La cuiller dut être employée chez tous les peuples au moment où ils adoptèrent l’usage de mets plus ou moins liquides, ou - tout au moins - à partir du moment où ils cessèrent de boire à même les vases qui les contenaient. On a trouvé des cuillers dans les habitations lacustres de l’époque néolithique. Les peuplades encore sauvages connaissent cet ustensile et le fabriquent très adroitement, en bois, en pierre ou en adaptant un manche à une coquille de mollusque.
Nos musées possèdent des cuillers égyptiennes, à manche fort joliment orné, mais elles servaient uniquement à la. toilette des femmes pour délayer le fard.
Les Grecs et les Romains ne semblent pas non plus avoir employé couramment la cuiller de table. Ils buvaient les mets liquides dans les tasses. Les quelques cuillers antiques que l’on possède servaient sans doute à la préparation des plats et ne figuraient pas dans le service. Le cochlear, ustensile de table le plus employé à Rome, n’était pas une véritable cuiller ; son extrémité pointue servait à manger les escargots, les coquillages ou même pour piquer les aliments ; l’autre extrémité terminée par un petit godet jouait le rôle de coquetier ou recueillait le jus des viandes.
Il ne faut pas s’étonner outre mesure de l’absence de la cuiller chez des peuples qui ont poussé si loin la civilisation ; cet instrument n’est pas employé aujourd’hui encore dans les régions où l’on se nourrit principalement de pâtes : les Orientaux et les Napolitains, pour manger le riz ou le macaroni, se servent uniquement de leurs doigts.
Dans l’Europe occidentale, nous trouvons la cuiller signalée dès l’origine de l’histoire. Le testament de Saint Rémi (Ve siècle) la mentionne. Dans la vie de signaler les cuillers dites des apôtres qui étaient un cadeau du parrain et de la marraine à leur filleul, le manche se terminait toujours par une figure d’apôtre.
Au début du XVIIe siècle, la cuiller est encore à manche court, arrondi et n’a pas 12 centimètres de longueur totale.
Le manche plat, spatulé, apparaît à la fin de ce même siècle et se transmet jusqu’à nous sans modifications importantes. Son ornementation suit les styles.
Les usages de la cuiller se sont multipliés et ont donné naissance à des formes variées : cuillers à café, cuillers à sucre, à glace, à sel, à fruits, etc. L’art de l’orfèvre, négligeant un peu l’ordinaire cuiller de table, s’applique à orner ces luxueux ustensiles d’une nécessité moins immédiate.
M. le Dr Félix Régnault, bien connu par ses études d’ethnographie, a comparé notre cuiller européenne à la cuiller des nègres du Congo et il a constaté que Sainte Radégonde, femme de Clotaire Ier, cette princesse, tout occupée de pratiques charitables, est représentée se servant d’une cuiller pour donner à manger aux aveugles et aux infirmes dont elle prenait soin.
L’usage de la cuiller semble avoir été introduit avec le christianisme. Elle figurait autrefois dans les cérémonies de l’église. Il y en avait de petites pour prendre dans le ciboire les hosties consacrées ; certaines servaient à puiser quelques gouttes d’eau pour les mêler au vin du calice ; d’autres enfin, qui étaient percées, avait pour objet d’empêcher les impuretés de tomber dans le calice. Aujourd’hui encore les Grecs se servent d’une grande cuiller pour la distribution de l’eucharistie.
Les cuillers du moyen âge étaient à manche quadrangulaire ou arrondi, très court, avec un cuilleron à bords circulaires. La corne, le bois, le cristal de roche, l’os, l’ivoire étaient employés à leur fabrication. Le manche et le cuilleron étaient presque toujours formés de matières différentes.
Les cuillers à manche ployant, fort communes, pouvaient se porter dans la poche. Certaines présentaient une fourchette à l’extrémité opposée au cuilleron.
Au XIIIe siècle, apparaît la louche ou grande cuiller à potage. Les cuillers de table citées d’abord isolément dans les inventaires, commencent à être mentionnées par douzaines. A la fin du XVe siècle, il faut admettre que la nôtre était moins bien adoptée au but qu’elle doit remplir. La cuiller congolaise possède un cuilleron moins allongé que le nôtre, plus large, à bords plus convexes, ce qui empêche le liquide de s’écouler sur les parties latérales et de mouiller le coin de la bouche ; il est plus creux et contient plus de liquide.
Le manche, incliné à 45° sur le bord de la coupe au lieu de l’être à 30° comme dans notre cuiller, ne glisse pas quand on l’appuie sur le bord du plat. Son inclinaison plus forte permet de mieux tenir la cuiller et de la manier plus facilement, car le manche étant plus oblique forme un bras de levier moins long.
Malgré tous ces inconvénients, il est probable que la cuiller conservera pendant longtemps encore sa forme actuelle à laquelle nous sommes habitués.