Par suite de la nécessité de se vêtir, la cherté croissante des tissus se fait vivement sentir en ces temps de vie chère. La femme qui songe à se commander un costume, l’homme qui renouvèle sa garde-robe défraîchie, se plaignent vivement d’en subir les effets. Quelles sont les causes de cette élévation de prix ? Dans quelles proportions atteint-elle la consommation courante ? Ce sont là deux questions qu’il peut paraître intéressant d’élucider.
En dehors de diverses causes secondaires que nous indignerons plus loin, trois facteurs principaux ont ameuté la hausse du prix des étoffes, quelles qu’elles soient. Ce sont :
1° L’élévation du prix de la matière première.
— De quelque textile qu’il puisse être question, la hausse, comparativement aux prix d’avant la guerre, a été excessive. Nous l’avons déjà récemment signalée pour la soie ( [1] ), nous allons la préciser pour le coton et la laine qui sont avec elle les deux principales fibres le plus couramment consommées par l’industrie. Cette précision va nous être aisée, car de tout temps l’un et l’autre ont été cotés à la Bourse du Havre. On pourrait s’étonner que, eu égard à leurs variétés d’aspect et de qualités, ils puissent être journellement cotés sous une seule rubrique et sous un seul cours, mais on a eu soin de prendre comme base des transactions un type unique auquel il est facile de rapporter les autres. Pour le coton, que nous pouvons donner comme exemple, la marchandise se spécifie en balles et pour en indiquer le degré de propreté on a imaginé trois types : le middling fair, très propre, le low middling, assez chargé de feuilles, et le middling, qualité moyenne ; mais il a été entendu que lorsqu’on achète ces balles, celles-ci sont arbitrables sur le type middling et que rien ne doit être livré au-dessous du low middling, ni au-dessus du middling fair ; de sorte que le vendeur peut à son ré livrer une qualité égale ou supérieure au coton le moins propre, le prix dans ces conditions n’étant qu’une base destinée à fixer le taux définitif, parce qu’il a la faculté au moment de la livraison de facturer la marchandise 5 francs de moins, par exemple, elle se rapproche plutôt du type inférieur, en se con formant pour la vérification de cet écart à l’appréciation rapide et sans appel d’un arbitre assermenté Ceci entendu, voici quelles ont été les cotes moyenne du coton au cours des six premiers mois de l’armé de la déclaration de guerre, décima !es négligées :
Janvier 1914 | 85 |
Février — | 83 |
Mars — | 82 |
Avril — | 83 |
Mai — | 86 |
Juin — | 89 |
ce qui donne une moyenne de 84 fr. 65. Les prix des six premiers mois de cette année ont été par contre les suivants :
Janvier 1916 | 110 |
Février — | 110 |
Mars — | 110 |
Avril — | 109 |
Mai — | 113 |
Juin — | 115 |
Ce qui donne une moyenne d’environ 111 francs. Actuellement le prix du coton est monté à 155 fr,
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette hausse n’a pas eu pour cause principale un déficit dans la production mondiale. Aux États-Unis, qui sont les grands régulateurs des marchés cotonniers, on a bien constaté un recul dans la récolte, puisque celle de 1915 n’a été que de 11 954 000 balles alors que celle de 1914 s’était élevée à 16 938 000 balles, mais ce n’est pas un vide de 4 984 000 balles qui a pu influencer les cours de la sorte. La vraie raison est avant tout l’élévation des frets, causée directement par l’état de guerre.Il faut se rappeler à ce propos que le coton américain est surtout expédié en Europe et notamment -à Liverpool et au Havre, sièges des deux principales Bourses de ce textile en Europe, par trois ports, Galveston, New-Orléans et Savannah, mais que le premier à lui seul absorbe plus des trois quarts des expéditions américaines. Or, dans un rapport récent et abondamment documenté sur l’augmentation des frets, l’Association of lmporters and Exporters, de Manchester, a prouvé que le prix du fret de Galveston à Liverpool avait monté depuis le commencement des hostilités de 566 pour 100. D’autre part, le fret d’une balle entre Galveston et le Havre est passé de 8 francs à 80 francs, mais vu la pénurie de navires français, on ne charge pour la France qu’à de rares intervalles. Comment une matière première pourrait-elle supporter sans répercussion sensible des frais généraux de cette nature ?
