De toutes les découvertes modernes, il n’en est pas de plus intéressante, de plus émouvante que celle des frères Montgolfier ; aussi, dès que les premières expériences d’Annonay furent connues, le public se passionna-t-il vivement pour les ballons ; rien ne manqua aux créateurs de l’art aérostatique, ni les applaudissements, ni les railleries. La gravure se mit bientôt de la partie. Elle célébra, dans des planches délicieuses, les essais d’une science toute française ; la caricature, celle singulière sanction du génie, offrit Ioules ses ressources aux jaloux et aux envieux, ajoutant ainsi au concert général la note de la parodie. L’ornementation ne resta pas en retard et l’on vit bientôt des meubles, des chaises, des miroirs au ballon ( M. Nadar, qui possède de ces meubles, a également de belles assiettes en étain avec gravures représentant des aérostats). Dans ces conditions, en présence de cet engouement facile à comprendre, la céramique devait, de son côté, se préoccuper des ascensions qui, à la fin du dix-huitième siècle, à une époque de fièvre politique et d’effervescence papillaire, tenaient tous les partis réunis dans une même inquiétude sur le sort des navigateurs aériens. Un grand nombre de plats, d’assiettes et d’autres pièces de faïence furent donc décorés dans cette disposition d’esprit.
Aujourd’hui, après tous les services rendus par les aéronautes parmi lesquels nous saluons des martyrs - il nous a semblé qu’une description de ces vieilles faïences ne serait pas sans satisfaire la légitime curiosité des amateurs. Nous avons parcouru plusieurs collections particulières : la première et l’une des plus complètes est celle de MM. Albert et Gaston Tissandier, chez lesquels nous avons emprunté les sujets des gravures que nous publions. M.Nadar, à qui rien de ce qui touche aux aérostats n’est étranger, nous a accueilli avec sa bienveillance traditionnelle ; nous devons aussi mentionner les excellentes mais trop courtes citations de M. Maréchal, et en fin remercier quelques amis qui nous ont adressé des renseignements de nature à nous être utiles.(L’idée de cet article nous a été fournie par la vue de plats du genre de ceux qui nous occupent, dans la collection de M. Jules Lecocq, de Saint-Quentin.)
La première pièce que nous avons à signaler est nécessairement relative à la première ascension, accomplie en présence du Dauphin dans les jardins de la Muette, le 21 novembre 1783. La montgolfière qui emportait Pilâtre de Rozier et le marquis d’Arlandes était décorée avec un grand luxe, dans le style du dix-huitième siècle. L’assiette commémorative est assez commune ; ses bords sont d’une simplicité absolue sans autre décor qu’un simple trait de pinceau. L’aérostat est peint en vert et rouge, au centre se détache le chiffre royal, ayant à droite et à gauche un soleil ; du réchaud s’échappent des flammes ; les deux intrépides voyageurs saluent les spectateurs en agitant des drapeaux. Ces détails sommaires sont exacts, conformes au récit de Faujas de Saint-Fond.
Quelques jours après ces essais si heureusement couronnés de succès, le 1er décembre 1785, Robert et Charles, le physicien à la mode, le savant des salons élégants, s’élevèrent des Tuileries dans le premier ballon à gaz hydrogène. En montant dans la nacelle, ils jetèrent leurs chapeaux à Delavoipierre qui écrivit, à ce sujet, les vers suivants :
Je garde vos chapeaux et j’en aurai bien soin,Mes amis, je rends grâce au sort qui me les donne.D’un chapeau qu’avez-vous besoin,Lorsque la gloire vous couronne.
Cet incident n’a pas été oublié par les céramistes ; des assiettes existent en effet qui nous montrent un ballon jaune et blanc muni de son filet soutenant une nacelle dans laquelle sont placés deux aéronautes, l’un d’eux est nu-tète et son chapeau se voit en bas, à droite (fig. 1). La céramique et les aérostats.
On a dû, dans la même fabrique, produire une certaine quantité de ces assiettes car, si le sujet reste dans toutes le même, le marly varie dans plusieurs quant aux couleurs de on modeste ornement.
Le nouvel emploi de l’hydrogène substitué à l’air chauffé, le remplacement de la montgolfière par le ballon à gaz, est un fait assez important pour avoir exercé le talent des artistes. Nous trouvons donc, provenant d’une autre fabrique, une pièce représentant un aérostat à raies verticales violet et jaune, muni de son filet soutenant une nacelle dans laquelle sont deux aéronautes agitant des oriflammes bleu et orange. Cette composition est la copie presque textuelle d’une gravure du temps (Voy. la reproduction de cette gravure dans Simples notions sur les ballons et la navigation aérienne, par G. Tissandier : nous avons aussi puisé des notes utiles dans l’histoire des ballons, de Mm. Sircos et Pallier.) ; les bords de l’assiette sont ornés d’un petit décor caractéristique que nous retrouverons sur une pièce de faïence relative à Blanchard.
