L’ivoirerie dans les temps modernes

La Science Illustrée N° 586, 18 Février 1899
Samedi 28 février 2009

L’art de l’ivoirier qui, au moyen âge, était presque entièrement consacré à l’interprétation des scènes religieuses, s’attaque dès le début de la Renaissance, à des sujets plus variés. Des motifs gracieux, des épisodes guerriers sont fréquemment reproduits par les artistes du XVIe siècle.

Les ivoiriers flamands, Copé Fiammingo, François Duquesnoy, Van Bossiut, sculptent des personnages bien en chair, au visage calme, différant profondément des œuvres italiennes et françaises de la même époque aux draperies raides, aux muscles saillants sur des membres maigres.

Copé, qui vivait au XVIe siècle, a laissé surtout des aiguières et des bassins avec des bas-reliefs et des figurines en ronde-bosse. On conserve dans un musée d’Allemagne, la Grüne-Gewolbe, une aiguière de Copé, de forme très gracieuse, prise dans une énorme corne de cerf. Duquesnoy (1594-1646) excellait dans les figures d’enfant, sculptées en figurines ou en bas relief.

En Allemagne, les ivoiriers de talent abondent : Beham (1500 - 1550), élève d’Albert Dürer, a sculpté de petites pièces fort recherchées aujourd’hui. Le bas relief que nous reproduisons et qui représente un combat est conservé au musée de Cluny ; il a 8 centimètres de long.

Daebler, qui vivait à la fin du XVIIe siècle, est célèbre surtout par ses pommes de cannes formées presque toujours de groupes d’enfants et d’animaux. La Kunst-kammer de Berlin possède de lui une pomme de canne exécutée en 1690, pour l’électeur Frédéric III.

Strauss a sculpté des crucifix remarquables par leurs dimensions. Troger, qui vivait aussi au XVIIIe siècle, fit des groupes de personnages de grandes proportions. Il employait pour la même figure plusieurs morceaux d’ivoire qu’il réunissait à raide de draperies et d’accessoires de bois brun.

Parmi les ivoiriers français du XVIIe siècle, il faut citer Cavalier, célèbre par ses portraits-médaillons, Guillermin, qui a sculpté des crucifix gigantesques. L’un d’eux, qui existait à l’abbaye royale du Val-de-Grâce, représentait le Christ en grandeur naturelle. La chapelle de la Miséricorde à Avignon conserve un christ de Guillermin de 70 centimètres de hauteur. Sauf les bras, il est d’une seule pièce.

L’art de l’ivoirier s’est exercé sur les objets les plus divers, pommes de canne, drageoirs, poignées d’épée, écrins, cadres de miroir, instruments de musique, plats de reliure, cachets, dés, échecs, panses de vases ajustées sur les pièces céramiques dans une monture d’orfèvrerie.

De nos jours, les centres du travail de l’ivoire en France sont Paris et Dieppe. A Paris, 50 ouvriers fabriquent la bille de billard par des procédés mécaniques ; 70 font les touches de pianos et produisent 30000 jeux par an ; 100 font des peignes et autant le manche de couteau. La brosserie occupe 150 ouvriers et 60 le manche de parapluie.

L’ivoirerie dans les temps modernes La tabletterie, autrefois industrie essentiellement parisienne, est localisée à Méru-sur-Oise. Elle occupe environ 200 ouvriers.

Dieppe, où la sculpture sur ivoire est en honneur depuis plusieurs siècles, compte encore 55 ouvriers en cette spécialité, dont 12 font des christs. Ils gagnent à ce métier environ 10 francs par jour. La sculpture sur ivoire possède aussi à Paris un petit nombre de praticiens ; quelques-uns habitent Saumur. Les christs de dimensions un peu considérables ne peuvent se sculpter d’une seule pièce ; les bras sont pris à part. L’ouvrier doit employer différents artifices pour dissimuler le cœur de la défense qui n’est pas blanc. L’art de l’ivoirerie, longtemps délaissé comme tous les arts décoratifs, semble redevenir à la mode aujourd’hui.

Certaines statuettes chryséléphantines, aux chairs d’ivoire et aux vêtements d’or, récemment exposées, sont de véritables petites merveilles. Les Chinois et les Japonais produisent des ivoires extrêmement remarquables par la patience, l’habileté de la main d’œuvre, l’amour du tour de force.

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