La hausse a été également excessive pour la laine. Voici, en effet, la moyenne des cotes du Havre pendant les six premiers mois de l’année de la déclaration de guerre :
Janvier 1914 | 185 |
Février — | 197 |
Mars — | 205 |
Avril — | 213 |
Mai — | 218 |
Juin — | 228 |
ce qui donne une moyenne de 203 francs ; et voici par comparaison les cotes sur la mème place des six premiers mois de cette année :
Janvier 1916 | 320 |
Février — | 325 |
Mars — | 325 |
Avril — | 330 |
Mai — | 325 |
Juin — | 330 |
ce qui donne une moyenne de 326 francs. Actuel lement la laine est montée à 450 francs.
Là aussi la hausse du fret a joué son rôle, car en raison de l’absence de consommation des pays envahis, de la Belgique et de l’Allemagne, la production normale des laines coloniales eût plutôt amené la baisse. Mais il y a eu autre chose. Nous avons eu d’abord une diminution quelque peu sensible dans la production des laines françaises, qui sont pour l’industrie un appoint important, par suite de l’occupation par l’ennemi d’un certain nombre de départements producteurs : En outre, les laines coloniales elles-mêmes se sont raréfiées par suite des achats considérables effectués en Argentine par l’Allemagne et dans le Dominion Australien par les Germano-Américains. l’une enquête faite par le correspondant du Times à Buenos-Aires, il résulte, en effet, que le gouvernement allemand a acheté l’année dernière pour 75 millions de francs de laines dans l’Argentine et en Uruguay, et cette année pour 150 millions avant la tonte : ces laines ont été emmagasinées là-bas jusqu’à la paix et immobilisées, et les Argentins ont d’autant plus facilement consenti à ces ventes (lue, du fait des hostilités, ils se sont vus privés de leur principal et habituel débouché, celui de Roubaix Tourcoing. Les achats pour le compte de maisons allemandes des États-Unis en Australie et en Nouvelle-Zélande se sont élevés, semble-t-il, à 125 millions de francs ; il est vrai que des mesures- restrictives ont été prises récemment pour empêcher les expéditions des laines brutes australiennes en pays neutres, mais elles sont arrivées un peu trop tard. En Espagne, et notamment dans l’Estramadure, les Allemands ont fait également d’importants achats, à des prix supérieurs aux cours normaux, qu’ils ont emmagasinés sur les lieux jusqu’à cessation des hostilités. Si nous n’y mettons pas bon ordre au moment de la conclusion des conventions finales, les Allemands comptent employer ces laines dans leurs usines intactes aussi vite qu’une paix quelconque le leur permettra, pendant que de notre côté nous reconstruirons nos usines détruites.
Ajoutons qu’en ce qui concerne la France, par suite de l’absence presque complète des établissements de peignage de laine, dont les principaux avaient leur siège dans les rayons de Roubaix, Tourcoing et Reims, nous sommes aujourd’hui obligés de faire venir d’Angleterre la presque totalité des laines peignées et fils de laine peignée nécessaires à nos industries. Les Anglais, qui n’ont pas trop de ces matières pour eux-mêmes, se voient naturellement obligés de nous les fournir au « prix fort ». Observons du reste qu’en Angleterre même la hausse des matières premières textiles s’est fait sentir d’une façon absolument anormale. Il y a quelque temps, le journal anglais The Statist a publié une série d’index-numbers se rapportant de juin 1914 à avril 1916, relatifs aux textiles. Partant du chiffre I00 comme prix moyen pendant la période 1866-1877, il est arrivé aux données suivantes :
Juin 1914 | 80,6 |
Décembre 1914 | 77,8 |
Juin 1915 | 90,6 |
Décembre 1915 | 111,7 |
Mars 1916 | 118,1 |
Avril — | 119 |
Pour l’année courante, l’augmentation semble un peu se tasser ; puisque de mars à avril 1916 elle n’a été que de 0,8 pour 100, mais de juin 1914 à avril 1916 elle ne s’en est pas moins élevée à 47,4 p.100. . L’ensemble d’une hausse aussi profonde sur toutes les matières textiles dans leur ensemble est un fait unique depuis leur utilisation industrielle. On a pu enregistrer à des époques déterminées des surélévations subites sur le prix de certains textiles, permettant de remplacer dans l’usage courant les plus chers par d’autres à meilleur marché, mais seulement en raison de causes qui leur étaient propres, comme les maladies du ver pour la soie en 1855, la guerre de sécession américaine pour le coton en 1865, la grande mortalité du troupeau australien -par suite de la sècheresse en 1911, etc. : jamais à .aucune époque on n’avait assisté à une progression de cette nature sur tous les textiles sans exception.
