M. Constantinesco [1], ingénieur roumain, a imaginé et mis au point, après de longues recherches, de, fort curieux procédés de transmission de l’énergie. Les méthodes qu’il emploie paraissent entièrement neuves ; à tel point qu’il a fallu créer pour les désigner, un vocable nouveau, le mot sonicité.
Le principe des procédés Constantinesco est le suivant : l’énergie est transmise au moyen de vibrations se propageant à travers un milieu liquide, de même que les ondulations d’un courant électrique se propagent le long d’un conducteur métallique. Les ondes ainsi employées sont de même nature que les ondes sonores, et c’est précisément en étudiant l’harmonie musicale et ses lois, que M. Constantinesco a été conduit aux applications mécaniques que nous allons exposer. De là le nom, de sonicité qu’il a imaginé pour grouper sous une même appellation les phénomènes dont il a étudié les lois et recherché les applications.
L’une des plus connues aujourd’hui, celle qui a révélé au public technique le nom de M. Constantinesco, est la transmission sonique employée pendant la guerre à bord des avions pour commander le tir des mitrailleuses à travers les hélices. Mais bien d’autres applications semblent réservées à ces procédés nouveaux.
Tout instrument de musique est, si l’on veut, un appareil de transmission et de transformation d’énergie sonore. Mais les quantités d’énergie ainsi transmises par les cordes ou par l’air sont infimes, et ne peuvent se prêter aux applications mécaniques.
Le premier problème qui se posait pour l’inventeur était donc de transmettre par vibrations sonores des quantités notables d’énergie. Il fallait ensuite trouver des appareils récepteurs capables de transformer cette énergie vibratoire en énergie mécanique, c’est-à-dire par exemple en mouvement alternatif d’un piston, ou un mouvement de rotation d’un rotor.
M. Constantinesco a eu recours aux liquides comme milieu de propagation des ondes vibratoires. Les liquides sont très employés en .mécanique, pour transmettre des pressions, c’est le principe de la presse hydraulique, c’est celui de nombreux appareils transformateurs de vitesse, qui ne sont, eux aussi, en définitive, que des transmetteurs et transformateurs d’énergie. Mais ces appareils diffèrent complètement par le principe de ceux de M. Constantinesco ; on peut assimiler les premiers aux appareils électriques à courant continu ; tandis que les derniers représentent les machines et transmissions électriques à courant alternatif.
Nous verrons plus loin que cette assimilation est plus qu’une simple image, qu’il y a un parallélisme frappant entre les phénomènes soniques et les courants ’électriques alternatifs, et que toute machine utilisant une de ces catégories de phénomènes, a son homologue dans l’autre catégorie.
I. Les liquides sont compressibles
— Les canons soniques. - On lit, dans la plupart des traités classiques, que les liquides, l’eau en particulier, sont incompressibles. Si l’on s’en tenait à cette affirmation, il. serait impossible de concevoir une transmission d’énergie, par ondes, à travers un liquide.
Mais, en fait il n’en est rien. Les liquides, sous fortes pressions, sont élastiques et compressibles et se comportent comme de véritables ressorts.
Il n’est pas inutile de le démontrer. Voici les preuves qu’en donne M. Constantinesco, dans une intéressante étude que publient les Annales des Mines de Roumanie.
L’auteur a construit un appareil qui consiste en un obus où entre un demi-litre d’eau. Il y plaça un piston de 15 mm de diamètre ; sous une pression de 3 tonnes, ce piston pénétra de 200 mm dans l’eau.
Pour rendre l’expérience plus concluante, on laissa tomber un poids de 200kg d’une hauteur de 2,50 m (fig. 1) sur le piston de l’obus. Sous la pression du coup, le piston atteint ainsi un certain niveau dans l’obus ; puis le liquide se décomprime et rejette le poids en arrière ; il retombe à nouveau et ainsi de suite jusqu’à amortissement complet. L’appareil se comporte comme un ressort.
Et que l’on ne dise pas que, en réalité, c’est l’enveloppe métallique du récipient qui est la cause de ces phénomènes. En fait, l’eau que contient l’obus est cent fois plus compressible que l’acier qui l’entoure.
De ces observations simples dérivent déjà certaines applications intéressantes que nous signalerons en passant ; l’expérience ci-dessus montre que l’on peut réaliser de puissants ressorts sans arcs d’acier. M. Constantinesco a établi sur ce principe un canon de tranchée fonctionnant.
sans poudre, sans bruit, sans fumée.C’est une bouteille d’acier contenant normalement 5 litres d’huile ; une pompe spéciale permet d’élever la pression du liquide à 2000 atmosphères, en y injectant une quantité supplémentaire de 250 cm3. L’expansion du liquide permet de lancer un projectile de 8 kg à 500 mètres.