Un certain nombre d’autres assiettes sont bien dignes d’attirer un moment notre attention, tant par la finesse de leur exécution que par l’intérêt de l’expérience dont elles conservent le souvenir. Cette fois le ballon est à raies verticales blanches ou oranges : de la partie supérieure de la soupape jusqu’à l’équateur, un filet soutient par des cordes nombreuses une nacelle en forme de barque, A l’une des extrémités de cette nacelle est un drapeau, à l’autre un globe aux armes de France ; l’aéronaute ne s’occupe pas de la manœuvre du ballon, il tient à la main un objet d’où jaillit une flamme et de la fumée. Au-dessous de lui s’étend un charmant paysage (fig. 2). Les assiettes de ce genre, d’une forme gracieuse, rappellent le rocaille Louis XV très-modéré,
Ce sont des produits dans le genre de ceux de Marseille , mais il en est sorti assez souvent de la manufacture de Saint-Amand, à laquelle nous n’hésitons pas à les attribuer.
Il s’agit probablement ici de l’ascension de Testu Brissy, parti des jardins du Luxembourg le 13 juin 1786. Après avoir perdu, dans la plaine de Montmorency, ses rames qui furent cassées, il s’abaissa vers 6h.45min. près de l’abbaye de Royaumont, puis il quitta de nouveau la terre, descendit entre Ecouen et Vareville, pour remonter encore dans les airs ; il raconte ainsi la dernière période de cette promenade mouvementée : « La nuit étant arrivée, je m’abaissai un peu et me trouvai au milieu des nnages, d’où partaient à chaque instant des éclairs accompagnés d’un tonnerre violent. Je me trouvais attiré et repoussé par les nuages chargés de plus ou moins d’électricité. Mon pavillon, qui portait les armes de France, était étincelant de lumière. Suivant l’élévation où je me portais, je reconnaissais l’électricité positive ou négative à l’aide d’une pointe de fer placée dans mon char, Il sortait de cette pointe une gerbe de feu lorsque l’électricité était positive ; quand je m’élevais un peu plus haut dans le nuage, la pointe de fer n’offrait qu’un point lumineux parce que l’électricité était négative. »
A la mème époque, un autre chercheur, Blanchard, devait se faire remarquer du public ; nous allons donc rencontrer des faïences qui enregistreront, comme un nouvel album, ses principales tentatives.
Le vaste champ d’études ouvert aux physiciens attira un nouveau venu ; le ballon que Blanchard construisit avait un aspect peu agréable à l’œil ; un parachute et des rames le rendaient bizarre.
Le premier essai eut lieu le 2 mars 1784 ; ce fut un échec sanglant. Blanchard, s’élançant du Champ de Mars pour aller à La Villette, descendit à Billancourt !
Le fabricant qui avait trouvé, dans l’ascension de Charles et Robert, le sujet d’une composition intéressaute ne laissa pas perdre l’occasion que lui offrait cette malencontreuse aventure :
Une assiette nous fait assister aux manœuvre d’un ballon rond, dont la partie supérieure est orange, l’équateur bleu et l’appendice blanc, muni d’un filet soutenant une nacelle qui porte des ailes ; entre ces ailes et l’appendice est un parachute, Le dessin, bien qu’assez grossier, répond parfaitement aux descriptions qui furent données de l’appareil ; le doute est donc impossible à cet égard, .
Nous avons à mentionner des variantes qui se rapportent aux différents voyages de Blanchard. Ainsi, dans une assiette semblable à la précédente, les ailes sont supprimées, le parachute n’existe plus et les aéronautes (il y en a deux) agitent des rames (fig, 3). Une autre nous représente deux voyageurs ramant comme des canotiers dans leur nacelle (fig. 4).