De Foville, qui de son vivant fut un statisticien éminent, a, dans un travail étendu, analysé les variations de prix des marchandises en France pendant .un demi-siècle. Lorsqu’on examine les chiffres qu’il a établis pour les textiles, on constate que dans une période de 25 ans ceux-ci n’avaient pas plus augmenté dans leur ensemble que depuis le commencement de la guerre actuelle.
2° Rareté du tissu.
— La production des pays envahis faisant défaut à la vente, la demande est devenue supérieure à l’offre, et nous avons été obligés pour y satisfaire de chercher nos fournisseurs à l’étranger. Nous allons montrer par quelques chiffres combien nos importations de produits textiles manufacturés sont pendant les hostilités supérieures aux envois qui nous sont faits en temps normal.
Prenons comme exemple les fils et tissus de coton et examinons comparativement quelles sont les quantités qui nous ont été expédiées avant et pendant la guerre par les quatre principaux pays producteurs avec lesquels nous pouvons faire commerce : l’Angleterre, l’Italie, la Suisse et l’Espagne. Les relevés que nous allons donner se rapportent au commerce spécial et sont désignés en quintaux métriques :
Pour les fils les importations ont été en 1914 :
Angleterre | Italie | Suisse | Espagne |
11 937 | 196 | 1038 | 190 |
soit au total 19285 quintaux. L’année précédente (1915), elles s’étaient élevées respectivement pour chacun de ces mêmes pays à 24 775, 61,1290 et 2, formant un total de 31280.
Or, voici les chiffres de 1915 :
Angleterre | Italie | Suisse | Espagne |
173 909 | 27 398 | 1560 | 20625 |
Le total 223 499, donne un excédent de 204 204 quintaux !
Arrivons aux tissus, pour lesquels les chiffres sont encore autrement impressionnants.
Les envois de 1914, toujours exprimés en quin taux métriques, ont été de :
Angleterre | Italie | Suisse | Espagne |
22 722 | 4951 | 1057 | 5800 |
Le total est de 49498. Remarquons que pour 1915 ces mêmes données se chiffraient respectivement 23 749, 278, .1770 et 24 (total : 48 205), et pour 1912 : 25 935, 504, 1621 et 59 (total : 48 843).
Comparons maintenant les importations de 1915 :
Angleterre | Italie | Suisse | Espagne |
309640 | 122120 | 4791 | 137 644 |
celles-ci constituent un ensemble de 671 612 quintaux, présentant un excédent sur 1914 de 622156 quintaux ! L’Espagne notamment a fait, grâce à la guerre, des affaires d’or avec nos départements méridionaux auxquels les tissus de coton des régions productrices septentrionales non envahies ne parviennent qu’avec la plus grande irrégularité, en raison de la crise des transports par voie ferrée. Bien entendu, l’étranger a su nous faire payer ses envois à prix très rémunérateurs pour lui.
Nous pourrions citer pour les fils et tissus de laine des chiffres identiques que nous ne donnons pas pour ne pas surcharger cet article de statistiques.
On a bien essayé de remonter le courant en dé plaçant provisoirement ou en agrandissant quelques centres de production, mais ce supplément a été relativement infime et nous ne comprenons pas comment on a pu dire et écrire que le mouvement qui s’est produit en ce sens n’a de comparable que l’exode des filateurs d’Alsace chassés de Mulhouse en 1871 par l’annexion et venant implanter leurs établissements dans les Vosges et la Meurthe-et-Moselle. Assurément, une ou deux !literies :fabriques de fil à coudre) de lin sont venues s’établir en Seine-Inférieure, trois filatures de coton ont été remises en marche à Rouen, de même une retorderie à Oissel, quelques immigrés ont repris des ateliers abandonnés dans le Calvados et l’Eure, d’autres ont tenté de monter dans quelques centres épars, et avec un matériel d’occasion qu’on leur a vendu du reste au double du temps normal en raison de la hausse des métaux, un certain nombre d’établissements textiles, des fabricants de toile d’Armentières ont eu le temps de transporter leur matériel ailleurs ; Lyon, enfin, dont les métiers de soieries peuvent assez facilement s’accommoder de la fabrication des lainages, semble avoir trouvé pour certains articles un chemin de Damas jusque-là ignoré ; mais ces louables tentatives, dont quelques unes laisseront certainement des traces après la guerre, ne constituent, si l’on peut dire, qu’une goutte d’eau dans l’Océan. La meilleure preuve en est que les importations de tissus des premiers mois de 1916, bien qu’atténuées par l’arrivée de cet appoint nouveau, n’en ont pas moins continué. l’our nous en tenir aux seuls tissus de coton anglais, par exemple, janvier 1916 en a vu importer 13 723 contre 15 830 quintaux en janvier 1915, février 16 740 contre 16 891, mars 13 414 au lieu de 30 463, avril 16691 contre 29084, etc. Il faut aussi pour apprécier ces relevés, tenir compte de ce fait que la demande a da forcément se ralentir, lorsque les premiers besoins de la consommation courante, forcément restreints en temps de guerre, ont été satisfaits, et prendre en considération que beaucoup, avant quelque temps, ne seront pas renouvelés.
