Sauces et saucières

La Science Illustrée N° 599, 20 Mai 1899
Vendredi 27 février 2009

Les sauces sont des assaisonnements liquides préparés pour accompagner les mets, pour en modifier ou en relever le goût.

Elles constituent un chapitre important de l’art culinaire ; un cuisinier se juge à la perfection de ses sauces.

L’emploi des sauces semble indiquer une civilisation déjà avancée.

L’homme des cavernes ne cherchait pas sans doute à relever le goût de la chair des animaux qu’il avait tués à la chasse ; son appétit vigoureux n’avait pas besoin de ces excitants. Cependant chez certaines peuplades cannibales de l’époque actuelle, la chair humaine est apprêtée avec le suc du fruit d’une solanée, la Morelle des anthropophages (Solanum anthropophagorum). C’est là une sauce que nos cuisiniers européens n’auront jamais - espérons-le, du moins, pour eux et pour nous - l’occasion de préparer.

Dans l’antiquité les sauces étaient fréquemment employées et déjà fort compliquées.

Au moyen-âge, les ragoûts étaient nombreux et variés. Les deux plus célèbres étaient le pot-pourri composé de veau, de bœuf, de mouton, de lard et de légumes et la galimafrée, fricassée de volaille, arrosée de verjus, relevée par des épices et liée par une sauce caméline, composée de vinaigre, de mie de pain, de cannelle, de gingembre, etc.

C’est surtout à partir des croisades que le goût des épices se répandit en Europe. De cette époque datent les nombreuses sauces, presque toutes piquantes, qui accompagnaient d’ordinaire les viandes bouillies, rôties ou grillées. Quelques-unes de ces sauces, notamment la jaune, la verte et la caméline dont nous parlions plus haut, devinrent tellement indispensables que certains cuisiniers les confectionnaient en grand et les envoyaient vendre dans les rues de Paris. Rabelais fait de fréquentes allusions aux « crieurs de saulce verte. »

Le Menagier de Paris, manuscrit des plus curieux, donne la liste fort compliquée des sauces usitées au XIVe siècle. C’étaient des préparations acides destinées à aiguiser l’appétit et la soif. Elles variaient surtout par la nature des épices qu’elles contenaient. Le poivre qui venait alors d’Orient, y figurait en première ligne, puis venaient la moutarde, le jus-vert ou vert-jus, qui n’était alors que du suc d’oseille ou de feuilles de blé vert pilées, le vinaigre, le sel et l’ail, cette « thériaque des paysans » que les citadins ne méprisaient pas non plus, puisque l’aillée ou sauce à l’ail se vendait toute préparée dans les rues de Paris.

Toutes les sauces qui n’étaient pas piquantes contenaient du sucre et de l’eau rose qu’on fabriquait en exposant au soleil des pétales de rose, dans un verre plein d’eau recouvert d’un second récipient pour empêcher l’évaporation.

De nos jours, on compte environ soixante sauces se divisant en deux groupes : les grandes sauces ou coulis et les petites sauces.

Les grandes sauces, auxquelles Carème consacre vingt-cinq pages de son traité, bréviaire des cuisiniers, sont l’espagnole, la veloutée, l’allemande et la béchamel, elles servent à préparer toutes les autres et doivent être confectionnées à l’avance.

Les quatre épices qui servent à élaborer ces chefs-d’œuvre sont au nombre de cinq, comme les trois mousquetaires de Dumas étaient quatre. Ce sont la cannelle, la muscade, le poivre noir, le piment de la Jamaïque et la girofle, le tout en poudre. On peut y joindre le gingembre, le thym et le laurier. Les fines herbes (cerfeuil, estragon, civette, cresson alénois) agrémentent les sauces froides.

Au début du moyen-âge, les mets à sauces étaient servis dans des écuelles ; il y en avait une pour deux convives. Plus tard, lorsqu’on commença à employer les assiettes, ils furent placés dans de grands plats où chacun puisait pour remplir son assiette.

Cependant, pour les sauces préparées à part et dont chaque convive arrosait les mets à son gré on éprouva le besoin d’un récipient spécial ; la saucière fut créée. On la trouve mentionnée dès le XIVe siècle dans les inventaires. Sa fabrication est du domaine de l’orfèvrerie et de la céramique.

La céramique italienne a produit au XVIe siècle, des saucières en forme de coupes, de coquilles, décorées de mascarons et de reliefs.

Les saucières sont aujourd’hui allongées en forme de barque, munies d’une ou de deux anses ; elles reposent sur un socle peu élevé. Souvent, elles contiennent une doublure mobile qui est le véritable récipient. Leur ornementation a suivi les variations des styles. La belle saucière orfévrée que nous reproduisons est un modèle de P. Germain. Elle est de style Louis XV ; on admire ses coquilles et ses anses en forme de rameaux contournés auxquels l’artiste a su donner une souplesse presque végétale. L’argenterie de table, qui comprenait alors l’ensemble du service, brille de son dernier éclat, pour livrer bientôt la place au luxe plus économique de la porcelaine fine.

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