Comme nous l’avons vu précédemment (Voir les n°540 et 541.) les parfums, d’abord réservés aux cultes des dieux, servirent bientôt à honorer les morts et surtout à conserver leurs cadavres. Mais ils ne tardèrent pas à recevoir des usages profanes : ce qui était excellent pour les dieux et pour les morts, ne pouvant déplaire, aux vivants.
Le titre de cet article ne doit pas cependant faire croire au lecteur que les parfums ont joué, à une époque quelconque, un rôle important dans la nourriture, malgré les observations très discutables de certains auteurs anciens et modernes qui leur attribuent des qualités nutritives.
Pline (liv. VII, chap. II) donne l’histoire d’un peuple des Indes qui se nourrissait que par l’odorat ; nous souhaitons à nos lecteurs, une alimentation plus intensive.
Pierre d’Apono affirme que les vieillards peuvent prolonger leur existence en respirant un mélange de safran et de castoréum dans du vin, mais il ne dit pas si de semblables inhalations permettent aux jeunes hommes de devenir vieillards.
Bacon, dans son livre De vita et morte, parle d’un homme qui pouvait jeûner pendant plusieurs jours en s’entourant d’herbes aromatiques - Peut-être les mangeait-il ?
Enfin, pour nous borner, rappelons que Diogène Laërce (liv. VI) assure que Démocrite vécut pendant quelque temps de la vapeur d’un pain chaud.
Le pauvre diable dont parle Rabelais était plus gourmand ; il aimait à manger son pain à l’odeur de cuisine, qui s’échappait de la fenêtre des rôtisseries. C’était un raffiné, aussi on se rappelle ce qui lui advint. Un rôtisseur, simplement facétieux ou plus avare qu’Harpagon, voulut un jour lui faire payer l’odeur qu’il « consommait », prétention qu’un passant, choisi comme arbitre, trouva tout à fait juste. Le pauvre diable tira donc de sa poche un petit écu ; l’arbitre le laissa tomber à terre, le rôtisseur entendit le bruit de la chute : ce fut toute sa recette. Le son payait l’odeur.
Il n’en est pas toujours ainsi et, dans l’antiquité et pendant le moyen âge, les gens de la classe aisée dépensaient en parfums, pour le service de leur table, des sommes considérables.
Dans l’ancienne Égypte, la salle dans laquelle un banquet devait avoir lieu, était jonchée de fleurs. Sur la table même des résines odorantes brûlaient dans des cassolettes ; des tresses de fleurs parfumées serpentaient autour des coupes. Les esclaves arrosaient les convives, à leur entrée, de flots d’essence, et leur passaient au cou une guirlande de lotus, mélangés de crocus et de safrans.
Les Égyptiens modernes ont aussi l’amour des parfums très développé. D’après Lane (Modern Egyptians), beaucoup prennent de l’ambre gris dans leur café ; d’autres font vernir l’intérieur de leur vase à eau avec une résine odorante afin d’aromatiser l’eau qu’ils boivent. Chez les Hébreux on parfumait aussi la salle du festin. On mélangeait des aromates au vin pour le rendre plus agréable. L’encens était très employé pour cet usage. Les parfums à table
La myrrhe, infusée dans le vin, lui communiquait des propriétés stupéfiantes ; aussi faisait-on boire aux criminels sur le point de marcher au supplice, quelques verres de ce vin, afin de diminuer leurs souffrances. Chez les Grecs, comme chez les Égyptiens, les parfums étaient le complément obligé des banquets. Les convives recevaient à leur entrée des onctions odoriférantes ; on servait à table des essences dans des vases précieux, on en arrosait les invités, on les couronnait de fleurs, on mettait des aromates dans leur vin.
Les anciens croyaient, en effet, que, par leur présence seule, ils retardaient l’ivresse.
La myrrhina était du vin mélangé de myrrhe et d’encens ; la sapria s’obtenait en y faisant macérer des violettes et des jacinthes. Voilà qui ne nous plairait guère aujourd’hui, semble-t-il. Cependant il existe encore une pratique analogue. Beaucoup de personnes mettent dans les barriques qui contiennent leur vin rouge, une petite quantité de poudre d’iris qui lui communique un léger parfum de framboise fort agréable.
A Rome, même affection pour le vin myrrhiné, malgré la saveur amère que possède cette préparation. On raconte aussi qu’un des plus grands plaisirs d’Héliogabale était d’inviter les gens du bas peuple à boire avec lui du vin mêlé de roses et d’absinthe.
En Extrême-Orient, l’usage de brûler des aromates dans les salles de festin est très répandu. Nous reproduisons un brûle-parfums japonais en faïence de Satsuma. C’est une très belle pièce, de laquelle la fumée odorante sort par la gueule et par les narines du monstre.
Un autre usage très répandu, et qu’on jugera nécessaire si l’on veut bien se rappeler que la fourchette ne fut inventée qu’au XVe siècle, était celui des ablutions avant et après le repas.
Des eaux odorantes étaient versées sur les mains des convives, à Rome et en Grèce, à l’aide d’aiguières, souvent d’un beau travail. A Rome, il en existait deux sortes principales : le gutturnium, dont nous figurons un bel exemple, et le guttus, beaucoup plus plus petit, à bec très étroit par lequel l’eau sortait goutte à goutte.
Au moyen âge et pendant la Renaissance, cet usage fut conservé, et l’eau de roses coulait à flots sur les mains des invités. Elle était contenue dans des aiguières ou sortait de fontaines de table, belles pièces de céramique ou d’orfèvrerie, qui remplaçaient nos surtouts actuels.
A notre époque, les produits du parfumeur tiennent peu de place à table. Ils sont remplacés par la fleur naturelle, qui devient même parfois trop envahissante. C’est d’abord la corbeille, composée d’une seule sorte de fleurs ou de plusieurs variétés d’une même espèce. On a vu récemment recouvrir la table de roses Paul Néron ou de violettes de Parme, dont la nuance se marie si bien à la teinte de l’argenterie, ne laissant que juste la place nécessaire pour les cristaux. C’est là une véritable hérésie.
Des maîtresses de maison, mieux inspirées, se bornent à tracer d’élégantes guirlandes de fleurs ou jettent négligemment sur la table des bouquets de fleurs de choix, nouées de précieux rubans. Le dîner élégant comporte, de plus, le bouquet de dames sur chaque serviette et la boutonnière pour le sexe fort. Nous préférons aujourd’hui le délicat parfum des fleurs aux fumées odorantes des résines et de l’encens.