L’ivoirerie au moyen-âge

La Science Illustrée N° 584, 4 Février 1899
Samedi 28 février 2009

L’art de la sculpture sur ivoire remonte aux premiers âges de l’humanité ; il se révèle à nous avec une perfection remarquable dès la fin de l’ère paléolithique ; l’homme des cavernes à sculpté dans l’ivoire du mammouth de petites statuettes, des animaux qui nous surprennent par la vérité du mouvement et des attitudes.

L’ivoirerie était pratiquée chez les peuples de l’antiquité. Le British Museum possède deux tablettes d’ivoire provenant de fouilles pratiquées en Assyrie ; elles représentent deux personnages assis, tenant le sceptre ; on y distingue des traces de vernis bleu et de dorure. En Égypte, chez les Hébreux, en Étrurie, en Grèce, à Rome, on a trouvé également de fort beaux ivoires. L’art byzantin a fourni de superbes pièces dont quelques-unes sont parvenues jusqu’à nous. Le cabinet des antiques de la Bibliothèque nationale possède une plaque d’ivoire datant du XIe siècle et qui est un véritable chef-d’œuvre. Longue de 24 centimètres, large de 15, elle servait de couverture à un évangéliaire. Elle représente un épisode de la vie du Christ ; les mouvements des personnages sont un peu raides, mais leurs visages ont une expression admirable et les draperies sont fort bien traitées.

Les Arabes des VIIe et VIIIe siècles ont sculpté de beaux coffrets d’ivoire. Les artistes de l’Occident ne leur étaient guère inférieurs, si l’on en juge par le coffret du musée de Cluny que nous reproduisons. Il date de l’époque carlovingienne ; il est en marquèterie de bois colorés et d’ivoire, avec des entrelacs et des cadres entourant des animaux fantastiques.

Mais l’ivoirerie du moyen âge a surtout consisté en diptyques et en triptyques.

Un diptyque est une sorte de tablette double dont les composantes sont réunies à charnière. Ce fut, à l’origine, une sorte de carnet dont les feuilles de bois, d’ivoire ou de métal, enduites de cire, servaient à prendre des notes. Puis apparurent les diptyques consulaires, sur lesquels les nouveaux fonctionnaires faisaient part de leur nomination à leurs parents et à leurs amis. Plus tard enfin, l’Église les adopta pour orner ses autels. Consacrés aux saints et aux martyrs, des épisodes religieux étaient sculptés sur les lames d’ivoire qui les formaient.

Les triptyques, avec une forme un peu différente, avaient des usages identiques. Ils se composaient de trois panneaux sculptés ou peints et réunis à charnière. Le panneau central, deux fois plus large que les deux autres formant volets, pouvait être recouvert exactement par eux. Très estimés à Byzance, ils ne pénétrèrent dans l’Europe occidentale qu’après les croisades. L’ivoire a servi à faire des retables de grandes dimensions, c’est-à-dire des sortes de triptyques posés à demeure sur l’autel et ouverts pendant les cérémonies du culte. La collection Sauvageot, au Louvre, en possède un, de deux mètres de côté, qui contient tout un monde de petits personnages sculptés d’un travail achevé.

Au musée de Cluny existent aussi de belles pièces du moyen âge, notamment un diptyque de 3,5 cm sur 4,5cm, sur lequel vingt-quatre sujets ont été travaillés à la loupe avec une minutie extraordinaire ; une châsse gothique a cinquante et un bas reliefs, la châsse de Saint-Yved, datant du XIIe siècle, et des crosses épiscopales en ivoire, dont une se termine en forme de T, en souvenir de la croix, ressemblance d’ailleurs indiquée par l’étymologie du mot (de l’italien croce, croix).

L’art de l’ivoirier s’applique alors aux objets les plus divers ; les hanaps, les vidercornes sont sculptés, fouillés avec une patience admirable. Les mains de justice, sceptres terminés par une main dont les trois premiers doigts sont ouverts, ont l’ivoire pour matière habituelle. Le Louvre en possède une montée en or, et datant du XIIe siècle, qui a figuré au sacre de Napoléon. Les échiquiers et leurs pièces sont à cette époque des œuvres d’art. En 1893, le Louvre a reçu un pion en ivoire provenant d’un jeu du moyen âge. Cette pièce n’a pas moins de 10 centimètres de haut sur 6 de large, et sur ses quatre faces sont sculptés des personnages allégoriques. On se demande quelle taille pouvait avoir le roi dans un pareil jeu.

Le moyen âge est aussi l’époque des olifants, cors employés par les chevaliers. Ils avaient la forme d’une corne d’animal et étaient presque toujours en ivoire avec des scènes de chasse sculptées. Les dimensions de ces instruments sont parfois si considérables - à Cluny il en est un de 95 centimètres de longueur - qu’on est autorisé à croire qu’ils ont été souvent un objet de parade et non d’usage.

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