En 1937, fut célébré à Belgrade, le 80e anniversaire de la naissance du grand savant, de l’audacieux et puissant esprit dont les anticipations, - traitées de fantaisistes par certains savants de la fin du dernier siècle, - se sont cependant, actuellement, en grande partie réalisées, de Nicolas Tesla (fig. 1) qui, né le 10 juillet 1856, à Soniliane (Croatie), dans la Lika rocheuse (fig. 2), vit encore à New-York, en ces États-Unis où, durant plus de 50 ans, il déploya une merveilleuse activité scientifique et industrielle.
Tesla est fils et petit-fils de prêtres orthodoxes (popes) .
Le père de Tesla était un homme cultivé, philosophe, écrivain, prédicateur de talent. Il sut donner à son fils une éducation originale : il lui faisait faire journellement des exercices consistant, par exemple, à deviner les pensées d’autrui, à découvrir lés lacunes dans l’expression des pensées écrites, à répéter de longues phrases ; ou bien à faire mentalement des calculs compliqués.
La mère de Nicolas Tesla possédait des dons innés d’inventeur. C’est ainsi qu’elle imaginait de multiples ustensiles pratiques servant à des usages domestiques ou ruraux et destinés à faciliter ses travaux journaliers. C’était en même temps une véritable artiste dans l’exécution des travaux manuels. Ses dentelles erses tissés, comportant d’admirables ornements et dessins, suscitaient l’admiration de son entourage.
Son père désirait qu’il se consacrât à la théologie, alors que Tesla rêvait de s’adonner à l’étude des sciences physiques. Sur ces entrefaites, il tomba malade du choléra et se débattait dans les affres de la maladie, quand, à son père venu pour le réconforter : « Je guérirai », lui dit-il, « si vous m’autorisez à faire mes études d’ingénieur ». - « Tu suivras les cours de la meilleure des écoles techniques » lui répartit son père. Il guérit. On assure que sa rare volonté, dont plus tard il donna tant de preuves, fut la cause décisive de sa guérison.
Au cours de sa deuxième année d’études à l’Université de Gratz on fit fonctionner devant lui une dynamo qui présentait de nombreuses étincelles aux balais. « N’est-il pas possible de supprimer cet inconvénient ? » demanda-t-il « C’est aussi chimérique que la solution du mouvement perpétuel » lui fut-il répondu. C’est en 1882, étant à Budapest, poursuivant ce problème, qu’il découvrit les champs magnétiques tournants et par là, l’entretien d’un moteur dépourvu d’étincelles aux balais. Il construisit, à l’atelier, avec des pièces apportées de Paris, un petit moteur asynchrone, et c’est à Strasbourg qu’il vit, pour la première fois, fonctionner son moteur ; il chercha le moyen d’industrialiser sa découverte, d’abord à Paris, puis. à Strasbourg. Mais, . comprenant qu’il ne parviendrait pas à intéresser les milieux techniques à son invention, Tesla s’expatria aux États-Unis. Dès sa première année de présence aux usines de la Compagnie Edison, à New-York, Tesla s’y distingua au point que financiers et ingénieurs lui proposèrent de fonder une société. Il accepta, pensant qu’il allait pouvoir réaliser ses inventions, mais ses associés ne s’occupèrent que d’un système d’éclairage par arcs ; le courant alternatif ne les intéressait pas. Enfin, en 1887, il fonde la « Tesla Electric Company », et met au jour ses découvertes.
C’est alors qu’il obtint, à New-York, sept brevets relatifs à la production, à la transmission et à l’utilisation de l’énergie électrique par courants alternatifs triphasés (fig. 3).
Nous voyons donc que lorsqu’en 1882, le jeune savant yougoslave indiqua ce moyen commode et économique de transport de l’énergie, personne ne comprit la fécondité de ses essais. Il en advint ce qu’en 1860 il advint de l’invention de la dynamo par Pacccinotti , le professeur italien de l’université de Pise : la dynamo dut être réinventée, 10 ans plus tard, par l’ouvrier belge Gramme, pour que les milieux industriels prêtent enfin attention à cette si féconde invention.
En France, en Roumanie, dans les pays de langue française, on ne sépare pas les champs tournants du seul nom de Galileo Ferraris. Nous avons le devoir de réparer cette injustice. Nos traités les plus complets sont absolument muets , concernant Tesla, au sujet des champs tournants. L’un des plus récents, — des mieux rédigés et des mieux composés au point de vue didactique, — cite plusieurs fois les noms de tout récents chercheurs, mais il ne cite le nom de Tesla, ni à propos des champs tournants, ni même à propos des courants de haute fréquence.
