Péchelbronn, dont le nom allemand signifie la Fontaine de la poix, est une annexe de la commune de Merkweiler, dans notre ancien département du Bas-Rhin, au pied des basses Vosges. En regardant autour de vous, dans la localité, vous voyez du bitume noir, d’une consistance huileuse, surnager au-dessus de l’eau des rigoles, à travers les prairies. L’eau de la plupart de ces rigoles est plus ou moins saumâtre, d’où le nom de Seltzbach, anciennement Salza, donné au ruisseau qui reçoit encore les petits affluents du Kinderloch, du Fusselgraben et du Rothgraben. Une villa, habitée par la famille Lebel, propriétaire des exploitations de pétrole, s’élève au bord de la route de Lampersloch à Soulz-sous-Forêt, entourée de raffineries d’huile minérale, avec leurs grandes cheminées fumeuses. Dans la prairie, pointent de distance en distance des pyramides en planches, pareilles à des flèches de clochers sans tours, mais contre lesquelles s’adossent de petites maisonnettes en planches également. Ce sont les abris des sondages pour la recherche du pétrole jaillissant. Tout le terrain environnant forme des ondulations bien accentuées, avec des différences de niveau de 10 à 20 mètres, entre les bas-fonds et les lignes de faîte. Tandis que les fonds sont en prairie, les cultures arables occupent les terrains élevés. Les terrains de la surface se composent de lehm, de gravier et de terre végétale provenant d’alluvions anciennes ou modernes. Les terrains traversés par les puits ,et les sondages appartiennent aux formations tertiaires, avec prédominance de marnes grises ou verdâtres, sableuses par places, auxquelles sont subordonnés des lits de sable incohérent ou agglutiné par un ciment calcaire. Les montagnes qui dominent Péchelbronn et Lobsann sont formées de grès vosgien revêtu de belles forêts. Un des promontoires de ces montagnes est le Liebfrauenberg, où Boussingault, l’éminent et regretté chimiste, a fait ses premiers essais de chimie appliquée à l’agriculture.
Certaines sources des gisements de Péchelbronn, ouvertes par des sondages, jaillissent à de grandes hauteurs au-dessus du sol, à la manière des geysers d’Islande. Pour l’exploitation, il faut les capter, au moyen de tuyaux : quelques sondages fournissent par jour jusqu’à 10000 litres et plus. Outillage et installation sont fort simples d’ailleurs. L’installation se compose d’un chevalet ou chevalement, en forme de pyramide, haut de 8 mètres, Quatre poutres réunies par en haut et écartées en bas constituent la charpente recouverte de planches sur les quatre faces, avec une entrée ouverte à hauteur d’homme. Sur l’une des faces, il y a une cahute ou une maisonnette également en planches, allant à mi-hauteur de la pyramide et en communication avec l’intérieur. Servant d’abri pour les ouvriers, la cahute reçoit aussi le levier qui fait marcher le trépan de sonde appuyé sur un tréteau. Au sommet, où elle est ouverte, la pyramide porte un chapeau destiné à arrêter le jet d’huile jaillissant, en dirigeant le liquide sur les faces extérieures, de manière à ne pas se répandre au loin sur les terres environnantes. Dans un des coins, se trouve une pompe aspirante et foulante, qui fournit de l’eau à l’intérieur de la tige de sondage. Cette tige est creuse ; elle se compose d’une série de tuyaux en fer, longs de 2 à 5 mètres, vissés bout à bout après le trépan. Un peu plus large que les tuyaux, qui mesurent de 4 à 5 centimètres de diamètre extérieur, le trépan porte sur les deux côtés des trous en communication avec l’intérieur de la tige et des tuyaux. Le levier ou balancier qui meut le trépan et le fait agir, consiste en une simple poutre manœuvrée par deux hommes. L’eau, refoulée à l’intérieur par la pompe, délaye les terres et les pierres pulvérisées par le trépan, afin de les amener à la surface à l’état de boue.
