Nous gaspillons l’énergie comme des fous

Henri Cossira , Sciences et voyages N°80 — 10 mars 1921
Lundi 22 mars 2021
Le savant physicien français M. Emmanuel Colardeau nous démontre, à l’aide d’une expérience ingénieuse, l’importance de ce gaspillage journalier, et il nous dit que le problème de la paix entre les hommes est basé sur une meilleure utilisation de l’énergie.

À l’une des séances de l’Académie des Sciences, M. Colardeau fit une communication des plus importantes sur un travail entrepris par lui, aux fins de chercher la solution d’un des plus grands problèmes scientifiques et économiques, actuellement à l’ordre du jour, c’est-à-dire l’utilisation industrielle des grandes sources naturelles d’énergie !

Ce problème, M. Colardeau espère l’avoir résolu. Il a même essayé de démontrer qu’il en avait réellement trouvé la solution à l’aide d’un exemple à la portée de tous : grâce à un appareil de son invention adapté au simple robinet d’un évier de cuisine d’appartement, il a montré qu’il était possible de s’éclairer à l’électricité sans avoir besoin de recourir à une autre source de production de force.

Appliqué plus en grand, ce principe de l’utilisation des forces hydrauliques, et surtout celui de l’utilisation de la force jusqu’ici inemployée du vent, bouleverserait la vie économique du monde entier.

L’importance d’une telle communication ne pouvait échapper au public.

Certes, l’exemple pratique choisi et réalisé par M. Colardeau a pu prêter à certaines railleries de la part des profanes sceptiques. Des humoristes ont prétendu étendre sa théorie des forces perdues et, partant, de l’exemple du robinet producteur d’énergie électrique, ils ont demandé que les chevaux de bois, les manèges, servent en même temps à moudre le grain, que des planchers mobiles soient disposés, à l’instar des cages d’écureuils, à l’intérieur des cages de fauves neurasthéniques pour accumuler l’énergie électrique, et même que des petits moulins soient mis à la portée des gens enrhumés qui, en soufflant dessus, utiliseraient l’air qu’ils déplacent pour faire chauffer leurs tisanes.

Ces plaisanteries, et bien d’autres encore, sont faciles à faire. D’ailleurs, la raillerie n’est-elle pas le tribut habituel réservé aux inventeurs, quels qu’ils soient ? M. Colardeau ne pouvait échapper à la loi commune. Mais, fort heureusement, il s’est trouvé des esprits éclairés pour venir à son aide et pour lui permettre de développer ses recherches.

Le robinet d’évier, source d’énergie.

J’ai trouvé le physicien travaillant dans le petit atelier qu’il s’est installé lui-même de toutes pièces dans son appartement ,et où il mettait la dernière main à une petite turbine qu’il voulut essayer sur-le-champ devant moi.

M’entraînant dans sa cuisine, mon ancien professeur me fit voir sur l’évier l’installation qui lui donnait sa lumière électrique, véritable petite usine en miniature, mais d’un rendement suffisant.

« En dehors de la houille blanche, me dit M.Colardeau, nous ne manquons pas de sources d’énergie et nous en obtenons des quantités importantes dans diverses circonstances.

« Mais, après avoir dépensé des sommes souvent considérables pour la produire, nous ne songeons même pas à l’utiliser, ou nous la gaspillons d’une façon scandaleuse.

« Tenez, prenons l’exemple de ce robinet. Rien n’est plus facile et plus avantageux que de récupérer l’énergie que contient l’eau sous pression qu’il distribue et que nous laissons ordinairement se perdre. Un robinet de prise d’eau dans une cuisine d’appartement, ouvert de manière à débiter par seconde un litre d’eau provenant d’un réservoir situé à 75 mètres, par exemple, au-dessus de l’orifice du robinet, fournit l’équivalent d’un cheval-vapeur. Il permet d’alimenter simultanément une lampe de 500 bougies et une vingtaine au moins d’autres lampes, dont le pouvoir éclairant varierait entre 10 et 50 bougies… »

Et, me montrant alors son installation, M. Colardeau ouvre le robinet, ce qui a pour résultat d’allumer immédiatement les lampes.

« Pour en arriver là, m’explique mon ancien maître, il m’a suffi d’adapter au robinet d’eau la petite turbine à eau à grande vitesse que vous voyez et qui commande directement la petite dynamo en relation avec cette petite batterie d’accumulateurs électriques. Chaque fois qu e l’on ouvre le robinet, la petite usine se met en marche et accumule dans la batterie l’énergie de l’eau.