Ce n’est qu’en 1888 que Galileo Ferraris, sous le titre : « Rotations électrodynamiques produites par les courants alternatifs » retrouva les courants triphasés, mais sans en comprendre l’intérêt car il écrit : « On peut même construire un petit moteur en plaçant un cylindre tournant dans le centre des bobines. Un tel moteur se prête difficilement aux applications industrielles ».
Ce passage de la note de Ferraris montre, péremptoirement, que le savant italien n’avait aucune idée de l’énorme progrès industriel contenu dans les champs tournants et qu’il considérait son expérience comme une curiosité sans portée.
La priorité indéniable de Tesla est d’ailleurs établie par les dates de ses brevets et publications.
Ce n’est que plus de 8 ans après Tesla (1887 à 1895), que Ferraris songea — en 1895 seulement — aux applications pratiques des champs tournants et des courants polyphasés.
Ce qui consacra pratiquement l’adoption de ce système, ce fut la constitution, en 1896, par la Niagara Falls Power Cy, d’une commission internationale comprenant notamment Lord Kelvin (Sir William Thomson), Mascart, Edison, etc … , dont la mission fut de rechercher, pour ladite société, la meilleure utilisation au transport électrique de l’énergie des chutes du Niagara. Après enquête, la commission choisit le système Tesla, malgré l’opposition de Lord Kelvin et d’Edison, restés partisans du courant continu.
Le système Tesla installé aux chutes, par deux génératrices diphasées de 2.300 v et 5.000 ch chacune, fut d’un fonctionnement si satisfaisant que des extensions amenèrent l’adjonction de cinq nouveaux groupes électrogènes.
On évalue à trois cents milliards de kw/h [1] l’énergie qui se transporte actuellement, chaque année, électriquement, sous la forme de courants triphasés.
Rappelons maintenant les autres découvertes capitales de Tesla : haute fréquence, sensationnelles expériences répétées en Amérique d’abord, puis en Europe, à Londres et à Paris, en 1892.
Il découvrit une forme nouvelle de l’énergie électrique, ces courants de haute fréquence dits « courants de Tesla » de propriétés aussi merveilleuses qu’inattendues : des ampoules sphériques - à atmosphère raréfiée - sont traversées par un fil conducteur « unique » ; elles sont donc à une seule électrode, très soigneusement isolée du tube, par de la poussière de mica, par exemple. Ce fil « unique » se termine-t-il par un bouton en substance « réfractaire » exactement centré dans l’ampoule ? La haute fréquence le porte Il cependant » à l’incandescence (fig. 4).
En janvier 1891, Tesla précisa, en deux brevets sur les courants de haute fréquence et de haute tension, son invention si ingénieuse d’un transformateur particulier universellement connu sous son nom (fig. 5 et 6).
En associant, avec une perspicacité remarquable, la décharge oscillante de condensateurs et le soufflage vigoureux de l’étincelle de décharge, soit par un champ magnétique (fig. 5 et 5 a), soit par un violent courant d’air (fig. 6), Tesla obtint des effets tout nouveaux.
Ainsi Tesla présente à ses auditeurs une sphère métallique connectée à « l’une seulement » des extrémités de son transformateur. En approche-t-il alors une tige métallique tenue à la main ? Il en tire aussitôt un torrent d’étincelles, de 20 à 30 cm de longueur. Cela, sans le moindre danger (fig. 7).
En tous ces phénomènes, l’énergie électrique possède une fréquence d’un million de périodes à la seconde [2] et une tension de 200 000 V !
Cependant ces flammes électriques ne brûlent pas ! La centième partie de cette énergie, à une fréquence de 50 ou 100 à la seconde, serait foudroyante !
Ce n’est pas seulement à l’éclairage [3] que les courants de haute fréquence ont trouvé d’intéressantes applications, c’est aussi en médecine : la thérapeutique utilise sous les noms de « diathermie », de « d’arrsonvalisation », celle nouvelle forme d’électrisation.
Dès 1882, Tesla lui-même la préconisa pour le massage.
Il comprit également, le premier, clairement, tout ce qu’on pouvait tirer de l’oscillateur de Hertz, des ondes électriques dites ondes hertziennes. Il apporta, ainsi, des contributions « capitales » aux progrès de la radiotechnique, — cela de 1891 à 1900 — utilisant, des premiers, la « résonance électrique » et le « système antenne-terre », tant à l’émission qu’à la réception.
