L’huilier

La Science Illustrée N° 608, 22 Juillet 1899
Vendredi 27 février 2009

En art culinaire l’assaisonnement est tout. Un légume fade, une viande un peu dure, peuvent être trouvés agréables quand un cordon bleu de mérite en a masqué les défauts par de savantes préparations. Là, comme en bien d’autres cas, la sauce fait passer le poisson.

Les sauces en général, la moutarde, le sel et les vases qui leur sont consacrés méritaient chacun une notice spéciale et l’ont eue. Le présent article se rapporte aux autres assaisonnements de moindre importance et aux pièces du service de table qui ont été créées pour eux.

Le goût des épices se répandit en Europe à l’époque des croisades et il était, dès la fin du XIIIe siècle, fort généralisé en France. Le poivre, exclusivement fourni aujourd’hui par l’Amérique, venait alors d’Orient. On le trouve déjà mentionné dans un écrit du temps de Clotaire III (660). Il entre dans toutes les sauces depuis le moyen âge mais, comme un cuisinier, quels que soient ses talents, ne peut satisfaire au goût de tous, on sentit bientôt la nécessité d’en faire paraître sur la table. Un deuxième saleron fut ajouté à la salière ; poivre et sel devinrent désormais inséparables.

Le poivre présente l’inconvénient de perdre à l’air une grande partie de son arome ; aussi l’habitude de le moudre immédiatement avant de l’employer se répand de plus en plus et l’industrie moderne fournit d’élégants petits moulins à poivre.

Dans l’histoire de la table, l’huile constitue un chapitre d’importance. On la retira pendant fort longtemps uniquement de l’olivier.

La culture de l’olivier était connue chez les Hébreux dès le temps de Job et très pratiquée du temps de Moïse. Homère parle fréquemment de cet arbre et distingue nettement l’olivier cultivé de l’olivier sauvage. Suivant la légende ce fut Hercule qui, au retour de ses expéditions, apporta l’olivier en Grèce et le planta sur le mont Olympe. Une tradition plus croyable indique que l’arbre précieux fut transporté d’Égypte à Athènes par Cécrops en 1580 avant l’ère chrétienne.

Les Grecs avaient cet arbre en si grande vénération qu’ils en firent le symbole de la sagesse, de l’abondance et de la paix et l’avaient spécialement consacré à Minerve. Le peuple allait autrefois demander la paix en portant à la main des branches d’olivier. Une couronne du même arbre était le prix de la victoire aux jeux Olympiques.

Les Phocéens, qui fondèrent Marseille environ 600 avant J.-C, passent pour avoir introduit l’olivier en Italie et dans les Gaules.

D’après une tradition rapportée par Pline, il n’y avait pas encore, sous le règne de Tarquin l’ancien, d’olivier en Italie.

A Rome, les nouveaux époux portaient des guirlandes d’olivier et l’on en couronnait aussi les morts que l’on portait au bûcher. Un olivier frappé de la foudre annonçait, suivant les augures, la rupture de la paix. Une branche d’olivier à la main d’un souverain, gravé sur une médaille ou sur une monnaie, désigne la paix donnée ou conservée à l’Etat.

En France, pendant le moyen âge, c’était à la Provence, comme de nos jours, que le reste du royaume demandait les huiles d’olive qui ont toujours eu la même renommée.

La plus estimée était l’huile d’Aix dont Monteil raconte ainsi la préparation au XVIIe siècle : « Quand, aux mois de décembre et de janvier, nous sommes auprès d’un bon feu, enfermés entre nos doubles portes et nos doubles fenêtres, les Provençaux sortent pour aller faire leur principale récolte. Alors les olives sont rouges, elles sont mûres, On les gaule ; on les recueille sur de grands draps ; on les porte au moulin ; on les écrase avec une meule ; on les jette dans de grandes cuves d’eau ; bientôt l’huile se détache, surnage ; elle est versée dans des barils, et envoyée dans toutes les parties du monde. »

Cependant dès le XIIIe siècle, le Poitou, le Limousin et d’autres provinces du centre envoyaient à Paris beaucoup d’huile de noix, d’un goût très agréable, mais présentant l’inconvénient de rancir vite. Son emploi fut abandonné quand on s’avisa d’extraire l’huile du pavot œillette, il la fin du XVIe siècle. Pendant très longtemps, elle fut regardée comme nuisible à la santé et la vente en fut interdite ; cette prohibition ne fut levée qu’en 1774. Les progrès de sa culture furent alors rapides, favorisés d’ailleurs par la rigueur de plusieurs hivers qui, en décimant les oliviers, obligèrent à propager le végétal qui, seul, fournit une huile propre à remplacer celle de ces derniers.

Le vinaigre a été employé comme assaisonnement par les Hébreux et les Egyptiens, mais son goût n’est pas toujours très franc ; aussi on ne tarda guère à le préparer par des moyens artificiels.

Au moyen age, en France, on aromatisait le vinaigre en y faisant infuser des herbes ou des fleurs, roses, sureau, giroflée, etc.

Au XVIe siècle seulement on commença à l’employer pour confire des légumes, des herbes ou des fruits, comme les cornichons, les oignons, les concombres, le pourpier, etc.

Chez les Grecs et chez les Romains de l’antiquité le vinaigre et l’huile étaient déjà contenus dans deux burettes accouplées, placées dans un support. On a trouvé à Pompéi un huilier différant peu des nôtres ; il comprend deux petites cuves latérales réunies par une anse et dans chaque cuve, une petite fiole mobile.

Au moyen âge l’huilier était parfois entièrement formé de métal précieux, avec des burettes en cristal de roche gravé et taillé.

La forme de cet ustensile a, en somme, très peu varié depuis les temps les plus reculés.

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