Une autre assiette encore a trait tout particulièrement à l’ascension du petit Chelsea, près Londres (16 octobre 1784), Ici le ballon est représenté sans filet, la nacelle ronde est munie d’un ventilateur attaché par quatre cordés à l’appendice ; il n’y a plus de cercle ni de parachute. Or nous savons que l’aéronaute, accompagné d’un professeur nommé Sheldon, s’éleva dans les airs avec le mème ballon qui lui avait servi en France, « le seul changement qu’on y fit fut d’ôter le cerceau qni servait d’équateur et le parasol dont l’inutilité était démontrée.". Un ventilateur devait servir aux différentes manœuvres, etc,… »
Cet extrait d’une relation contemporaine montre que la vérité a été observée très-scrupuleusement ; un dernier détail va le prouver. Blanchard est seul dans sa nacelle, mais cette circonstance ne détruit rien de notre explication, elle la confirme au contraire, car vers une heure de l’après-midi, il avait dû atterrir à Sunbery pour faire descendre M. Sheldon, puis il repartit seul après avoir ainsi allégé son ballon.
Blanchard renonça tout à fait à ses appareils qui ne le dirigeaient pas ; c’est encore ce que nous apprendrait, à défaut d’autres documents, une assiette qui ne diffère de celles dont nous venons de parler que par la disparition de son système.
Celui à qui les magistrats de Calais et de plusieurs localités avaient donné à l’envie le titre de citoyen de leurs villes ne voulut être devancé par personne et multiplia les ascensions. Une surtout va nous retenir un instant.
Le 28 mars 1786, après plusieurs jours d’arrêt occasionné par la tempète, et malgré un temps encore fort mauvais, Blanchard s’éleva au-dessus de la ville de Douai et alla descendre à l’Etoile, en Picardie.
Pendant son séjour dans l’air, il était passé au-dessus de Saint-Amand et avait laissé tomber dans cette ville une lettre adressée au Journal de Paris. C’est évidement à cette ascension que fait allusion un fort joli plat, semblable comme style à l’assiette de Testu Brissy, et que nous pensons ètre, comme elle, un des plus gracieux produits de Saint-Amand (fig. 5) ; ici nous sommes confirmés dans notre hypothèse autant par la donnée historique que par l’aspect de ce plat charmant entre tous. Dans un médaillon s’élève un ballon formé de côtes couleur jaune clair et orange, un filet sans cerceau soutient « le char » ou nacelle peint en bleu et noir ; l’aéronaute, habillé de jaune, salue le public en agitant un drapeau. Un sac de lest est pendu en dehors de la nacelle. L’ensemble est d’une exquise sobriété, tout à la fois léger et d’un goût parfait.
La manufacture de Saint-Amand n’est pas la seule fabrique du nord de la France qui ait livré au commerce des faïences du genre de celles que nous décrivons. Si Nevers et Strasbourg eurent, de leur côté, une grande part dans cette fabrication, Lille, Sinceny et l’usine moins importante d’Esmery Hallon peuvent, sans invraisemblance, revendiquer la leur. Quant à Desvres ou Hesdin nous n’en signalerons qu’un produit assez curieux.
Le ballon est recouvert d’un filet qui enlève une nacelle soutenue par des cordes et celles-ci se rattachent au milieu de l’esquif dont les extrémités restent libres ; aussi les aéronautes sont-ils obligés de se retenir d’une main à l’appareil tandis qne de l’autre ils agitent des drapeaux. Le ballon est peint en noir et ocre, l’appendice et la soupape sont rehaussés de rouge ; les aéronautes sont vètus d’un habit bleu, ils portent une perruque noire et des chapeaux peu élégants ; la nacelle, peinte en noir, ocre et rouge, laisse échapper des branches de feuillage ; tout est arrangé en vue des décors dans ce plat qui, de loin, garnit parfaitement. Ce dessin ayant été souvent reproduit, nous avons des variantes à signaler dans la bordure ; tantôt sur le marly court un quadrillé bleu, tantôt le quadrillé vert entouré de manganèse est coupé par quatre médaillons où se mêlent le bleu, le rouge et l’ocre ; d’autres fois encore le quadrillé fait place à des bouquets et branches de verdure ; toujours le but poursuivi est d’attirer les regards par l’éclat de vives couleurs.
Nous ne pouvons appliquer à un fait spécialement déterminé ces pièces de service, qui nous semblent plutôt avoir été inspirées par la généralité des voyages aériens. La mème observation va s’adresser à d’autres faïences.
