Le charbon de bois

La Nature N° 2634 - 27 septembre 1924
Dimanche 1er mars 2009 — Dernier ajout mardi 6 février 2024

Les différentes méthodes de fabrication

Le charbon de bois avait été jusqu’à ces derniers temps traité comme un parent pauvre, probablement en raison de son emploi limité en général aux usages domestiques et de son abondance sur le marché … Son adaptation parfaite à la production du gaz pauvre pour moteurs de camions vient de faire sortir ce combustible de l’ombre : on a reconnu enfin que ce charbon était un précieux auxiliaire de l’industrie, parcequ’il était le seul « carburant » vraiment « national » !

Le charbon de bois est, en effet, un carbone presque pur ; sa teneur en cendres est très faible (0,4 à 4 pour 100) et il donne autant ou plus de calories que la bonne houille (7000 calories par kg), Sa facilité de combustion lui permet une association rapide avec l’oxygène de l’air ; il produit alors un corps très riche en calories appelé oxyde de carbone (dit gaz pauvre) pouvant remplacer l’essence et les autres hydrocarbures employés par les moteurs à combustion interne.

Les nombreuses expériences faites soit par les fabricants de gazogènes, soit par le ministère de l’ Agriculture, lors des concours agricoles, ont démontré que les gazogènes à charbon de bois fonctionnent en donnant pleine satisfaction. Et, pour employer un terme de comparaison entre les combustibles, il nous suffira de dire que le litre d’essence est actuellement remplacé par 1 kg 500 de charbon de bois pour produire le même travail de traction ; ce qui équivaut à écrire que 1fr,60 est remplacé par 0fr, 60. N’est-ce pas la meilleure preuve de l’excellence du charbon de bois ?

Sa fabrication en usines . - Le charbon de bois est un combustible vieux comme le monde. Il fut employé bien avant la houille pour la cuisson des poteries, la fabrication des armes et des ustensiles, ainsi que le démontrent de nombreux échantillons des fouilles opérées dans les cités Egyptiennes. Les méthodes de fabrication de l’antiquité étaient à peu près les mêmes que celles de nos cuiseurs actuels : les charbonniers empilaient des rondins de bois dans des meules, ou les plaçaient dans des excavations en forme de tunnel et les carbonisaient à « l’étouffée ».

Ce fut seulement vers le milieu du XVIIe siècle que l’on sut apporter quelque perfectionnement aux meules ordinaires. A ce moment Glauber commença à récupérer des sous-produits et reconnut l’acide pyroligneux, Plus tard, cette industrie de la carbonisation prit de l’extension et l’on put isoler « l’esprit de bois », le « vinaigre de bois » et « l’acétone ».

Philippe Lebon, au commencement du siècle dernier, fit connaître la composition exacte des gaz de la distillation et attira l’attention sur la source de lumière possible au moyen de sa fameuse « thermo-lampe » - laquelle ne put lutter avec le gaz d’éclairage préparé avec la houille. - Les efforts des chimistes arrivèrent à créer, vers 1870, des appareils spéciaux adaptés à la carbonisation en vase clos, en vue de la récupération des produits, si variés, contenus dans la distillation de la carbonisation, Actuellement, de nombreuses usines traitent le bois, et ce n’est pas trop s’avancer que d’affirmer que le charbon de bois, qui autrefois était le produit principal de ces usines, est devenu un sous-produit - intéressant certes - mais de valeur moindre que les nombreux et riches corps extraits des pyroligneux distillés du bois.

De ce fait, dans quelques années, tout massif forestier pouvant fournir au moins 15 000 stères de bois annuellement (une usine qui ne traite pas au moins cette quantité n’est pas viable) sera muni d’une usine de carbonisation avec cornues et appareils de récupération.