3° Augmentation des prix de teinture.
— La majeure partie des tissus doit forcément subir les opérations de la teinture. En temps normal, le prix de celle-ci n’a qu’une influence assez relative sur celui du tissu lui-même ; mais il ne saurait en être de même au cours de la guerre actuelle, par la raison que 75 pour 100 des matières colorantes artificielles de la consommation mondiale étaient avant les hostilités fabriquées par l’Allemagne ; les teinturiers, qui en sont aujourd’hui privés, ont été obligés de majorer leurs prix dans des conditions exceptionnelles dont il n’est pas possible de ne pas tenir compte. L’augmentation dont nous parlons a eu lieu partout et nous allons en donner quelques exemples.
Depuis le commencement des hostilités et dans tous les pays industriels, il ne s’est pas passé de semestre sans que les teinturiers n’aient demandé à leur clientèle une ma joration dans les prix de teinture. A l’heure actuelle, celle-ci est en France d’environ 60 pour 100. En Suisse, soit presque tous les manufacturiers de cette spécialité sont syndiqués sous le nom d’ « Union suisse de la teinture », elle est de 50 pour 100 depuis le mois d’août 1914. En Angleterre, à la suite de demandes successives d’augmentation de salaires par suite de la cherté de la vie faites par les ouvriers teinturiers et admises après discussions par les patrons, les prix de teinture ont dû être également majorés et sont actuellement de 65 pour 100. Mais ce qu’il y a de curieux, c’est que l’Allemagne elle-même s’est vue contrainte de subir cette hausse générale, la plupart de ses fabriques de matières colorantes artificielles ayant été transformées en fabriques d’explosifs et de gaz asphyxiants. L’association des teinturiers de soie allemande, la seule qui actuellement ait sa raison d’être chez nos ennemis par suite de la rareté des autres textiles, a décrété une série de hausses successives sur les prix de teinture : la surélévation atteint aujourd’hui 100 pour 100, avec des ordres absolument limités. Pour la soie, la question se complique encore en Allemagne de celle de la charge. La propriété que possède ce textile d’absorber soit des matières organiques, soit des sous-sels ou des oxydes métalliques, est, en effet, utilisée en teinture pour donner plus de poids et partant plus de volume au fil ou au tissu : cette addition, appelée « charge » est parfaitement admise et ne devient frauduleuse que lorsqu’elle dépasse un certain taux ; le public lui-même y est tellement habitué qu’un tissu de soie sans charge lui parait absolument maigre et sans consistance. Mais les principales matières employées sont le bichlorure d’étain hydraté et l’acétate de plomb, et comme l’Allemagne manque d’étain et de plomb, elle éprouve les plus grandes difficultés à se procurer les sels de charge qu’elle est obligée de remplacer souvent par des matières organiques qui sont loin de donner le même résultat.
C’est là une conséquence singulière et inattendue du blocus.
Mais les tissus teints sont en gé néral apprêtés, pour avoir l’aspect marchand qui convient à la vente. Autre question qui vient compliquer encore celle des prix, en raison de l’augmentation exceptionnelle qu’ont subie toutes les matières mucilagi neuses entrant dans la composition des apprêts les plus usuels ; gommes de tout genre, gélatines, amidons, dextrine, etc. Le prix des apprêts proprement dits depuis le début de la guerre s’est accru de 30 à 40 pour 100.
Les prix du blanchiment, enfin, ont suivi la même progression que ceux de la teinture, étant donné que toutes les matières utilisées-par cette industrie spéciale ne sont plus aujourd’hui vendues qu’avec une augmentation considérable, qu’il s’agisse des produits en usage pour les fibres végétales comme le carbonate de soude, l’hypochlorite de chaux, etc. ; ou de celles nécessaires au blanchiment des matières animales, comme l’eau oxygénée, l’hydrosulfite de soude, le permanganate de potasse, le soufre pour la production de l’acide sulfureux, etc. ; ou encore des matières auxiliaires du blanchiment alcalines ou acides, comme l’ammoniaque, l’acide sulfurique, etc. La pénurie de ces produits, amenée par l’immobilisation en pays envahi de plusieurs grandes manufactures productrices (Manufactures de produits chimiques du Nord, usines de Saint-Gobain, usines Solvay, etc.), a été la cause première de la hausse qui atteint ces divers produits.
