D’après Nature du 7 mai 1903.
M. W. Lockyer vient, sous ce titre, de publier une note que nous croyons utile de reproduire dans ses traits essentiels : « Le fait, dit-il, que, pendant les dix dernières années au moins, la quantité d’eau tombée dans les diverses régions de la surface du globe a été en diminuant d’une manière régulière a conduit à émettre diverses hypothèses relatives à la périodicité possible de ce phénomène météorologique et, pendant ces derniers temps, une attention toute particulière s’est portée sur cette question intéressante. Son importance non seulement au point de vue agricole, mais également à beaucoup d’autres points de vue, rend désirable la discussion de tous les faits dont la réunion peut permettre la solution de cette question.
Le but de cet article est de réunir, sans, toutefois, entrer dans les détails, quelques résultats statistiques se rapportant à la quantité d’eau tombée dans différentes stations du globe et de voir s’il est possible d’en tirer quelque loi permettant de dire si la persistance des années sèches sera encore de longue durée ou si des années humides sont à prévoir à bref délai, principalement en ce qui concerne les Îles Britanniques.
Mais, tout d’abord, nous croyons utile de rappeler quelques faits. Édouard Brückner a déjà établi que les périodes d’années humides, d’années sèches, etc., avaient une durée d’environ trente-cinq ans et ce résultat important a été publié par lui dans un ouvrage qui a fait et fait encore loi dans la science météorologique. Pour prendre un seul exemple, la quantité d’eau tombée, Brückner a montré que, pendant le dernier siècle, les années humides avaient été celles de 1815, 1846-50, et 1876-80 et les années sèches celles de 1851-55 et de 1861-65.
Depuis la publication de cet ouvrage beaucoup d’observateurs ont étudié la quantité d’eau tombée et leurs observations se rapportent à une assez longue période de temps. On peut citer parmi ceux-ci MM. Hofrath, Julius Hann, l’ancien directeur de l’Institut météorologique de Vienne qui a fait une étude très consciencieuse de la quantité d’eau tombée à Milan, à Padoue et à Klagenfurth. Il a constaté le retour bien caractérisé des années sèches et humides tous les trente-cinq ans, les premières correspondant aux années 1823, 1859 et 1893 et les secondes aux années 1808, 1843 et 1878.
Pour déterminer les variations des quantités d’eau tombées pour une période aussi longue que trente-cinq ans, il est nécessaire, autant que possible, de combiner d’abord ensemble les courbes représentant les variations annuelles, car ces courbes, en général, subissent de grandes fluctuations pendant une courte période d’années et il est préférable de réunir les valeurs moyennes des chutes d’eau pendant un certain nombre d’années et de former ensuite avec ces données une moyenne générale plus visible à l’œil. Ainsi la moyenne pour une année, 1870, par exemple, peut être calculée en prenant la moyenne de cinq années de 1868 à 1872 ; de même pour 1871 on peut faire la moyenne des années de 1863 à 1879 ; au lieu de cinq années on peut prendre un intervalle de dix ou de quinze années.
On a adopté une moyenne de cinq années. Les stations pour lesquelles les quantités d’eau tombées sont indiquées d’observation n’ont pas été spécialement choisies ; on les a prises simplement parce qu’il était facile d’obtenir pour ces stations les renseignements nécessaires et que les observations avaient été faites pendant une période d’assez longue durée. On a également étudié la courbe à courte période (1869-1900) relative aux Îles Britanniques, de manière à permettre non seulement la comparaison entre les observations faites par le Bureau météorologique avec celles faites par. feu M. Symons, mais aussi pour que les résultats des observations faites sur l’île entière puissent être comparés avec ceux - des deux stations très éloignées l’une de l’autre, celle de Greenwich et celle de Rothesay, en Écosse.
Pour le continent européen nous avons pris la station de Bruxelles dont il est intéressant de comparer les époques de maxima et de minima de la courbe avec les résultats obtenus par Hann et dont nous avons parlé dans
un article précédent. Pour compléter les renseignements nous avons pris les courbes de deux stations aux Indes, Bombay et Madras, d’une station dans l’Afrique du Sud, l’observatoire du Cap et, enfin, de trois stations des États-Unis d’Amérique se rapportant à la quantité d’eau tombée dans la partie, supérieure de la vallée de l’Ohio.
Un examen rapide de ces courbes montre la variation périodique des quantités d’eau tombées pour chacune des stations. Il montre, de plus, que les années humides ont été le plus « généralement » les années : 1815, 1845 et 1878-1883, tandis que les années sèches ont été les années 1825-1830, 1860 et 1893-1895. En se reportant à cette périodicité bien définie, on peut en conclure que, pour les Îles Britanniques, le dernier minimum de la courbe qui représente l’année la plus sèche de la période est déjà passé depuis quelques années et qu’on se trouve actuellement dans la période croissante de la courbe. En admettant l’exactitude de la loi pour les années à venir et en poursuivant la courbe en pointillé, on peut en induire que l’accroissement de la quantité d’eau tombée ira constamment en croissant jusque vers l’année 1913 qui représentera l’année d’humidité maximum de la période.
