M. Gustave Eiffel est mort à Paris, le 28 décembre 1923, à l’âge de 91 ans. La France perd en lui un de ses plus illustres ingénieurs en même temps qu’un savant distingué. Car Eiffel était non seulement le grand constructeur que tout le monde connait ; il a été de tout temps un grand ami de la science, pure ou appliquée, et lui-même l’a cultivée avec succès.
G. Eiffel est né à Dijon en 1852. Ancien élève de l’École Centrale, il aborda, dès sa sortie de l’École, les problèmes relatifs à la construction des grands ouvrages métalliques, alors à leurs débuts, et il y affirma bien vite sa maitrise. Dès 1858, il dirigeait la construction du pont en fer construit à Bordeaux sur la Gironde, pour le passage de la voie ferrée. Ce pont était alors l’un des plus grands que l’on eût jamais lancés.
En 1867, il établit les plans et les calculs de la fameuse galerie des Machines construite pour l’Exposition Universelle. M. Eiffel devint ensuite l’un des plus grands constructeurs de ponts métalliques du monde, et l’on retrouve ses ouvrages dans l’Europe entière ; tous remarquables par leur hardiesse, leur élégance de lignes, et leur solidité : citons le pont du chemin de fer de Porto sur le Douro, au Portugal, de 160 m d’ouverture, le viaduc de Tardes sur la ligne Montluçon-Eygurande dont le tablier est à 80 m au-dessus du fond de la vallée, le viaduc de Garabit de 165 m d’ouverture, le pont de chemin de fer sur le Tage, sur la ligne de Cacerès en Espagne de plus de 310 m de long ; le pont de Vianna, au Portugal sur la ligne de Minho, long de 724 m ; le pont-route de Szegedin en Hongrie, etc.
L’ouvrage le plus célèbre, le plus discuté aussi de G. Eiffel est la tour de 300 m de haut qui porte son nom, et qui le rendit populaire ; c’est aujourd’hui encore le plus haut monument du monde. On sait qu’elle fut construite pour l’Exposition de 1889 dont elle constitua, indiscutablement, le « clou ». En butte tout d’abord aux critiques les plus vives de la part de tous ceux dont elle déroutait l’esthétique, la Tour Eiffel a conquis peu à peu l’admiration presque unanime des délicats ; elle s’est s’y bien incorporée aux paysages parisiens, que sa disparition provoquerait aujourd’hui plus de protestations encore que n’en souleva sa construction.
G. Eiffel était très attaché à sa tour ; il voyait en elle son « chef-d’œuvre » au sens où les artisans d’autrefois entendaient le mot. Et la pensée qu’elle pourrait un jour être jetée bas lui était fort douloureuse. Aussi s’attacha-t-il dès l’origine à lui créer des emplois utiles, qui la défendraient plus tard contre les attaques des démolisseurs. C’est ainsi qu’il fut amené à en faire dès le début un centre d’études scientifiques de tous genres. C’est là qu’il trouva lui-même, au sein de la science pure, un refuge paisible, lorsque, pris dans la tempête du Panama, où il avait entrepris des travaux à tous égards remarquables, impliqué dans un procès injuste et abreuvé d’amertumes, il renonça pour toujours à la carrière de constructeur où il avait conquis une gloire légitime, pour le plus grand renom de son pays.
Au sommet de sa Tour, G. Eiffel s’était réservé des locaux qui lui servirent de bureau d’étude et de laboratoire ; parmi les travaux et les recherches auxquels il comptait faire servir la Tour, figuraient au premier rang des observations astronomiques, des recherches physiques, chimiques, météorologiques et biologiques. Dès 1889, un observatoire météorologique parfaitement outillé y était installé par les soins et aux frais d’Eiffel. En 1891, il faisait installer pour le physicien Cailletet, le célèbre manomètre de 300 m de haut.
Lorsque la télégraphie sans fil fit son apparition, la Tour constitua immédiatement un support d’antenne alors sans rival au monde. et M. Eiffel s’empressa de faciliter à un jeune officier du génie, le capitaine Ferrié, la création d’un poste de télégraphie sans fil à la Tour. Ce poste a été, on le sait, le berceau : de la télégraphie sans fil en France et, après bien des modifications exigées par les progrès de la science, il constitue encore un organisme précieux pour rémission des messages scientifiques et pour la diffusion par téléphonie sans fil.
C’est à la Tour également que G. Eiffel commença les études sur la résistance de l’air qui devaient ajouter à sa gloire d’ingénieur le renom du savant pur. C’était là un sujet sur lequel son attention avait été attirée de longue date par les difficultés et les accidents imputables au vent dans la construction des ouvrages d’art. Il avait pu observer que les coefficients dont se servaient les ingénieurs pour prévoir les effets du vent étaient imprécis et que la réalité infligeait souvent de cruels démentis aux calculs.
Il fut ainsi amené à entreprendre d’abord des mesures sur des corps de formes diverses, tombant en chute libre du haut de la Tour. Des dispositifs ingénieux lui permettaient d’enregistrer à chaque instant la vitesse du corps, et la résistance de l’air. Ces premières recherches lui démontrèrent l’importance et la complexité du problème et le conduisirent à construire, à Auteuil, un laboratoire aérodynamique excellemment outillé. Il y effectua de 1909 jusqu’à ses derniers jours, des études remarquables et de la plus haute importance sur les formes des surfaces portantes en aviation et sur les hélices aériennes,
La guerre démontra l’importance fondamentale de ces travaux qui ont été un guide précieux pour tous les constructeurs aéronautiques et qui font autorité à l’étranger comme en France. Quand les hostilités éclatèrent, le laboratoire Eiffel était le’ seul centre d’études aérodynamiques, organisé et outillé dont la France disposât, et il fut largement mis à contribution, au grand bénéfice de la défense nationale.
G. Eiffel a cruellement éprouvé les effets de l’ingratitude des hommes ; mais il a assez vécu pour se voir rendre pleine justice.
Il s’est éteint paisiblement, comblé d’honneur, et laissant un nom à bon droit illustre.