L’un des représentants les plus autorisés de l’électricité, M. Gaston Planté, vient de mourir, le 21 mai 1889, à l’âge de cinquante-cinq ans.
Gaston Planté occupait une place à part dans le monde scientifique ; il n’appartenait à aucune école, et n’avait aucune attache officielle ; par sa situation de fortune, qui lui assurait l’indépendance, il avait pu toute sa vie s’adonner aux recherches de l’électricité aux progrès de laquelle il a tant contribué.
Gaston Planté passa son enfance dans un vaste appartement du Marais, à Paris, rue de la Cerisaie. Cinquante ans après, il y habitait encore et il ne quitta cette installation, qui fut le théâtre de tous ses travaux, que quelques années avant sa mort.
C’est en 1860, après de patientes recherches sur les courants secondaires, que Gaston Planté construisit le premier élément de pile secondaire ou accumulateur. Cette découverte considérable, l’une des plus remarquables de notre époque, excita au plus haut point l’étonnement de l’Académie des sciences et des physiciens. L’avenir a donné la mesure de son importance. On sait qu’il n’est pour ainsi dire pas aujourd’hui d’installation d’électricité où l’on n’ait recours aux accumulateurs, précieux réservoirs d’énergie électrique, Les types de ces appareils sont actuellement multiples, mais, quel que soit le nom qu’ils portent, on peut les considérer tous comme des accumulateurs Planté, de môme ’lue les divers modèles d’injecteurs de machines à vapeur, sont en réalité des injecteurs Giffard,
Gaston Planté construisit, dans son cabinet de physique, une immense batterie d’accumulateurs qu’il chargeait lentement arec deux éléments Bunsen, et qui, accouplés en tension par milliers d’éléments, lui permettaient d’obtenir des manifestations électriques imposantes, au moyen desquels l’illustre inventeur est arrivé à reproduire artificiellement les phénomènes naturels, depuis les aurores boréales jusqu’à la foudre globulaire [1]. Je me rappelle avoir souvent assisté jadis aux expériences grandioses de Gaston Planté ; elles n’étaient pas sans péril, car les électrodes qu’il maniait eussent pu frapper de mort l’expérimentateur inhabile. Le jeune physicien était autrefois aidé dans ses expériences, par son père, qui avait une ardeur toute juvénile ; fier de son fils au delà de tout ce qu’on peut dépeindre, ses yeux pétillaient de joie quand on en faisait l’éloge. Touchante affection, que celle de ces deux hommes si étroitement : unis ; ils échangeaient toutes leurs idées, travaillaient toujours ensemble, et souvent le soir, pour se reposer des recherches de la journée, ils se livraient à la lecture des philosophes. Les œuvres de La Bruyère et de Pascal, étaient leurs ouvrages favoris.
Quand Gaston Planté perdit son père, il en éprouva une douleur extrême, dont il ne se consola jamais. Fréquentant souvent la famille de ses frères, dont l’un d’eux, Francis Planté, est le musicien bien connu, il se plaisait néanmoins dans les recherches de son cabinet de physique. Sa santé n’était point vigoureuse, et il lui fallait prendre beaucoup de soins et de ménagements.
Gaston Planté a continué ses travaux jusqu’à sa dernière heure ; il les a résumés dans son livre impérissable, Recherches sur l’électricité, qui peut être considéré comme un des plus grands monuments élevés à la science électrique. L’inventeur des accumulateurs n’avait pas seulement cultivé les sciences électriques ; dans sa jeunesse il s’était adonné avec passion à l’étude de la géologie et de la paléontologie : on lui doit la découverte, dans le conglomérat de Meudon, des débris d’un remarquable oiseau éocène, auquel Constant Prévost a imposé le nom de Gastornis (oiseau de Gaston). Cette découverte, faite en 1855, produisit un véritable événement en paléontologie. Gaston Planté avait une érudition universelle, son appartement n’était pas seulement un sanctuaire de la science expérimentale, un atelier du praticien avec tout son outillage, c’était aussi une bibliothèque où étaient méthodiquement rangés, dans une série de pièces successives, des milliers de livres et de publications scientifiques. Le savant physicien était un causeur incomparable ; son esprit brillait par la gaieté, le trait, la finesse et la bienveillance. Gaston Planté était la modestie même ; il ne s’occupa jamais pour lui, ni de s’attirer des honneurs, ni de demander quoi que ce soit, mais quand il s’agissait de rendre service à ses amis, il partait en campagne, et devenait solliciteur. Il avait au plus haut point le sentiment de la justice, et se révoltait à l’idée d’une faveur ou d’une récompense qui échappait à celui qu’il en jugeait digne. Son cœur était aimant. et tendre, et ses amis avaient pour lui une affection sans bornes
Quelques années avant sa mort, Gaston Planté fut élevé au grade d’Officier de la Légion d’honneur : il méritait beaucoup plus, et sa place était à l’Académie des sciences. Mais le laborieux physicien ne recherchait pas les distinctions : il était heureux dans son cabinet de physique, ou dans sa villa de Bellevue et il se plaisait par-dessus tout dans la pratique du travail et dans l’intimité des siens ou de ses amis.
Gaston Planté aura vécu modestement sur cette terre ; il n’y fit pas de bruit, y tint une petite place ; mais contrairement à ceux qui y passent avec fracas et ne laissent après eux rien de durable, il y aura semé le germe d’une moisson féconde pour l’avenir.
Le nom de Gaston Planté est inscrit pour la postérité à côté de ceux des Volta, des Ampère, et des immortels fondateurs de la science électrique.
GASTON TISSANDIER