« Notez bien que cette eau se retrouve utilisable au sortir de la turbine.

« Car il importe de prévenir sans l’attendre, le reproche de gaspiller l’eau que nous distribuent la Compagnie ou les municipalités. Voyez la conduite en plomb qui, partant du robinet, va aboutir à la turbine placée dans l’encoignure de la pièce. L’eau tombe sur les aubes qu’elle met en mouvement et, par cet autre tuyau qui suit exactement le premier, elle revient au robinet, à 2 centimètres plus bas du point où elle serait tombée si je ne lui avais pas imposé le détour jusqu’à la turbine.

« Et vous pouvez d’ailleurs le constater, cette eau est maintenant sous une pression insignifiante et n’éclabousse pas l’évier, la turbine jouant automatiquement le rôle de brise-jet.

« La bonne a-t-elle besoin d’eau pour la cuisine ou pour le ménage ; elle ouvre le robinet comme si de rien n’était. L’eau coule naturellement, tout en faisant son détour par la turbine où elle recharge les accumulateurs. Il suffit donc de charger à fond une bonne fois, les accumulateurs, ceux-ci par la suite se trouvent rechargés automatiquement, du seul fait de l’emploi de l’eau pour les besoins de la vie domestique.

« Je ne saurais vous faire une meilleure comparaison qu’en vous disant que le robinet, de la cuisine est au simple particulier ce qu’un torrent roulant des alluvions aurifères serait à un banquier dont il traverserait la propriété. Ma turbine, en récupérant l’énergie jusqu’alors inemployée, équivaut au barrage grillagé que le banquier placerait dans le torrent pour retenir l’or alluvionnaire. »

Les adaptations pratiques.

Bien entendu, la transformation du robinet d’évier en source d’énergie électrique n’est qu’un simple exemple, mais qui, il est vrai, mettrait tout le monde à l’abri des pannes de secteurs électriques ou des grèves organisées par les successeurs de Pataud. M. Colardeau n’entend donc pas négliger cet à-côté de son expérience qui, vulgarisé, peut rendre service à tout le monde. Son inventeur veut d’ailleurs que tout l’ensemble de l’usine portative : turbine, dynamo, accumulateurs et tuyaux, soit réalisé de telle sorte qu’une petite caissette suffise à tout contenir, et que, dix minutes après l’avoir acheté, n’importe qui puisse avoir l’électricité chez soi !

Détail curieux : M. Colardeau, pour constituer les aubes de sa première turbine, s’est d’abord servi d’une douzaine de petites cuillères à café qu’il a soudées ensemble comme les palettes de la roue d’un moulin à eau.

Se basant absolument sur les mêmes principes qui lui ont servi. pour l’utilisation du robinet de cuisine à Paris, M. Colardeau avait organisé dans sa villa du Perreux, où il a également l’eau sous pression, une semblable installation, qui prouve combien il est facile de mettre ses idées en pratique.

« Mais si je n’avais pas l’eau sous pression, j’obtiendrais cependant les mêmes résultats. Un moulin à vent monterait, par l’intermédiaire d’une pompe, l’eau dans un réservoir élevé, placé dans les combles de la maison. Cette eau descend d’elle-même dans une turbine placée dans la cave et disposée absolument comme celle de l’évier de cuisine. Elle tombe dans un autre réservoir placé immédiatement au-dessous de la turbine et des appareils qu’elle commande. Là, la pompe la reprend pour lui faire recommencer indéfiniment le même cycle d’opérations.

« Avec une quantité très faible d’eau ou de tout autre liquide, on arrête donc pour ainsi dire au passage l’énergie du vent momentanément accumulée dans cette eau, et cette énergie est utilisée par la turbine.

« Grâce au réservoir supérieur qui sert de régulateur l’inconvénient de l’irrégularité et des caprices du vent se trouve éliminé. Ce réservoir plein représente une réserve d’énergie, doublée par celle de la ,batterie d’accumulateurs. De sorte que ces réserves permettent de parer à la faiblesse ou même au manque total de vent pendant un intervalle de temps qui ne dépend que de la capacité du réservoir et de la batterie.

« L’installation d’appareils de ce genre, même dans une minime fraction de terrains inutilisables pour l’agriculture, permettrait d obtenir de telles quantités d’énergie que l’on pourrait ne plus se préoccuper de l’épuisement des mines de charbon… et des grèves des mineurs ! »

Henry Cossira

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