Parmi les précurseurs et les pionniers de la T. S. F., Tesla est certainement l’un des plus marquants, ayant d’ailleurs, dès 1896, à New-York, télégraphié par ondes et sans fil, à 35 km ; en 1898, il fait évoluer un petit navire, sans équipage, au moyen des ondes électriques. En 1899, ses transmissions par T. S. F. (émetteur au Colorado) couvrirent 1.000 km.
Est-ce la prescience qu’il montra, qu’il a exprimée, dès 1892, en ses remarquables conférences à Paris et à Londres, — en termes que certains jugèrent trop audacieux, trop imprégnées de rêverie — qui firent qu’en Europe, en France en particulier, le nom et l’œuvre de Tesla soient si peu connus ? L’avenir devait cependant lui donner raison.
En sa conférence faite à Paris en 1892, relatant les propriétés des tubes à vide qu’il a construits et soumis aux courants de haute fréquence, il dit : « On pourrait lui trouver — à la lampe à incandescence — en télégraphie, des applications pratiques : elle permettrait de télégraphier à une vitesse quelconque, à travers l’Atlantique, car sa sensibilité est telle que le plus léger changement l’affecte ».
Ces remarques de Tesla, ce qu’il pressent de l’extrême « sensibilité » de la lampe à incandescence, ne peuvent-elles être rapprochées de ce qu’est devenu le même dispositif, avec Fleming « la lampe valve » ? Puis, avec Lee de Forest : « la triode » ? laquelle réalise et le plus pratique des dispositifs producteurs d’ondes électriques de très grande fréquence, et le plus sensible des dispositifs récepteurs de ces mêmes ondes et, de plus, leur amplificateur le plus puissant ?
Cela, au point que ces ondes courtes qui furent, à grand tort, méprisées, dont, vers la même époque, en 1898, je préconisais l’emploi en télégraphie « avec fll » [4], les amateurs devaient — avec MM. Deloy et Schnell — démontrer, plus tard, leur propagation aisée, très peu coûteuse, n’exigeant qu’une puissance de quelques watts, d’un bord à l’autre des océans et, peu après, tout autour du globe [5].
Quelle prescience de la part de Tesla, de ce qu’on allait pouvoir tirer, et des oscillations de haute fréquence qu’il vient de découvrir , et des propriétés du tube à vide, il travers son atmosphère raréfiée !
En terminant , nous allons voir Tesla, précurseur et divinateur, peut-on dire, pressentir les idées nouvelle, qu’on allait bientôt grâce à ses expériences, pouvoir préciser.
Il signale qu’une des propriétés très remarquable de ces nouveaux courants est de ne nécessiter qu’un seul fil. « Il n’est même pas nécessaire » , ajoute-t-il , « d’avoir une seule connexion, sauf peut-être à travers le sol. 0n peut donc attacher à une plaque libre dans l’espace, l’une des bornes d’un moteur et mettre l’autre à la terre ».
« Ces moteurs, sans fils transmetteurs » poursuit Tesla , « pourraient être actionnés à de très grandes distances à travers l’air raréfié, lequel offre un passage extraordinairement facile à la haute fréquence. Par les régions supérieures de l’atmosphère, on pourrait actionner, à distance, ces moteurs »
« Mais ce n’est qu’une possibilité que Je mentionne » , continue-t-il , « ne croyant pas qu’il soit nécessaire de transmettre l’énergie par ce moyen ».
« Il ne doit pas être nécessaire de la transmettre d’aucune manière. Dans quelques générations, nos machines seront conduites par une puissance disponible en tous les points de l’univers, L’énergie est dans tout l’espace. Est-elle statique ou dynamique : Si elle est statique, tout espoir est vain ; mais si elle est cinétique, et nous savons qu’elle l’est certainement, alors ce n’est qu’une question de temps pour que les hommes apprennent à attacher leur machinerie après la roue de la nature ».
Ne peut-on rapprocher ces anticipations de Tesla de la découverte, assez récente, des rayons cosmiques et de leurs propriétés ?
Si l’œuvre de Tesla fut si féconde, c’est qu’elle fut surtout et constamment « expérimentale ».
C’est parce que Tesla a accru, dans une très large mesure, nos connaissances sur la nature par l’acquisition de faits précis, lesquels demeureront , quelles que soient les orientations théoriques futures, que son nom restera associé, — et au premier rang, — à nos connaissances en électricité.
Par là se légitime l’hommage du concours de savants de tous pays qui ont tenu à lui apporter, en 1936, en son pays, l’hommage de leur admiration.
Albert Turpain
Professeur à l’université de Poitiers