Une bien triste nouvelle a été connue à Paris dimanche dernier ; nous voulons parler de la mort de l’un de nos ingénieurs les plus distingués, de M. Léon Boyer, directeur général des travaux du Canal interocéanique, qu’une terrible et subite attaque de fièvre a enlevé dans sa résidence de Panama.
Léon Boyer n’avait que 35 ans ! Né à Florac, dans la Lozère, il fit ses études au Lycèe de Lyon, et fut reçu dans un des premiers rangs à l’école polytechnique dont il devint l’un des plus brillants élèves. Sorti de l’école, dans les ponts et chaussées, il ne tarda pas à être nommé ingénieur à Marvejols dans son département de la Lozère. Chargé de l’étude de la ligne du chemin de fer de Marvejols à Neussargues, il surmonta avec un rare talent les difficultés tout à fait exceptionnelles que présentait le tracé, et il exécuta un grand nombre de travaux d’art remarquables. Le viaduc de Garabit, dont il est l’auteur, attira sur lui l’attention du monde industriel. Cette œuvre hors ligne, dont l’exécution a été confiée à M. Eiffel, constitue l’une des plus belles et les plus importantes constructions métalliques de l’Europe et de l’Amérique(Voy. La Nature n° 508, du 25 février 1883, p. 103, et n° 521, du 26 mai 1883, p. 401.).
Après l’achévement du chemin de fer de Marvejols à Neussargues, Léon Boyer se fixa à Paris, et il fut bientôt attaché à la direction des Chemins de fer au Ministère des travaux publics. C’est alors que la Compagnie du Canal de Panama lui proposa de remplacer M. Dingler comme directeur général des travaux. Léon Boyer n’hésita pas à accepter : l’importance de l’œuvre de M. Ferdinand de Lesseps était faite pour séduire cet homme de hardiesse, de volonté et de persévèrance, qui avait la louable ambition d’attacher son nom à de grandes entreprises. Dès son arrivée à Colon, il dirigea les travaux avec l’activité et l’ardeur qui l’animaient. Il étudiait des modifications et des améliorations importantes dans le tracé du canal, quand la mort vint le surprendre. L’ingénieur rendit le dernier soupir quelques jours après avoir appris par un télégramme, que sa jeune et courageuse femme restée à Paris, venait de lui donner un fils ! Léon Boyer. dont nous avions l’honneur d’être l’ami, joignait à une intelligence d’élite toutes les qualités d’un beau caractère. Il avait l’entrain du méridional, la fougue et l’élan de la jeunesse ; il se passionnait pour tout ce qui est grand et pour tout ce qui est noble.
Il est mort au nom de la science, pour laquelle il combattait.
Comme le soldat qui tombe au champ d’honneur, il trouvera des frères d’armes qui vengeront sa mémoire en achevant la conquête commencée.