Ce procédé de sondage, appliqué à Péchelbronn depuis 1881 et imaginé par l’ingénieur Fauvel convient parfaitement à la nature des terrains de la localité. Quand les couches pétrolifères sont atteintes, l’huile remonte par le tube et refoule l’eau amenée par la pompe. On l’a vue jaillir à des hauteurs de 15 à 20 mètres au-dessus du sol, chassée par la pression des gaz qui se dégagent de l’intérieur de la nappe souterraine. Autour du tuyau, la terre se tasse et se soude peu à peu assez hermétiquement, au bout de quelques semaines, pour que l’huile s’écoule seulement par l’intérieur du tuyau, où l’on en règle l’écoulement par un robinet, à volonté. Peu à peu, la pression des gaz qui font jaillir le jet d’huile diminue de force. Alors, les ouvriers appliquent une pompe fonctionnant jusqu’à épuisement de la source au point de sondage. Quelques sondages de Péchelbronn atteignent jusqu’à 230 mètres de profondeur, beaucoup plus que lès anciens puits.’ Pour arriver à une profondeur de 150 mètres, il faut en moyenne ici 25 jours de travail continu, nuit et jour.
Les bons résultats donnés par les sondages du procédé Fauvel ont fait renoncer, à Péchelbronn, à l’exploitation par des puits suivant l’ancienne méthode. Les anciens puits ne descendaient pas à plus de 100 mètres ; mais la richesse des gisements augmente avec la profondeur. Actuellement, l’exploitation s’effectue dans trois zones, correspondant aux profondeurs moyennes de 70, 150 et 200 mètres. On remarque que les sondages les plus productifs, ceux qui donnent le plus d’huile, correspondant aux thalwegs, aux lignes de plus grande pente de la surface. Pour les sondages correspondant aux lignes de faîte, le rendement est beaucoup plus faible. Dans ces sondages, l’eau nécessaire pour déblayer dans le tuyau les roches triturées par le trépan doit être amenée aux pompes par voitures. Quand la force de propulsion des gaz, à l’intérieur des sondages, ne suffit plus ’pour faire jaillir le pétrole et le conduire dans le réservoir de l’usine à raffiner, la pompe, nous l’avons dit, s’applique aussi à cette opération du transvasement. Tous les tuyaux d’exploitation aboutissent dans un réservoir collecteur, qui reçoit l’huile naturelle des différents sondages, et l’envoie aux alambics pour la distillation. Un tuyau spécial recueille le gaz inflammable qui se dégage spontanément du réservoir à huile elle conduit sous une cloche pour éclairer le laboratoire de l’usine. Les gravures jointes à notre article sont faites d’après des photographies de M. Hüffel, qui a bien voulu nous accompagner dans notre visite. Non seulement les dégagements de gaz inflammables se produisent à la surface du réservoir à l’huile de la distillerie, mais ils se manifestent à l’intérieur des galeries. Sous ce rapport, la fontaine ardente de l’Isère est depuis longtemps célèbre, comme le sont devenues depuis les sources permanentes des États-Unis d’Amérique. A Péchelbronn, toutefois, les dégagements ne sont pas continus ; ils sont retenus, soit dans les fissures du sol, soit dans les veinules de sable qu’ils projettent parfois dans les galeries. Les gaz produits se trouvent aussi en solution dans l’eau et dans le pétrole vierge. Parfois, quand on pratique une galerie, le sol en produit de telles quantités, que les masses d’argile se détachent spontanément de la paroi attaquée par les mineurs. M. Lebel, qui nous a fait visiter les gisements, a vu le phénomène du dégagement se produire sous ses yeux. Un jour, les rouleurs, chargés d’enlever les déblais, venaient de débarrasser une galerie. En rentrant, ils trouvèrent celle-ci de nouveau remplie de débris, ne pouvant comprendre que leurs camarades avaient en aussi peu de temps abattu tant de matière. Leur surprise ne s’était pas encore dissipée que le gaz recommença à se dégager plus fort, avec un bruissement inquiétant. Les lampes des mineurs commencèrent à filer, si bien qu’il fallut sortir de la galerie pour n’y plus revenir, car les parois s’éboulèrent. Avec des lampes Davy, on eût risqué une explosion soudaine, que l’emploi de la lampe Muscler permet d’éviter. Une source d’huile assez abondante résulta de l’éboulement produit à cette occasion. Les choses pourtant ne se passent pas toujours sans accident. Plus d’une fois, la production abondante d’hydrogène protocarboné a mis le feu aux travaux, Une détonation de cette nature, la plus violente dont on se souvienne à Péchelbronn, a causé la mort de cinq mineurs dans la mine Madeleine, le 16 juin 1845.
