Bien des gens ignorent que la manière de prendre les repas n’a pas toujours été celle du temps actuel et que les ustensiles de la table sont, pour la plupart, assez récents.
La table elle-même n’a pas une origine très ancienne, Les Romains prenaient leurs repas, étendus sur des sortes de lits très bas ; des coussins leur permettaient de changer souvent de position. Quand les Romains conquirent la Gaule, ils introduisirent avec eux leurs habitudes. La table n’apparaît qu’en plein moyen âge accompagnée de bancs sans dossier que l’on plaçait autour, comme aujourd’hui encore dans les auberges de campagne. Nappe et serviettes étaient alors inconnues. Les premières dont il est fait mention furent fabriquées à Reims et offertes à Charles VII au moment de son sacre ; l’usage ne s’en répandit guère que sous le règne de François Ier.
Les Grecs et les Romains connaissaient les assiettes ou plutôt une sorte d’écuelle ; cependant, durant la plus grande partie du moyen âge, on se servait surtout de tranches de pain coupées en rond qui en tenaient lieu. Celles qui provenaient de la table des seigneurs et des riches bourgeois étaient, à la fin du repas, données aux pauvres.
La cuiller est forcément très ancienne, car s’il est toujours possible de manger un aliment solide avec les doigts, il n’en est pas de même d’un aliment liquide ou ,semi-fluide. Les Égyptiens, les Romains ont connu la cuiller. En France, leur usage ne fut généralement adopté que vers la fin du XIVe siècle, mais il en est déjà question dans le testament de Saint-Rémi, archevêque de Reims, qui vivait, comme on sait, au Ve siècle.
L’usage du couteau, comme arme, se perd dans la nuit des temps. L’homme quaternaire a employé un couteau en silex ou tout au moins quelque chose qui s’en rapprochait fort ; mais comme ustensile de table son apparition est assez récente. La lame fut d’abord fixe et enfermée dans une gaine ; c’est seulement dans le courant du XVIIe siècle que les couteaux fermants devinrent d’un usage habituel ; les tables n’en étaient pas munies et chacun apportait le sien. Les choses ne se passent pas autrement aujourd’hui encore dans certaines campagnes arriérées ; il y a, dans la maisonnée, autant de couteaux que de têtes, et bien mal venu est celui qui vient y prendre un repas sans apporter le sien.
Des trois instruments inséparables composant notre couvert de table actuel, la fourchette est, de beaucoup, le plus récent. C’est aussi le moins indispensable. Les anciens n’employaient que la « fourchette du père Adam » comme on dit parfois plaisamment, c’est-à-dire les quatre doigts et le pouce pour saisir les aliments solides ; ils en étaient quittes pour, se passer les mains après chaque service dans des bassins à laver.
Le moyen âge, à son début, ignore aussi l’usage de la fourchette. On mangeait avec les doigts et on piquait les morceaux avec le couteau comme le font encore fréquemment les paysans.
La fourchette servit d’abord à prendre les fruits ; son emploi s’étendit peu à peu à tous les aliments solides. Jusqu’au XVIIIe siècle, elle n’eut que deux dents d’où son nom signifiant petite fourche [1]. Les musées renferment, de nombreux, spécimens des fourchettes employées jadis. Notre gravure reproduit une curieuse fourchette hollandaise du XVIIe siècle. Elle est à deux pointes, comme toutes celles datant de cette époque ; mais elle présente cette particularité que le manche, en os gravé, est creux et renferme dans ses flancs une douzaine d’autres fourchettes minuscules en tout semblables à elle. Une plaque mobile, située à l’extrémité du manche et retenue par un écrou, sert à fermer l’orifice par où s’échappent ces petits instruments. La fourchette-mère mesure 29 centimètres de longueur totale, les petites ont 105 millimètres.
Faut-il voir là une simple fantaisie d’un ouvrier habile ou, comme l’ont pensé plusieurs personnes, la fourchette, d’une corporation pour ses banquets périodiques ?
Il est bien difficile de se prononcer en l’absence de documents précis.
Mais il est temps d’abandonner la fourchette, pour nous occuper des autres ustensiles qui garnissent la table actuelle.
L’emploi des coupes est fort ancien ; elles étaient, surtout en métal plus ou moins précieux. Au moyen-âge, les verres en coupes à boire étaient très rares ; ce fut seulement au XVe siècle, quand Venise commença à répandre ses produits dans le monde entier ,que l’usage des verres se généralisa ; cependant, le gobelet d’argent ou d’étain, selon la fortune de son possesseur, continue à fournir une carrière qui s’est prolongée jusqu’à nos jours.
L’usage de placer plusieurs verres devant chaque personne pour les différents vins qu’on a à servir, appartient au XIXe siècle. Au XVIIIe siècle ; on trempait son verre, à chaque nouveau vin, dans de petits vases en faïence, remplis d’ eau, qui se trouvaient sur la table à portée des convives.
La salière remonte très haut, le sel ayant toujours été hautement apprécié chez tous les peuples. Chez les Grecs et les Romains, elle occupait la place d’honneur dans les festins ; elle était en argent ou en or chez les gens riches et se transmettaient de père en fils ; Benvenuto Cellini en cisela pour François 1er qui sont d’un travail exquis. Il y en a également au Louvre de fort belles en faïence d’Oiron.
Olivier de la Marche nous apprend que, dans les repas ordinaires, la salière était souvent un morceau de pain découpé et creusé pour recevoir le sel, et que l’on plaçait près de chaque convive.
Quant à l’huilier, il a été employé de bonne heure, la culture de l’olivier étant connue chez les Hébreux, dès le temps de Job et très pratiquée du temps de Moïse.
Telles sont les origines des ustensiles qui se voient de nos jours sur les tables les plus modestes. On peut constater par ce rapide exposé que la propreté a fait de notables progrès en ce qui concerne la manière de prendre la nourriture.
G. Angerville