M. Constantinesco a construit un lance-bombe plus Perfectionné permettant de lancer dans les mêmes conditions un projectile de 100 kg à 100 m. La compression du liquide y est réalisée par l’explosion d’une cartouche de cordite ; l’énergie dégagée par l’explosion est absorbée par le liquide qui la restitue en chassant le projectile avec une pression constante pendant tout son trajet dans l’âme du canon.
II. La transmission des ondes vibratoires dans les liquides
Une colonne de liquide fortement comprimé se comportera donc comme un véritable ressort.
Considérons une conduite L, remplie d’un liquide bien exempt de bulles d’air ou de gaz et terminée à chaque extrémité par un piston étanche (fig:3).
Imprimons un choc brusque au piston A : une onde nait dans le liquide. c’est-à-dire, que dans le voisinage immédiat du piston, le liquide est brusquement comprimé, puis se décomprimé, et ce phénomène se propage de proche en proche jusqu’en B, avec une vitesse qui n’est autre que la vitesse du son dans le liquide. environ 1200 m à la seconde. Si la longueur de la conduite est convenablement choisie, l’onde fait mouvoir le piston B qui constitue donc un récepteur .
Supposons maintenant le piston A animé d’un mouvement vibratoire, obtenu par exemple en le faisant attaquer par une bielle animée d’un mouvement de rotation.
Il imprimera au liquide des alternances de pression et de décompression qui se propageront dans la conduite de
la même façon qu’un courant.électrique alternatif se propage le long d’un fil de cuivre.Si l’on étudie la question de près, on trouve qu’il y a là plus qu’une simple analogie ; l’étude de ces vibrations exige que l’on tienne compte de 4 coefficients : élasticité ; masse du liquide, frottement et pertes, qui correspondent très exactement en langage électrique, à la capacité, à l’induction, à la résistance, et aux pertes électriques.
La différence de pression entre deux points de la conduite correspond à la différence de potentiel ; le produit de la vitesse du liquide en un point par la section de la conduite correspond à l’intensité du courant électrique.
M.Constantinesco admet que la loi du frottement « sonique » est analogue à la loi d’Ohm en électricité ; c’est-à-dire qu’une perte de pression entre deux points d’une conduite est proportionnelle au courant et à la : longueur de la conduite. Ce dernier point n’est qu’à peu près exact, mais l’erreur ainsi commise est en pratique assez faible pour être négligée.
Ainsi, il y a parallélisme absolu entre les phénomènes de transmission des courants électriques et ceux des courants soniques. Donc, toute propriété, établie en électricité, toute machine électrique s’appuyant sur ces phénomènes, ont leur traduction en sonicité.
C’est cette traduction que M. Constantinesco s’est efforcé de réaliser pour un grand nombre de machines, et il a ainsi réussi à établir des appareils d’une extrême originalité, en même temps que d’une grande simplicité.
Revenons au cas le plus simple de transmission sonique, représentée figure 4, et qui correspond au courant électrique monophasé. Supposons le piston R immobile, tandis que le piston A, mû par un moteur, se déplace d’un mouvement alternatif. Les ondes originaires du piston A se transmettent le long de la conduite en donnant naissance à des zones de compression et à des zones de raréfaction : Elles se réfléchissent sur le piston B et reviennent, à leur point de départ ; si la longueur AB est un multiple de la longueur d’onde, les ondes de retour se superposent exactement aux ondes directes et après plusieurs pulsations la pression s’accroit jusqu’à l’infini. La conduite se brisera.
Si la longueur AB n’est pas un multiple de la longueur d’onde, le piston A est soumis à des réactions qui rendent très difficile le maintien de la vitesse du moteur sans que la conduite se divise en multiples de la longueur d’onde. Dans ce dernier cas, la pression croissant à l’infini, la conduite ne peut résister.
La transmission des ondes n’est pratiquement possible que si le piston B peut prendre exactement le même déplacement que le piston A, par exemple s’il est commandé par une manivelle identique tournant avec la même vitesse, la longueur de la conduite étant un multiple de la longueur d’onde ; il faut, en outre, que le récepteur puisse absorber toute l’énergie transmise.
Le problème est donc assez complexe : M. Constantinesco a constaté que si on place à l’origine de la conduite une bouteille d’acier pleine d’un liquide quelconque, les difficultés issues de la superposition des ondes disparaissent ; celles-ci ne Se superposent que jusqu’à une certaine limite de pression et l’amplitude, au lieu de devenir infinie, est limitée par la bouteille à une valeur convenable. La bouteille joue le rôle d’un condensateur électrique disposé en parallèle sur un circuit à courants alternatifs.
En définitive, une transmission sonique comprend en principe : un piston animé d’un mouvement de va-et-vient dans un cylindre, une bouteille pleine d’un liquide en Communication avec le cylindre, une conduite pleine de liquide sous pression, et un moteur sonique.