4° Autres causes
. — Nous venons d’indiquer sommairement les raisons principales de la cherté des tissus, mais il en est d’autres, d’ordre plus général, qui n’en ont pas moins une répercussion étendue et profonde sur les prix et ne sauraient certainement être négligées. Ile ce nombre est l’irrégularité de l’alimentation en matières premières textiles. Maintes fois, pour n’en donner qu’un exemple, le syndicat normand de la filature de coton s’est plaint que la gare du Havre n’expédiât par jour aux manufactures de Normandie que 300 à 400 balles, alors que celles-ci, pour la production intensive qu’elles voudraient donner en ce moment, en auraient besoin de plus du double. Par ce fait, plusieurs établissements ont dù parfois arrêter plusieurs jours faute de coton.
Il faut également faire entrer en ligne de compte le manque d’ouvriers (tisseurs, monteurs, gareurs, etc.) : la difficulté de les remplacer dans l’industrie textile où les machines sont en général assez complexes, a amené dans le personnel des tissages une augmentation passant de 2 fr. à 2 fr. 50 pour les femmes et de 4 fr. à 4 fr. 50 pour les hommes. Enfin il y a lieu également de mentionner la crise du charbon, commune à toutes les industries, et tout aussi intense qu’auparavant depuis qu’on a remplacé l’activité naturellement inventive et laborieuse d’une pléiade de négociants par un Bureau anonyme paperassier, en proie aux paralysies et aux intrigues qui accablent obligatoirement tous les bureaux.
Les résultats
. — Toutes les causes que nous venons d’énumérer rapidement ont naturellement influé sur le prix des tissus, mais il nous est matériellement impossible d’en fixer la proportion d’une manière aussi précise que nous l’avons fait pour les matières textiles brutes. Celles-ci sont ou bien cotées en Bourse suivant un type, comme nous l’avons expliqué, unique ou sur les marchés d’après une classification sommaire. Les tissus, au con traire, en raison de leur complexité, ne sauraient être désignés sous un nombre aussi restreint de rubriques. On s’en rendra facilement compte si l’on veut bien considérer combien sont variés les tissus simplement unis, c’est-à-dire obtenus par un mode de croisement uniforme, non seulement suivant le nombre des éléments (chaîne ou trame) dont ils sont constitués, mais aussi selon qu’ils sont directement dérivés des armures fondamentales, pour former des nattés, reps, levantines, serges, chevrons, losanges, satinés, etc. De plus, lorsque ces tissus sont façonnés, leur complexité devient autrement grande ; car ils peuvent être façonnés par la croisure, pour donner des côtelines, côtes, matelassés, velours gaufrés ou brochés, ou par la couleur, ou encore par la couleur et la croisure pour donner des damassés, pointillés, piqués, etc. Il n’est donc pas possible d’établir l’augmentation de prix de chaque genre, d’autant plus que chacun de ceux-ci comprend lui-même une foule de sous-catégories suivant la matière textile ou la grosseur et la torsion des fils entrant dans leur composition. Tout ce qu’il est possible de dire d’une manière générale, c’est que le tissu qui a le moins augmenté n’a subi qu’une hausse de 20 pour 100 et que la surélévation la plus forte a atteint jusque 100 pour 100 et plus : entre ces deux chiffres, on peu placer toute une gamme de prix des plus variés.
Le vêtement a subi naturellement le prix du tissu dont il est fait, mais entre tous le costume de la femme a été l’objet de l’augmentation la plus forte en raison d’un élément dont il n’était guère possible de prévoir l’influence : la mode. Alors qu’avant la guerre la jupe entravée et le corsage ajusté n’exigeaient que 2m50 à 3 m d’étoffe suivant la largeur de celle-ci, la jupe large bien qu’écourtée, complétée par un corsage à larges plis en demande 4 ou 5 et parfois davantage. Ce que l’on peut regretter, c’est de voir l’outrance de la mode, qui est l’obsession du mannequin, se produire en un moment où elle devrait être effacée et discrète. Mais, comme l’a fait spirituellement remarquer un écrivain, « la guerre, ce n’est que la guerre, et une saison sans mode, ce serait une révolution ».