Celles qui se présentent d’abord à nos yeux nous font en quelque sorte assister aux préliminaires d’une descente ; elles nous montrent l’aérostat se rapprochant de la terre. Dans une, un ballon noir et orange, monté par deux personnes, plane au-dessus des champs, un spectateur regarde le ballon qui déjà ralentit sa marche ; dans une autre un ballon bleu se dirige droit sur un arbre menaçant, un paysan s’avance pour porter secours aux voyageurs. Ces deux scènes sont traitées sans une grande finesse, mais avec un certain talent. Un travail beaucoup plus délicat, qui ressemble à celui des ouvriers marseillais, place an centre d’une assiette trois branches d’arbre partant capricieusement dans des directions opposées ; de cet ensemble pittoresque se détache un ballon qui a été précédé d’un autre plus élevé et presque disparu ; c’est une peinture fort agréable, mais sans valeur scientifique.
Dans le mème ordre d’idées, nous citerons encore une assiette assez remarquable. Elle nous offre un ballon portant une nacelle Louis XV et deux pennons. L’aérostat vogue dans l’espace au milieu d’oiseaux qui fuient effarés. Au zénith un soleil jaune, aux couleurs criardes, répand ses vifs rayons, et au nadir le manganèse triomphe dans un paysage rapidement esquissé (fig. 6).
On voit que parmi les faïences aérostatiques se rencontrent de véritables monuments destinés à rappeler un fait marquant dans l’histoire aérostatique, tandis que d’autres représentent de simples allégories. Nous examinerons à présent les assiettes qui, par leurs légendes. nous feront connaître l’opinion de la foute sur la découverte de Montgolfier.
La première, qui a nécessité peu de frais d’imagination, nous montre un ballon à raies verticales de plusieurs couleurs divisées par l’équateur d’où partent six cordes retenant une nacelle ornée des oriflammes réglementaires ; un vaste orifice laissera échapper le gaz, et sous la nacelle de l’aérostat se trouve écrit le mot : Adieu.
Une autre assiette, avec la mème légende, nou fait voir un ballon pareil, seulement un peu plus gros ; des oiseaux voltigent sous la nacelle. Le marly, divisé en quatre compartiments par de doubles lignes perpendiculaires à un médaillon prenant tout le fond, est décoré par des branches et des fleurs.
D’autres assiettes représentent le jardin des Tuileries, avec le ballon de Charles et Robert, et portent tantôt la légende adieu (fig.7), tantôt l’une de ces deux autres devises, la première ironique : à la folie du siècle, la seconde louangeuse : à l’immortalité.
Ces assiettes sont essentiellement populaires et n’ont pas la grâce de celles de Saint-Amand, mais elles dénotent chez ceux qui les ont décorées ce goût délicat qui caractérise le style Louis XVI.
Nous sommes ensuite en présence d’un gros ballon à côtes verticales de couleur rose et verte avec un équateur orange ; quatre chaînes, partant de cet équateur, soutiennent une nacelle jaune assez mal ombrée, aussi croirait-on qu’elle est représentée en coupe si on n’apercevait les épaules et la tète d’un aéronaute dont le reste du corps disparaît dans la nacelle. La légende lui souhaite bon voyage, et il se repose dans une attitude franchement paisible qui nous rassure pleinement sur l’issue de sa promenade. Trois gros insectes noirs, aux larges ailes roses, voilà pour le marly.
Les mêmes assiettes existent aussi, et plus nombreuses, sans la légende ; nous croyons qu’elles sortent des fabriques de Strasbourg, nombreuses à cette époque.
La figure 8 représente une autre pièce de la collection de MM. Tissandier ; c’est un remarquable petit bidon Louis XVI oû est peint le ballon que M. Blanchard conduisit dans les airs en février 1784, et qui portait écrit sur ses banderoles la devise : sic itur ad astra.
Depuis la fin du règne de Louis XVI, et surtout dans ces dernières années, on a vendu d’autres produits ; mais d’une qualité tellement inférieure qu’ils ne méritent pas une mention, sauf peut-être un grand plat en poterie rustique du canton de Berne (Suisse), exécuté sous la direction de M. Boban et représentant, au milieu de fleurs et de feuillages, le Géant, avec celle dédicace écrite sons la nacelle : A NADAR, E. B. 1864.
Ainsi donc, à de rares exceptions près, toutes les assiettes au ballon sont antérieures au dix-neuvième siècle ; bien plus, elles sont antérieures à 1789. Faut-il le comprendre dans la dénomination de patriotiques ? Si cette qualification s’applique à tout ce qui nous rappelle la Révolution et à rien de plus, nous devons répondre négativement ; mais si on l’étend, comme il convient de le faire, aux faïences rappelant les événements importants et glorieux de notre histoire nationale, oui, les assiettes au ballon méritent d’être appelées patriotiques, car la gloire de la découverte qu’elles célèbrent est une des plus grandes et des plus pures que la France puisse revendiquer.