L’ivoire en tabletterie

La Science Illustrée N° 579, 31 Décembre 1899
Vendredi 27 février 2009 — Dernier ajout vendredi 9 octobre 2009

L’ivoire est une des matières les plus universellement employées. Sa dureté, sa blancheur, son beau poli l’on fait apprécier, de tout temps, pour la fabrication des objets les plus différents.

Les premiers hommes qui purent se procurer des dents d’éléphant cherchèrent aussitôt à tirer parti de cette précieuse matière, mais, dépourvus d’outils convenables pour la travailler, ils n’utilisèrent sans doute d’abord que les parties naturellement forées ; ils en firent ces grossiers anneaux que l’on rencontre en fouillant le sol des cavernes. De semblables ornements sont portés encore aujourd’hui, enfilés aux bras et aux jambes, par les nègres de la côte orientale d’Afrique.

L’ivoire sert à confectionner maints autres objets de toilette. A Rome, on en faisait des aiguilles longues de 10 à 15 centimètres, véritables bijoux qui servaient à maintenir intact, l’édifice compliqué de la chevelure des femmes. Au XIIIe siècle, le manche des éventails en plume de paon était d’ordinaire en ivoire. Les éventaillistes l’utilisent encore aujourd’hui pour la confection des lames formant la charpente de leurs gracieux chefs-d’œuvre.

Dans l’antiquité, au moyen âge et jusqu’à la Renaissance, les peignes avaient pour matière ordinaire l’ivoire fréquemment orné et sculpté. Notre gravure reproduit un peigne de la fin du XVe siècle, qui figure au musée du Louvre dans la célèbre collection Sauvageot.

Notons encore, parmi les applications les plus fréquentes de l’ivoire à la tabletterie, son emploi pour la confection des manches de couteaux, des pommes de canne, des drageoirs, des écrins, des cadres de miroir.

Au moyen âge c’est la matière ordinaire des crosses d’évêque et des mains de justice ; on en fait des hanaps, des vidercomes, des vases divers finement sculptés, des olifants, sorte de cors employés par les chevaliers et qui étaient courbés en forme de corne d’animal. Leur taille était souvent considérable ; le musée de Cluny possède un olifant d’ivoire du XVIe siècle qui mesure 95 centimètres de longueur.

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, l’ivoire a joué, sous le nom de corne de licorne un rôle assez curieux comme « matière d’essai » ; c’est-à-dire comme substance destinée à s’assurer que les mets servis n’étaient pas empoisonnés. La prétendue corne de licorne n’était sans doute, qu’une portion de la longue dent du narval. Elle était toujours suspendue par une petite chaîne à la nef, pièce d’orfèvrerie dans la­ quelle les seigneurs - toujours par crainte du poison - renfermaient tous les ustensiles de table, Ambroise Paré, à la fin du XVIe siècle constate l’exis­tence de cette superstition « Parlez aujourd’hui, dit­ il, à tous les apothicaires de France ; il n’y a celui qui ne vous dise et assure avoir de la licorne et de la vraie et quelquefois en assez bonne quantité. Il y a une honnête dame, marchande de cornes de licornes en cette ville, demeurant sur le pont au Change, qui en a bonne quantité de grosses ou de menues, de jeunes ou de vieilles. Elle en tient toujours un assez grand morceau, attaché à une chaîne d’argent, qui trempe ordinairement à une aiguière pleine d’eau de laquelle elle donne assez volontiers à tous ceux qui lui en demandent. Je puis assurer, après l’avoir éprouvé plusieurs fois, n’avoir jamais connu aucun effet en la corne prétendue de licorne. »

Parmi les usages actuels, les plus importants de l’ivoire, nous citerons la fabrication des dents artificielles et celle des billes de billard.

Pour les dentiers, on emploie l’ivoire d’hippopotame, qui a la précieuse propriété de ne pas jaunir en vieillissant. Heureux hippopotame dont les dents, après un long usage, servent à faire les gracieuses quenottes qui ornent plus d’une jolie bouche.

L’industrie des billes de billard exige des ouvriers habiles, encore ces accessoires indispensables du jeu favori de Vignaux, sont-ils toujours d’une exécution critiquable. D’abord, ils ne forment. jamais une sphère absolument géométrique, ni homogène, à cause de l’irrégularité des couches d’ivoire. D’un autre côté, les trois billes d’un même jeu ne sont taillés dans la même défense que lorsque celle-ci a des dimensions extraordinaires ; il en résulte qu’elles n’ont pas la même densité. Cette petite digression a pour but de montrer que la perfection des billes de billard - comme de toute autre chose, hélas ! - n’est pas de ce monde.

En France, le travail de l’ivoire est presque entièrement le monopole de Paris et de Dieppe.

On obtient aujourd’hui, à l’aide de la machine Alessandri à dérouler les dents, des feuilles d’ivoire légères, d’une grande dimension, susceptibles d’une foule d’applications. En le faisant séjourner dans une solution concentrée d’acide phosphorique pur, on le rend translucide et aussi flexible que du cuir fort. On le teint de différentes couleurs en le plongeant dans des bains de nature appropriée ; enfin la chimie a fourni une foule de procédés permettant de le blanchir quand il a été jauni par un long séjour à l’air. Dans de prochains articles nous parlerons du rôle de l’ivoire dans l’ameublement et dans la sculpture.

Vos témoignages

  • L’ivoire en tabletterie 7 décembre 2012 13:47, par Alain B

    Bonjour, après avoir cintré un filet d’ivoire à l’acide nitrique, il est devenu translucide et jaunâtre en séchant. Comment lui rendre son aspect blanc ? Ce filet de 3mm x3mm x15cm de long sert à restaurer une guitare ancienne dont le bord est en ivoire. Comment cintrait-on de l’ivoire si ce n’est avec de l’acide nitrique ? un grand merci, Alain.

    • L’ivoire en tabletterie 7 décembre 2012 16:56, par Lauryn

      Bonjour,

      Voici les informations que j’ai trouvé dans les recettes utiles de La Nature.

      Pour blanchir les objets en ivoire, les décrasser s’il y a lieu par lavages à la benzine ou à l’essence de térébenthine. Ensuite, trois options :

      A) L’eau oxygénée donne de bons résultats. On doit l’employer concentrée, à 50 volumes par exemple, et y ajouter 10 % d’éther. L’action sera prolongée.

      B) Faire tremper les pièces à blanchir d’abord pendant une heure dans un bain de permanganate à 1 % puis dans un bain d’acide oxalique à la même concentration jusqu’à parfaite décoloration.

      C) Faire chauffer un lait de chaux, plonger les pièces d’ivoire et les y laisser toute une journée en agitant de temps à autre.

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