On pourra, tout comme en électricité, réaliser des transmissions triphasées au moyen de 5. conduites du type ci-dessus, dans lesquelles les pistons produiront des ondes de mêmes période et amplitude, mais présentant d’une conduite à l’autre, une différence de phase de 120° (fig. 4).
Signalons un fait curieux qui montre bien le parallélisme de l’électricité et de la sonicité ; si on interrompt la conduite sonique en un certain endroit et qu’on la remplace sur une certaine longueur par un tube très étroit, on aura l’équivalent d’une résistance insérée dans un circuit électrique. L’énergie électrique s’y transforme en chaleur. La même chose se produit dans le rétrécissement de la conduite hydraulique, le liquide peut atteindre dans cette région une température élevée ; M. Constantinesco a pu obtenir ainsi une température locale de plus de 100°. Avec un tube disposé pour bien rayonner la chaleur, il pouvait en 2 minutes amener un verre d’eau à l’ébullition. .
Cette expérience atteste qu’on peut transmettre de la chaleur à distance par un tube renfermant de l’eau froide.
Les moteurs soniques. - M. Constantinesco a étudié toutes les classes de moteurs soniques correspondant aux moteurs électriques connus : moteurs synchrones ou asynchrones, moteurs monophasés, biphasés, triphasés, etc., moteurs à collecteurs.
Le moteur sonique monophasé est, comme en électricité, d’une réalisation assez difficile. Le moteur triphasé est d’une réalisation et d’un maniement beaucoup plus simples. C’est une manivelle attaquée par 3 pistons formant entre eux des angles de 120°. La condition nécessaire pour obtenir un couple constant sur cette manivelle est que les ondes actionnant les 3 pistons soient représentées par une fonction sinusoïdale pure et qu’elles soient déphasées de 120° l’une par rapport à l’autre (fig. 4).
Ce moteur tourne exactement à la vitesse de synchronisme du générateur et avec un couple constant. Mais il ne démarre pas sous charge. Pour changer son sens de rotation, il suffit de croiser 2 phases tout comme en électricité.
M. Constantinesco a réalisé également la traduction du moteur d’induction de Tesla.
Trois cylindres fixes A1 A2 A3 (fig. 5) munis chacun d’un piston et reliés à une conduite sonique sont en contact par leur piston avec un anneau d’acier trempé B, pouvant supporter d’assez fortes pressions. Cet ensemble constitue le stator.
A l’intérieur de l’anneau B est placé un autre anneau C maintenu rigoureusement concentrique au premier grâce à des billes de roulement. A l’intérieur de l’anneau C, et en contact avec lui, sont 3 autres pistons D1 D2 D3 , se déplaçant dans des cylindres soniques. L’anneau extérieur et les 3 pistons représentent le rotor. Les pistons représentent les spires d’induction du rotor.
Voyons ce qui se passe lorsqu’on envoie un courant sonique triphasé dans les 3 pistons du stator. Les pressions soniques issues des ondes produisent sur les pistons du stator 3 forces qui se dirigent le long des axes de ces pistons. Ces 3 forces sinusoïdales appliquées sur l’anneau extérieur se composent en une seule force de grandeur constante, appliquée au centre de l’anneau. En direction, elle tourne d’un mouvement uniforme autour du centre. De plus, le courant sonique produit des déplacements des pistons dans les cylindres du stator qui se combinent en un déplacement du centre de l’anneau, déplacement de grandeur constante. Le centre de l’anneau décrit un petit cercle, mais l’anneau ne tourne pas, il oscille seulement d’une façon particulière.
Le déplacement de l’anneau extérieur entraîne le déplacement de l’anneau intérieur qui lui est concentrique, et le déplacement des anneaux entraîne celui des pistons du rotor relativement à leurs cylindres.
Les pistons intérieurs commenceront donc à pomper eux aussi et produiront dans leurs cylindres respectifs, par trois canaux communiquant arec une chambre centrale commune, trois courants soniques, qui sont la traduction des courants d’induction dans le rotor. Ces courants soniques engendrent à leur tour des pressions soniques dont la combinaison produit sur l’anneau intérieur une résultante génératrice d’un couple qui entraîne le rotor, les pistons et les cylindres intérieurs.
Tout comme dans un moteur d’induction triphasé, on modifiera le couple en modifiant la résistance de frottement qui se manifeste dans les canaux du rotor.
