Il n’est pas dit que nous ne verrons pas bientôt des automobiles marchant à l’hydrogène liquide

Bernardo, Sciences et Voyages N°88 — 5 mai 1921
Lundi 22 mars 2021 — Dernier ajout dimanche 17 mars 2024

Bernardo, Sciences et Voyages N°88 — 5 mai 1921

Ça y est ! On nous les proposent, ces fameuses voitures à hydrogène. Il n’aura fallu qu’un siècle entre l’idée et la commercialisation. Comment pouvais-je résister à la tentation de vous soumettre cet article publié dans l’hebdomadaire Sciences et Voyages en 1921. Dans le N°88 du 5 mai 1921, pour être précis.

Bonne lecture.

On sait que nous sommes menacés à brève échéance d’une disette de pétrole, si la consommation de l’essence continue à s’accroître, comme à présent, beaucoup plus vite que ne progresse l’extraction de ce précieux combustible.

L’exploitation de nouveaux gisements pétrolifères fût-elle du reste mise assez vite en train, qu’il faudrait en prévoir un jour ou l’autre l’épuisement. Aussi, en attendant que la question du moteur à alcool soit mise au point, s’efforce-t-on un peu partout de trouver au pétrole des remplaçants commodes et économiques qui puissent satisfaire aux besoins de l’industrie automobile.

Sans nous étendre aujourd’hui sur les nombreux essais faits dans ce but, il n’est pas sans intérêt de signaler les recherches entreprises simultanément en Italie et en Amérique sur la possibilité d’employer l’hydrogène dans les moteurs à explosion. On sait que ce gaz se combine à l’oxygène dans la proportion de 2 contre 1 pour former de la vapeur d’eau, et tous les élèves des classes de chimie connaissent la facilité avec laquelle il forme un mélange détonant avec l’air. La combustion de l’hydrogène présente l’avantage de donner naissance exclusivement à de la vapeur d’eau, sans aucun acide ou produit secondaire capable d’altérer ou d’encrasser les moteurs. Enfin la facilité et le bon marché relatif de sa préparation par la décomposition de l’eau sont une considération qu’il ne faut pas perdre de vue.

Les premières expériences faites ont donc porté sur l’emploi de l’hydrogène comprimé dans des tubes résistants, mais le poids de ces derniers et la faible quantité relative de gaz qu’il est possible d’y emmagasiner pratiquement limitent de façon incommode son usage pour le tourisme automobile. Aussi a-t-on songé à recourir dans ce but à l’hydrogène liquide qu’il est possible maintenant de préparer en grand depuis les derniers perfectionnements apportés à la technique de la liquéfaction des gaz et en particulier grâce à la fabrication industrielle de l’air liquide.

Dans ce but, un appareil spécial vient d’être mis au point par le Bureau of Standards des États-Unis, grâce auquel de l’hydrogène purifié, introduit sous forme gazeuse dans un réservoir d’acier, est refroidi par l’air liquide et soumis à une pression d’environ 500 kilogrammes. En laissant ensuite échapper une petite partie du gaz, on provoque par la détente un abaissement de température supplémentaire qui a pour résultat de provoquer la liquéfaction de l’hydrogène. Le gaz liquéfié est recueilli dans des récipients de verre à doubles parois entre lesquelles le vide a été pratiqué, de manière à le préserver de la chaleur rayonnante. C’est le principe suivant lequel sont construites les bouteilles Thermos et autres, qu’on trouve dans le commerce. L’hydrogène détendu est recueilli et renvoyé par une pompe dans le réservoir à compression de manière à éviter les pertes le plus possible. Cet appareil fabrique lui-même l’air liquide nécessaire à son fonctionnement.

La question de la liquéfaction de l’hydrogène ainsi résolue de façon pratique, reste à savoir maintenant comment conserver ce liquide éminemment instable et comment l’utiliser sur une automobile. C’est ici le point délicat du problème, L’expérience montre qu’une voiture légère pourrait accomplir un trajet d’environ 100 kilomètres par litre d’hydrogène liquide utilisé. La masse du liquide à emporter étant environ quinze à seize fois moins considérable que celle de l’essence pour un même trajet, il semble donc possible de construire un réservoir à doubles parois susceptible de conserver l’hydrogène à une température assez basse pour éviter le retour trop rapide à l’état gazeux et, par conséquent, pour pouvoir l’utiliser sans trop de perte. Il est impossible, en effet, dans l’état actuel des choses, de songer à emprisonner l’hydrogène liquide dans un récipient hermétiquement clos, sans courir le risque d’une explosion formidable. Comme tous les gaz liquéfiés, l’hydrogène ne se maintient à l’état liquide que tant que sa température reste assez basse, et l’évaporation qui se produit à sa surface suffit à empêcher son réchauffement pendant un temps assez long ; mais il n’en serait plus de même si on empêchait cette évaporation de se produire : le liquide se réchaufferait alors plus ou moins vite et il arriverait fatalement un moment où, la température n’étant plus compatible avec le maintien de l’état liquide, le retour à l’état gazeux s’ensuivrait brusquement et ferait infailliblement éclater les réservoirs du genre de ceux qu’il est possible de transporter sur une automobile.

Par conséquent, le problème actuel consiste, d’une part, à assurer la conservation temporaire de l’hydrogène liquide pendant un temps suffisamment long pour qu’il soit possible de l’utiliser sur une voiture, et, d’autre part, à adapter au moteur le dispositif de détente susceptible de l’alimenter convenablement en hydrogène gazeux. Il ne semble pas que l’un ou l’autre de ces dispositifs soit irréalisable, mais ils sont loin d’être encore au point.

Très probablement, dans une voiture à hydrogène, il sera nécessaire de prévoir un dispositif de secours alimenté à l’essence, soit pour suppléer à une panne possible, soit pour mener la voiture à la fabrique d’hydrogène liquide où elle pourra embarquer la quantité de combustible qui lui sera nécessaire pour chaque voyage, la conservation du liquide n’étant pas assurée au delà d’un certain temps. C’est là une complication qu’il sera peut-être possible de diminuer, par exemple par la multiplication des appareils de liquéfaction dans les garages ou ailleurs.

Quoi qu’il en soit, un puissant intérêt s’attache à la mise au point de la voiture à hydrogène liquide, et il est permis d’espérer que, dans un avenir peu éloigné, celle-ci fera son apparition sur les routes pour le plus grand bien de nos finances et de notre bourse.

Bernardo

Revenir en haut