Sans avoir l’importance des gisements pétrolifères des bords de la mer Caspienne et du nord de l’Amérique, l’exploitation de Péchelbronn est pourtant la plus considérable de l’Allemagne. L’épuration de l’huile naturelle recueillie se fait ici, en ce moment, dans une douzaine d’alambics en tôle, entourés d’un manchon en briques, chauffés à la houille ou au coke provenant des résidus. Les alambics sont de forme cylindrique et d’une capacité suffisante pour recevoir chacun 16 000 kilogrammes de pétrole à la fois. Des chaudières établies à côté fournissent de la vapeur d’eau surchauffée pour la distillation de l’huile. A l’intérieur des alambics, cette huile atteint une température de 270 degrés centigrades. M. Lebel tire de l’huile naturelle de son exploitation les produits dont la densité relative varie comme suit :
Gazoline | 0,670 |
Benzine | 0,690 à 0,700 |
Naphte | 0,715 |
Ligroïne | 0,725 |
Pétrole | 0.800 à 0,810 |
Huile à gaz | 0,850 |
Huile n° 1 | 0,870 |
Huile n° 2 | 0,870 |
Résidus verts et noirs, coke gras |
Les huiles lourdes de 850 à 890 grammes le litre servent pour le graissage. Un jour dans l’autre, la quantité d’huile traitée a été de 20 mètres cubes en moyenne, pendant l’année 1870. Actuellement, les sondages ouverts pendant les dernières années fournissent des quantités plus considérables d’huile naturelle. Comme les alambics, les réservoirs pour emmagasiner les huiles distillées sont également de grands cylindres, en tôle, d’une contenance de 100 mètres cubes chacun reposant sur une base en briques. Dans l’origine, l’exploitation de Péchelbronn ne donnait guère que de la graisse de voiture, tirée du sable bitumineux, au lieu de la variété de produits divers obtenus maintenant par le traitement du pétrole naturel. M. Lebel, qui vient de vendre Péchelbronn à une Société par actions, s’occupe actuellement d’une monographie des bitumes et des pétroles naturels des différents pays du monde.
Depuis l’ouverture des derniers sondages de Péchelbronn qui ont fait jaillir les sources si abondantes, une véritable fièvre de recherche d’huile minérale s’est manifestée dans le pays, moins dans la population indigène que parmi ses visiteurs. Des quantités de concessions de mines ont été demandées et obtenues, sur la trouvaille de quelques échantillons de minéralogie ramassés en passant par les touristes allemands venus pour voir le nouveau Reichsland. On connaissait depuis longtemps, outre Péchelbronn et Lobsann, les terrains pétrolifères de Schwabwiller. On en cherche d’autres à Oberstritten, où le chemin de fer entre dans la forêt de Haguenau. On’ en a trouvé à Ohlungen et sur la Bieberbach , entre Biblisheim et Walbourg. Conduites avec précipitation, ces recherches étaient plutôt faites pour créer des sociétés financières, au moyen des concessions obtenues, que pour amener une exploitation régulière. Pourtant la concession de Bieberbach donne aujourd’hui assez de pétrole pour alimenter une petite distillerie. Dans la haute Alsace, nous connaissons aussi le gisement de Hirtzbach, sur les rives du ruisseau de l’Oelbach , où surnage du pétrole noir que les gens des environs employaient pour guérir leurs plaies. Les paysans se servaient de ce remède sans avoir lu la Dissertation sur l’asphalte ou ciment naturel, écrite par Eirini d’Eyrinis et imprimée à Paris en 1721, sur les propriétés thérapeutiques de la matière. Quoi qu’il en soit de ces propriétés, c’est l’exploitation de Péchelbronn qui a seule pris une grande importance en Alsace.
Que si vous demandez maintenant quelle est l’origine du Pétrole, aucune des théories émises sur la question n’y répond encore d’une matière satisfaisante. M. Lebel, qui est un chimiste distingué, neveu de Boussingault, et dont l’Académie des sciences a couronné les premiers travaux, pense que des expériences plus complètes sont indispensables pour trouver une explication satisfaisante, susceptible de résister lot toutes les objections. Parmi les hypothèses présentées tour à tour, on a fait valoir : la fermentation des matières végétales ou animales enfouies dans le dépôt de roches pétrolifères ; la décomposition de couches de houille situées à une plus grande profondeur, sous l’influence de la chaleur intérieure de la terre ; la réaction de l’eau ou de la vapeur arrivée au contact d’une masse de fonte supposée être au centre de la terre, réaction dans laquelle le fer absorberait l’oxygène de l’eau, tandis que l’hydrogène mis en liberté se combinerait avec le carbone en donnant naissance au pétrole. A l’avenir de nous apprendre laquelle de ces hypothèses restera conforme aux faits observés dans la nature.
Charles Grad