1914 avec approbation du préfet en date du 13 septembre.
C’est surtout dans la région septentrionale de la France que la ville seule a pris la responsabilité de la garantie : à Épernay (bons de 0 fr. 25, 0 fr. 50 et 1 fr. émis le 5 septembre 1914, pendant l’occupation prussienne) ; à Nancy, 1 fr., 2 fr., 5 fr. (recette municipale), dès le 2 août 1914 et parfois même, dans de fort petites localités, telles que Boult-sur-Suippe et Vertus (Marne), Appilly et Mouy (Oise), Montaigu (Vendée) [bons de mairie]. Brancourt (Aisne), a eu des billets manuscrits de 0 fr. 50 et 1 franc.
Parmi les villes encore occupées par l’envahisseur il faut citer Douai (bons communaux de 0 fr. à 500 fr., émis sur la Caisse municipale à partir du 50 août 1914) ; Lille (bons communaux de 5 et 10 fr. de la Recette municipale du 51 août 1914), Roubaix et Tourcoing (bons de monnaie de 0 fr. 25 à 50 fr.), etc., etc.
A Saint-Quentin, la ville créait des Bons municipaux de 0 fr. 25 à 50 fr. (3 août 1914, 3 octobre 1914, 22 septembre 1915) ; des Bons de guerre (de 1 à 20 fr. en 1915) et des Bons de la Caisse d’Épargne.
Car, de leur côté, les Caisses d’Épargne ont créé des billets à Avesnes, Cambrai (Nord), Chauny (Aisne), Maubeuge et Saint-Quentin.
Dans une 4e combinaison, l’émission était garantie conjointement par la Chambre de Commerce et par la Ville (Abbeville, Arras, Elbeuf, Le Havre, Rouen, Orléans, etc.)
Une 5e espèce de billet a été émise par la Ville et la Chambre de Commerce (séparément ou conjointement) avec l’intermédiaire d’une banque (Amiens, banque Duvette), coupures de 0 fr. 50, 1 fr., 2 fr., 5 fr. le 15 septembre 1914.
Ailleurs, ce sont les banques seules. qui ont pris l’initiative ; par exemple, la Société agenoise, la Banque d’émission de Lille, à partir du 17 août 1914, pour des coupures de 0 fr. 25 à 2 fr. et même des jetons de carton de 5 et de 10 centimes en octobre 1915( [1]). A Reims, le Change Rémois a émis quatre tickets du format des billets de chemins de fer de 0 fr. 25, 0 fr. 50, 1 fr. et 2 fr., remboursables par 50 francs.
D’autre part, de grandes entreprises industrielles,notamment les mines, les aciéries, les tissages ont créé, surtout pour les besoins de leurs cités ouvrières,des bons et billets variant de 0 fr. 10 à 20 fr. Parmi les mines, nous citerons Bruay, Lens, Liévin, Anzin,Béthune, Aniche, Courrières dans la région du nord et Graissessac dans l’Hérault.
Pour le Creusot, Schneider et Cie ont créé, le 15 septembre 1914, des bons de 0 fr. 50, 1 fr. et 2 fr. remboursables au porteur, à présentation, mais par groupes de 250 bons semblables.
Les tissages de Bolbec et Lillebonne ont aussi émis dès le début, en 1914, des billets de 0 fr. 25 à 20 fr.
Les bons des tissages Bréchard à Roanne (1 fr.et 2 fr.) sont payables 10 jours après la signature de la paix.
Des bons de secours multiples ont été mis en circulation par lés industries et les coopératives de Reims.
Il existe encore des bons créés par des Unions de commerçants, par exemple à Corre (Haute-Saône),remboursables dans le mois suivant la signature de la paix, ainsi que des Bons régionaux communs à plusieurs départements (Nord, Aisne, Oise).
Enfin un bureau de bienfaisance a émis des bons de 0 fr. 05 et 0 fr. 10 à Roncq (Nord).
On connaît plus de 1200 variétés de vignettes ainsi émises. Beaucoup d’entre elles ne portent pas l’indication du lieu de leur fabrication, ce qui est une violation des principales conditions des lois monétaires.
Les moyens de contrôle propres à empêcher lacontrefaçon ont été aussi trop souvent omis, et une faible proportion en somme des bons ou billets présente un cachet ou estampille de garantie. Il en est même qui ne portent aucun numéro d’ordre ou de série (bons d’Épernay).
Il est donc certain qu’à la liquidation`beaucoup de faux seront, comme en 1871, présentés et payés ; on escompte qu’ils seront compensés par les billets perdus, détruits ou restés aux mains des collectionneurs.