Il faut cependant rappeler ici qu’avant tout devis d’une telle usine il y a eu lieu de prévoir, en raison des difficultés ultérieures de fabrication, la proximité d’une quantité très importante d’eau pour réfrigérer les tuyauteries et colonnes de distillation (environ 200 m3 par jour, au minimum). En effet , les gaz sortant des cornues, au moment où ils sont le plus riches, sont à une température variant de 400° à 700° : on peut dès lors se rendre compte, à l’avance, de la quantité d’eau nécessaire au refroidissement de 10 à 12 000 kg de ces gaz, en tablant sur un traitement de 50 stères par 24 heures.

Il faudra de plus, et surtout, s’assurer un approvisionnement facile en bois, en établissant l’usine près de forêts denses, munies de bonnes routes, ou pouvant être desservies par des voies ferrées dans un rayon de 50 km environ de ladite usine !

Carbonisation sur le parterre des coupes. ­ La carbonisation sur les lieux mêmes de la production a lieu dans tous les cas où les coupes sont trop réduites difficilement accessibles, ou trop distantes des gares ou des usines. Bien que cette façon d’opérer oblige le carbonisateur à envoyer aux quatre vents une quantité de sous-produits précieux, il a été contraint, jusqu’à ce jour, d’employer ce procédé rudimentaire dit : « en meules de forêts ». Aucun système pratique de récupération, c’est-à-dire laissant un bénéfice réel, n’a pu être convenablement adapté à la carbonisation des petites coupes forestières. Les procédés en usage jusqu’ici pour la récupération ont donné des produits chimiques souvent impurs, de vente difficile ; ils ont nécessité, dans la plupart des cas, des appareils lourds, coùteux, peu mobiles, et les résultats financiers de ces exploitations n’ont pas été, dit-on, très encourageants.

Des fours mobiles . - Dans ces conditions, il était absolument nécessaire de créer, pour ces petites exploitations, une autre méthode de carbonisation, en employant des appareils simples, facilement mobiles sans être démontés, d’entretien nul et pouvant être conduits par de simples manœuvres, Après quinze années d’emploi de ces appareils, dans ses usines, un industriel, M. Delhommeau, à Cléré (Indre-et-Loire), vient de mettre sur le marché quatre types de fours brevetés, de 3, 5, 7 et 15 stères correspondant aux différents emplois du commerce des bois.

Un four mobile se compose essentiellement d’une cuve conique en tôle forte, à doubles parois, le bord inférieur est muni de tubes d’air, ou « évents » destinés à assurer, aux points utiles, le dosage d’air nécessaire à la carbonisation - sans combustion ­ des ligneux mis dans l’appareil. Le four est fermé par un dôme s’emboîtant dans la double paroi ; ce dôme est muni à sa périphérie d’orifices fermés par un couvercle servant à l’évacuation des fumées.

Les photographies ci-contre montrent deux appareils, types 3 et 7 stères soit en marche, soit en chargement.

Le bois coupé à 0 m 80 de longueur maximum est empilé verticalement dans l’appareil en ménageant un canal au centre de la meule ainsi formée, C’est au fond de ce canal que sera placé le foyer de départ amorçant la carbonisation. Après cet allumage, les évents inférieurs sont réglés ainsi que les orifices du dôme de manière que la température intérieure suive, selon le temps de marche, le graphique-type remis à l’acheteur au moment de la livraison de l’appareil. Un pyromètre électrique indique à tout instant cette température. Un manœuvre quelconque peut ainsi faire la carbonisation sans apprentissage ; il suffit, d’ailleurs, pour régler la marche du four, de faire varier 3 ou 4 fois les obturateurs des évents pendant la cuisson pour obtenir la température voulue. Les fumées fournissent également, par leur couleur ou leur plus ou moins grande activité, des indications précieuses sur l’allure de la carbonisation.

Lorsque la carbonisation est achevée, les obturateurs et les couvercles sont clos, et, 15 à 20 heures après, on peut extraire le charbon produit, par la porte ad hoc.

