Le barrage du Chambon sur la Romanche

Louis Dornon, La Nature N° 2919 — 15 décembre 1933
Jeudi 13 août 2015

Depuis quelque temps, le développement industriel du Dauphiné est remarquable ; malgré les nombreuses installations d’usines hydro-électriques qui ont été faites, on s’est aperçu que l’on pouvait encore trouver un surcroît d’énergie, moyennant quelques aménagements complémentaires. Les Alpes qui, en 1929, donnaient 4 milliards de kilowatts-heure sur 6 125 000 000 fournis par le total des chutes d’eaux françaises, verront encore monter leur belle moyenne, grâce aux nouveaux barrages que l’on est en train d’aménager sur leurs torrents.

Le barrage du Chambon, tendu à travers le lit de la Romanche, est du nombre de ceux-ci. On procède à sa construction dans la belle région de l’Oisans, à 62 km de Grenoble.

Ce barrage est destiné non seulement à fournir de l’énergie mais encore à régulariser le débit de la Romanche qui varie de 1m³ à 50m³ par seconde.

Les inondations ont été trop nombreuses dans la plaine de Bourg-d’Oisans pour que le moyen de régulariser le débit de la capricieuse Romanche paraisse inutile.

Le nouveau barrage devant retenir 55 millions de mètres cubes permettra une parfaite utilisation des chutes existantes, puisque le débit moyen passera de 1,900m³ à 5,700m³ seulement.

Tous les ascensionnistes qui ont escaladé les sommets de l’Oisans peuvent facilement imaginer le cadre grandiose dans lequel se construit le gigantesque barrage du Chambon, en un endroit relativement resserré de la vallée de la Romanche, à hauteur du village du Chambon.

Voilà déjà 15 ans que M. Frédet, constatant la présence d’un verrou naturel dans la vallée de la Romanche, conçut l’audacieux projet de tendre en cet endroit un barrage qui, outre le rôle de producteur d’énergie assumerait celui de régulateur des crues de la Romanche.

Avec un ingénieur hydraulicien, M. Frédet s’assura de la stabilité du terrain et de l’imperméabilité de la cuvette.

Les industriels de la vallée de la Romanche et l’État Lui-même furent intéressés à ce projet ; une société se constitua (capital : 12 millions).

Le Ministère de la Guerre donna une subvention de 20 millions, car il est probable que l’on pourra conserver des produits nitrés dans le futur lac qui s’allongera sur 7 km.

Les travaux du barrage commencèrent en 1928.

La Romanche fut détournée de son cours habituel par un tunnel qui, dans l’avenir servira à vidanger le lac.

Un autre tunnel fut percé afin que la circulation, si intense sur la route du Lautaret , se fît en dehors du chantier.

Le travail des fouilles présentait de grandes difficultés que l’on mit plusieurs années à surmonter.

Pour ancrer solidement le barrage, on décapa les berges et le fond de la Romanche ; à leur achèvement, les fouilles faites jusqu’à 30m de profondeur atteignaient 108000m³.

Le verrou du Chambon est constitué par des schistes cristallins qui montraient quelques fissures à la partie supérieure. Les infiltrations ont été combattues par du coulis de ciment injecté à des pressions variant de 40 kg à 100 kg parfois par centimètre carré ; on s’assura de l’étanchéité du barrage en installant un système de drains. Pour la construction du barrage du Chamhon, on a adopté le type barrage-poids ; les barrages de ce genre résistent à la poussée de l’eau qu’ils retiennent (55 millions Pour le Chambon) grâce à leur masse.

Le barrage mesure 65 m d’épaisseur à la base et 30 m au faîte, la hauteur atteindra 120 m au-dessus des fouilles et 90 m au-dessus du lit de la Romanche ; sa longueur, mesurée à la crête sera de 290 m.

Ces imposantes dimensions font entrevoir l’importance de la construction du barrage et par conséquent les moyens dont doit disposer l’Entreprise Campenon-Bernard pour mener à bien de semblables travaux. Les matériaux nécessaires au barrage sont mélangés et transformés au Chambon ; certains sont même débités sur place.

A proximité du Chambon on a ouvert une carrière de 300 m de long sur 30m de haut.

C’est là que l’on peut voir en action les pelles à vapeur qui épargnent une fatigante besogne aux ouvriers ; elles chargent de blocs de pierre, les wagonnets qui les transportent aux concasseurs.

Ceux-ci débitent — avec force bruit — 78 m³ à l’heure ; ils alimentent plusieurs silos dont la réserve totale représente 1500 m³.

Le chantier possède aussi deux grosses bétonnières de 3000 litres chacune, qui produisent un béton dont on vérifie constamment des échantillons au laboratoire. Par des tapis roulants, le béton est transporté aux goulottes qui le répartissent sur le barrage. Le débit horaire assuré par les bétonnières est de 80m³.

Pour apporter le ciment nécessaire à la construction du barrage (60000 tonnes sont prévues) on a imaginé un transporteur monocâble.

Partant de Bourg-d’Oisans à la cote 714 pour aboutir au Chambon à la cote 1250, ce téléphérique de 193 bennes assure largement le débit horaire qui est de 15 tonnes. C’est dans la fameuse gorge du Châtelard que l’on rencontre la plus grande portée du téléphérique : 878 m.

Au point le plus haut du chantier on a installé 2 blondins dont l’attribution est de transporter les ouvriers en divers points et de répartir sur le barrage, les blocs de pierre nécessaires à sa construction.

Les blondins ont 350 m de portée et peuvent répartir 6m³ de blocs à l’heure.

En ce moment, les travaux du Chambon se poursuivent avec activité, on a déjà bétonné plus de la moitié du barrage.

Les ingénieurs pensent pouvoir mettre en service au début de 1935 cet ouvrage si digne d’intérêt.

Sans doute regrettera-t-on le pittoresque Chambon (beau lac dans quelque temps) peuplé de souvenirs très chers et pays natal pour quelques-uns, en tous cas les dauphinois accueillent avec fierté ce nouveau fils de la science qui sera un aide précieux pour l’industrie de notre pays.

Louis Dornon

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