L’ivoire est une des plus belles matières mises par la nature à la disposition des artisans et des artistes. C’est sur l’ivoire que les graveurs de l’époque quaternaire firent leurs premières reproductions des animaux qui les entouraient. Depuis ces temps reculés, il n’a jamais cessé d’être employé chez tous les peuples, dans les arts et dans l’industrie. Nous examinerons prochainement ses usages dans une suite d’articles ; nous nous proposons seulement aujourd’hui d’indiquer ses provenances et les variations de sa qualité.
C’est une substance presque exclusivement minérale, riche en phosphate et en carbonate de calcium, qui forme la plus grands partie de la dent chez tous les vertébrés, mais, seules, les dents des mammifères de grande taille sont utilisées. L’ivoire employé pour les arts provient uniquement des défenses de l’éléphant ; l’ivoire industriel a plusieurs autres provenances dont nous parlerons tout à l’heure.
L’ivoire n’est jamais semblable à lui-même ; autant d’éléphants, autant de qualités différentes dans leurs défenses. Les changements dans la nourriture et dans les habitudes, amènent des variations dans la couleur, le grain, la dureté et le plus ou moins de facilité à polir ou à travailler.
L’ivoire d’Afrique est le plus estimé ; au lieu de jaunir, il blanchit avec le temps ; ceux de Guinée et du Cap sont aussi de belle qualité, mais le plus fin et le plus tendre provient de Panguani, sur la côte orientale. L’ivoire vert, d’une belle transparence, est originaire du Gabon ; on le rencontre dans la défense des animaux abattus depuis peu de temps, mais il blanchit, lui aussi, en vieillissant.
Trouvera-t-on encore pendant longtemps, dans le commerce, ces belles défenses de l’éléphant africain qui pèsent parfois près de 100 kilogrammes ? Il est permis d’en douter, à voir l’ardeur avec laquelle sont massacrés ces grands et paisibles animaux. Près de 50 000 d’entre eux sont abattus chaque année pour satisfaire nos goûts luxueux et il n’est pas difficile de prévoir l’extinction prochaine de l’espèce.
On trouvera peut-être un remède efficace dans sa domestication.
Pour l’instant, les seules mesures prises en sa faveur consistent en l’établissement de territoires de réserve sur lesquels sa chasse est interdite.
Parmi les ivoires des Indes, celui de Ceylan est le plus estimé ; il est d’un blanc rosé et plus tendre que l’ivoire africain.
L’exportation de l’ivoire en Europe atteint chaque année, depuis 1895, près de 2500 tonnes, vendues sur les marchés de Londres, Liverpool et Anvers. Une belle défense de 50 kilogrammes vaut de 1500 à 1800 francs. La consommation de l’Asie est presque aussi considérables, les objets en ivoire y étant très recherchés.
En dehors de l’ivoire fourni par les animaux actuels, on rencontre souvent de l’ivoire fossile, non seulement en Asie, mais encore en Allemagne et en Russie. Ce sont de gigantesques défenses de mammouth dont il existe sur certains points des amas considérables.
En dehors des défenses d’éléphant, l’industrie tire partie des molaires du même animal et des dents de l’hippopotame. Elle utilise aussi l’ivoire végétal, qui n’est autre chose que l’albumen corné de la graine du Phytelephas macrocarpa. Cette matière, connue dans le commerce sous le nom de corozo, se travaille aisément au tour et reçoit les colorations les plus variées. On en fabrique une foule d’objets élégants que l’on vend souvent comme ivoire animal. Pasquier a indiqué un moyen simple de distinguer les deux produits : l’ivoire animal ne change pas dans l’acide sulfurique concentré ; l’ivoire végétal prend au bout de quelques minutes, une teinte rose qu’un simple lavage à l’eau fait disparaître.
Le celluloïd, et surtout la viscoïde, nouveau produit obtenu en traitant les fibres de bois ou de coton blanchi par une lessive de soude caustique, puis par le sulfure de carbone remplacent l’ivoire pour les usages communs. La viscoïde, en particulier, lorsqu’elle est changée en baryte de façon à acquérir la densité de l’ivoire, imite ce produit parfaitement. Comme lui, elle se laisse travailler à l’outil, est susceptible de recevoir un beau poli et possède, de plus, une grande élasticité, qui la rend précieuse pour la fabrication des billes de billard.
Un inventeur américain prétend avoir trouvé le moyen de fabriquer l’ivoire avec… les pommes de terre. Voilà un procédé qui va donner un peu de tranquillité au malheureux éléphant d’Afrique. Il consiste à tremper des pommes de terre, pelées au préalable et parfaitement saines, dans de l’eau, puis dans de l’acide sulfurique étendu. On les fait bouillir ensuite pendant longtemps dans de l’acide sulfurique étendu ; on lave ensuite à l’eau chaude, puis à l’eau froide, enfin on procède par un Séchage lent et graduel. Il y a, de plus, un tour de main spécial dont l’auteur garde le secret. Transformer des pommes de terre en ivoire, voilà une opération des plus avantageuses ; nous ne pouvons que la recommander à nos lecteurs.