La supériorité de ce procédé sur celui des meules de forêts consiste surtout dans les avantages suivants :

1° Ces appareils fonctionnent parfaitement par la pluie, le vent ou la sécheresse, et avec le même rendement ; 2° Des femmes conduisent fort bien ces fours ; deux femmes peuvent utiliser 4 appareils ; 3° Ces fours carbonisent également des relèves de scierie, des rondins de chêne, peuplier, pin, etc. ; même des bourrées en mélange (à la condition que ces dernières soient très serrées et de longueur réduite) ; 4° Le sens de la marche de la carbonisation est tel dans ces appareils qu’il ne peut rester de fumerons ou incuits en fin de carbonisation, après la chasse d’ air finale ; 5° Enfin, ces appareils ont un rendement de 25 à 30 pour 100 supérieur à celui des anciennes meules des forêts. Des usagers ont obtenu 120 kg de charbon par stère de chêne pelard.

Des anciennes meules de forêt. - Les meules de forèt sont dressées sur un terrain bien nivelé. Le bois y est empilé en serrant les rondins le plus possible, verticalement, avec une légère pente vers l’axe de la meule. Le tout est recouvert de feuilles mortes, gazon, etc., et ensuite revêtu de terre légère. La meule terminée a la forme d’une coupole (fig. 3.) On met le feu en B, au moyen de charbon allumé jeté par l’ouverture A. La cuisson s’opère progressivernent du centre à la périphérie ; le matelas de feuilles ou de gazon ainsi que la terre se tassent au fur et à mesure de la carbonisation. Après sa cuisson, le charbon est « étouffé » et refroidi automatiquement sous ce chapeau de terre, bien tassé à cet effet, an moyen du dos d’une pelle.

Cette méthode de carbonisation - très économique à première vue - est absolument défectueuse pour les raisons suivantes :

1° La cuisson ne peut se faire que dans une saison convenable : par un temps de pluie, le manteau de terre des meules se détrempe, et le rendement peut devenir nul. Par grand vent, la meule poreuse « se défonce », la garniture laisse passer l’air et ce dernier brûle le charbon en formation ; d’où perte de combustible.

2° Il faut des spécialistes bien au courant de leur métier pour obtenir un rendement normal. Une meule en plein feu subit à tout instant les influences du sol, de la température diurne et nocturne, des intempéries ; un charbonnier novice obtient peu de charbon en regard de beaucoup de fumerons et de cendres.

3° Enfin ces meules nécessitent une surveillance continuelle, la nuit comme le jour ; il arrive souvent que le matelas de terre « se perce » ; l’orifice ainsi formé devient une cheminée par où « tire » le feu de la meule ; si l’on ne remédie pas à cet inconvénient à bref délai, le charbon brûle par cette cheminée.

La comparaison entre cette dernière méthode, et le procédé nouveau de cuisson en fours à doubles parois, bien clos par conséquent, est facile à établir à première vue. La cuisson en fours étanches, munis d’un appareil vigilant indiquant la marche de la température, est un gros progrès dans l’art de carboniser en forêts.

Il y a lieu de s’en féliciter en pensant qu’un jour ce progrès servira utilement la production du « carburant national » et évitera ainsi l’exode de notre pauvre or vers les contrées, trop fortunées, de la production de l’essence et des autres hydrocarbures.

Nous souhaitons, en terminant, que les pouvoirs publics portent tous leurs efforts vers la réalisation des économies qu’apporteraient le développement de la fabrication, et l’utilisation du « carburant national » aussi merveilleux qu’abondant, qui s’appelle le charbon de bois.

N. D. R. - Nous apprenons qu’une exposition forestière a eu lieu le 24 courant à Selommes (Loir­ et-Cher) sous les auspices de M. Jagerschmidt inspecteur des eaux et forêts à Blois, ayant pour but de faire connaître tous les avantages récupérés par l’utilisation des produits forestiers - et en particulier du charbon de bois - au moyen des appareils divers exposés. - Nous sommes heureux de féliciter tout particulièrement M. Jagerschmidt de son heureuse initiative ; nous en espérons les meilleurs résultats.

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