Les dates et conditions de remboursement sont fort diverses ; elles font même complètement défaut sur les billets d’Amiens (Banque Duvette) ; d’Ault de la Chambre de Commerce de Boulogne-sur-Mer ; ceux de la Chambre de Commerce de Clermont- Ferrand, Issoire ; nous avons cité les stipulations privées de Schneider et Bréchard ; les billets de la Chambre de Commerce d’Alger sont échangeables (sans date) contre des billets de la Banque d’Algérie ; ceux de la Chambre de Commerce de Bordeaux sont remboursables à toute époque à la Banque de France ; la Chambre de Commerce de Marseille a stipulé que ses bons sont remboursables à présentation mais seulement par 50 fr. à la fois ; celle de Nantes, à présentation également, mais par 10 billets à la fois ; la Chambre de Commerce du Loiret a prescrit un délai maximum de remboursement de 2 ans ; celle d’Alençon et Flers a pris pour limite la date du 31 décembre 1917 ; Rouen exige une présentation d’au moins 100 fr. pour le remboursement à vue ; mais la clause la plus généralement adoptée est celle qui fixe à cinq ans (à compter du jour de l’émission) le délai maximum dans lequel le remboursement doit être demandé.
La hâte avec laquelle les vignettes ont dû être composées les a presque toutes privées de cachet artistique. La plupart reproduisent les armoiries des villes ou des emblèmes commerciaux. Il faut citer comme tentatives généralement malheureuses de pittoresque ou d’esthétique, les billets de Carcassonne (vue très grossière de la cité) ; Granville (le Mont Saint-Michel) ; Montauban (le grand pont) ; Alençon et Flers (fort joli encadrement de dentelle en point d’Alençon) ; Tarbes (Pic du Midi de Bigorre) Vienne (monuments romains) ; La Roche-sur-Yon, un des plus réussis, montre la Semeuse des timbres-poste et la fenaison, etc. ; la Rochelle donne une bonne vue de son port ; la vignette de Poitiers, est encadrée par les statuts de Charles Martel (1732) et de Joffre (1914), etc., etc.
Il va sans dire que les collectionneurs n’ont point manqué de jeter leur dévolu sur toutes ces créations de nécessité. Ils ont décrété de n’attribuer de mérite qu’aux coupures neuves ou du moins non flétries par l’usage.
Par suite de circonstances diverses, certains bons ou billets sont déjà de véritables raretés ; par exemple : celui de 50 cent. de la Chambre de Commerce de la Creuse et ceux de 1 fr. et 2 fr. de la Chambre de Commerce de Clermont-Ferrand-Issoire (1re série du Puy-de-Dôme). Ces deux derniers bons, retirés de la circulation en décembre 1914, ont été détruits en janvier 1915 et remplacés par une autre série (Chambres réunies de Clermont-Ferrand, Riom, Thiers et Ambert, 0 fr. 50 et 1 fr).
Les billets des régions envahies sont difficiles à trouver, pour les petites villes ; mais on se procure assez aisément ceux des grandes cités.
Le Bulletin de la Chambre de Commerce de Paris du 12 février 1916 a donné une liste des Chambres de Commerce de France, exactement au nombre de100, qui ont émis de ces coupures.
Une liste des billets émis pendant la guerre vient d’être publiée par M. A. Forbin ( [2]) ; il énumère 330 localités françaises et 1215 coupures des diverses catégories ci-dessus décrites, plus, pour l’Alsace, 17 localités et 125 coupures. L’auteur ne dorme point son travail pour complet, et il en annonce un autre sous forme de catalogue avec les prix auxquels les vignettes sont, actuellement cotées.
Pour ordre seulement, nous mentionnerons qu’à l’étranger le papier-monnaie abonde également. L’Allemagne a descendu ses billets de banque jusqu’à 2 marks et 1 mark ; en Belgique, elle a laissé émettre par la Société générale de Belgique des billets de banque de 1 fr., 2 fr., 5 fr. à l’effigie de la reine Louise-Marie d’Orléans, femme de Léopold 1er et fille de Louis-Philippe ; ils sont remboursables à la Banque nationale de Belgique, au plus tard 3 mois après la conclusion de la paix.
Le 1er septembre 1914, le consortium des banques de la ville de Tournai avait émis pour 2 millions de francs de coupures de 1, 2, 5 et 10 fr. avec l’autorisation de l’autorité communale ; Courtrai en avait créé de 1 fr., 2 fr., 5 fr., 10 fr., etc.
Sans entrer, faute de documentation suffisante, dans plus de détails, nous mentionnerons tout au moins, qu’au début de 1916, la Russie a émis 5 coupures officielles de 1, 5, 5 et 50 kopecks (au change actuel, un peu moins de 2 cent., 4 cent., 6 cent., 10 cent. et 1 fr.).
Il semble bien que le billet de banque de 2 cent : soit le plus pauvre qui ait jamais vu le jour !