Nous en avons assez dit pour faire comprendre le principe des moteurs soniques. On mesurera aisément tout l’intérêt de ces appareils quand on saura que M. Constantinesco en a construit qui ont un rendement égal ou supérieur à celui de moteurs électriques de même puissance. Les moteurs ne comprennent que des pièces mécaniques de la plus rustique simplicité : pas d’enroulements complexes, délicats à exécuter et à entretenir, Pas de mécanisme compliqué ; ils n’emploient comme matériaux que de la fonte et de l’acier ; pas de mica, de cuivre, comme dans les moteurs électriques. De même les transmissions sont en acier et non en cuivre, si coûteux aujourd’hui.
Les installations soniques sont susceptibles de rendre la plupart des services que l’on attendrait d’une transmission électrique et quelques autres que l’on n’obtient que difficilement avec les appareils électriques, comme, par exemple, le fonctionnement sous l’eau. M. Constantinesco a construit des moteurs qui fonctionnent complètement immergés.
Les applications des transmissions soniques. Toutes ces qualités assurent aux transmissions soniques de multiples applications.
Énumérons
en quelques-unes. :a) La commande des hélices et des machines-outils. - M. Constantinesco a construit des transmetteurs de puissance pour avion où un seul moteur à explosion attaquait 2 hélices ; la puissance était transmise par le moteur thermique à deux moteurs soniques triphasés de 180 chevaux chacun, attaquant chacun une hélice ; ces moteurs tournaient à 1000 tours et pesaient 50 kg. Pour les avions géants, dont on envisage la construction, la transmission sonique offrira une solution élégante du problème difficile de l’attaque des nombreuses hélices qui actionnent l’appareil. On sera ainsi dispensé de monter sur les ailes elles-mêmes, au mepris des lois de l’équilibre et de celles de la résistance des matériaux. de lourds moteurs placés dans une position dangereuse. Un constructeur anglais étudie une transmission sonique pour un avion géant de 50 tonnes, à 8 moteurs de 625 HP, tous groupés dans la coque centrale.
La solution sonique est également très séduisante pour les dirigeables et même pour les navires où elle semble appelée à, rivaliser avec les engrenages réducteurs de vitesse, ou avec l’électricité pour transmettre de la machine à l’hélice l’énergie motrice.
Il est évident que la transmission sonique se prête également à la commande des machines-outils dans les ateliers.
b) Pompes sans soupape. — Une colonne sonique présente des points de compression et des points de raréfaction. M. Constantinesco s’est servi de cette propriété pour aspirer de l’eau au point de raréfaction d’une colonne sonique, pour la refouler
au point de compression et pour réaliser ainsi une pompe pompant les liquides à des centaines d’atmosphère de pression et ce, sans le concours de soupape.
c) Marteau-riveur.- - C’est une masse fixée par 2 ressorts et qui reçoit la pression sonique alternative transmise par une conduite sonique monophasée. Il y a lieu de remarquer que ce dispositif est la traduction en sonicité du chapitre d’électricité relatif à la T. S. F.
d) Dispositif d’injection du pétrole dans les moteurs Diesel. — L’aiguille d’injection est d’habitude, dans les moteurs Diesel, commandée par une came qui la soulève de façon à laisser passer au moment voulu la quantité de pétrole nécessaire refoulée par une pompe.
M. Constantinesco supprime la came et actionne l’aiguille par les ondes soniques ; celles-ci sont transmises par l’huile d’injection elle-même ; c’est l’onde qui ouvre l’aiguille et injecte une partie de l’huile.
Mieux encore, M. Constantinesco commande par des conduites soniques toutes les soupapes du moteur. L’expérience a été faite avec succès sur un moteur de 1 200 HP.
Du reste les ondes soniques se prêtent admirablement à toutes les opérations qui exigent une synchronisation ou un décalage dans le temps d’une durée déterminée.
Commande des mitrailleuses d’avions. — Voici par exemple le dispositif de commande des mitrailleuses d’avion, dont il a été construit 40000 pour l’aviation anglaise.
Le problème était le suivant : il s’agissait de faire tirer la mitrailleuse à travers l’hélice sans risque de rupture pour celle-ci ; c’est-à- dire de faire passer les balles tant que l’hélice n’est pas en face du canon de la mitrailleuse.
La solution consiste à synchroniser au moyen d’une conduite unique le mouvement d’une pièce mobile du moteur et celui d’une gâchette. déclanchant le départ de la balle.
Ce dispositif permettait avec deux mitrailleuses de tirer 2400 balles à la minute. Il assura rapidement aux aviateurs anglais, en 1917 et 1918, la maîtrise de l’air.
On peut
entrevoir encore toute une série d’autres applications : notons seulement pour terminer, qu’il y aurait sans doute d’intéressantes études à faire sur la transmission des ondes soniques par les canalisations d’eau. Les phénomènes de coups de bélier qui se produisent d’une façon parfois si désastreuse dans les conduites forcées des usines de houille blanche ne sont, à tout prendre, qu’une manifestation excessive de l’énergie sonique.