Il faut bien remarquer, toutefois, que, par suite de la grande variation des quantités d’eau tombée, d’une année sur l’autre, cet accroissement ne représente que l’accroissement moyen d’un certain nombre d’années, et que, par suite, il peut se rencontrer une année sèche même lorsque la courbe des variations indique un maximum, quoique, cependant, il y ait plus de probabilité pour qu’elle soit humide.
On n’est pas encore exactement fixé sur les causes de ces variations périodiques des quantités d’eau tombée. Quoi qu’il en soit, il est de la plus grande importance pour la science météorologique que cette question soit élucidée le plus rapidement possible, non seulement relativement à la quantité" d’eau tom bée, mais aussi en ce qui concerne les autres phénomènes météorologiques qui paraissent soumis à des périodicités analogues.
Brückner a essayé d’expliquer ces cycles à longue période en .attribuant leur origine aux variations d’activité du soleil. Il a, pour cela, réuni les divers renseignements relatifs aux taches du soleil, recueillis à l’époque, et recherché s’il était possible de trouver dans leur apparition une périodicité de trente-cinq années. Ses recherches ne furent pas couronnées de succès ; toutefois, il concluait en disant que, quoique ces périodicités aient pour cause réelle l’action du soleil, elles ne paraissaient pas, cependant, résulter nécessairement des taches.
Plus récemment, un examen attentif des diverses observations faites sur les taches du soleil depuis l’année 1832, époque à partir de laquelle ont commencé des observations méthodiques, a’ permis de, trouver cette périodicité de trente-cinq années. Nous avons, du reste, traité cette question plus longuement dans un précédent article. (Nature, vol. LXIV, p. 196). Nous avons montré que chaque période de tache (en comptant d’un maximum à un minimum) différait, sous beaucoup de rapports, de celle précédant ou suivant immédiatement et. que ces changements semblaient soumis à une variation périodique dont le cycle semblait être d’environ 35 ans.
Nous avons ainsi établi la relation entre le cycle de Brückner et celui des variations périodiques de trente-cinq ans des taches solaires et nous avons montré qu’aux deux époques minima des taches, c’est-à-dire les années 1843 et 1878, correspondaient les maximums du cycle de Bruckner des quantités d’eau tombée.
La concordance de ces deux cycles conduit naturellement de l’effet à la cause, cause que Bruckner lui-même avait indiquée, mais dont il n’avait malheureusement pas pu donner la preuve.
M. Lockyer donne la courbe des taches du soleil depuis l’année 1832 et la courbe des minima sont indiqués. Les époques de plus grandes taches précèdent précisément ces minima. Pour indiquer la date probable du retour de ces époques dans les années à venir, on a fait passer deux lignes verticales, l’une par l’année 1905 qui paraît devoir être l’année du prochain maximum des taches, et l’autre par l’année 1913 qui semble devoir être l’année où ces taches sont minimum. Ces lignes ont permis, en les prolongeant, d’indiquer la date probable du retour de l’année la plus humide. On a indiqué les variations probables d’eau tombée en prolongeant par des ’lignes ponctuées les lignes pleines des différentes stations.
En résumé, conclut M Lockyer, on peut dire que, pendant ces derniers temps, on a pu parvenir à établir entre les phénomènes solaires et météorologiques une relation plus exacte qu’il n’avait été possible de le faire dans les années antérieures et, puisque les cycles à longue période des quantités d’eau tombée sont en synchronisme parfait avec les variations des taches solaires, on ; peut admettre que ces derniers phénomènes pourront servir de base pour la prévision des époques des années sèches et humides ».
Malgré toute l’autorité s’attache au nom de M. W. Lockyer, nous ne saurions sans grandes réserves accepter ses conclusions. Pour l’éminent membre de la Société royale de Londres il y aurait positivement accord parfait entre la période des taches solaires et le cycle des années sèches et humides défini par Brückner. Mais certaines statistiques employées dans le calcul apparaissent bien comme sujettes à, caution . En les établissant, en triturant les nombres ;, en faisant des moyennes, il est à craindre que l’on ne masque les faits réels. Puis la période des taches de 11 ans environ est elle-même un peu variable pour l’arrivée des maxima et des minima ; c’est une période inégale à deux cycles distincts. Enfin le cycle de 35 ans est, d’après Brückner lui-même, un peu élastique ; tantôt, il s’agit de 33 ans, tantôt de 36 ans, etc. On se trouve donc en présence d’une équation à trois variables à laquelle on peut toujours satisfaire, en opérant avec la conviction qu’elle doit précisément représenter les faits.
Il nous serait tout aussi facile d’établir les mêmes concordances de périodicité entre les années sèches et humides, par exemple, avec la grande période lunaire de 18 ans environ. Deux fois 18 donnent 36 et nous voici dans le voisinage du cycle de Brückner. La moitié de la période lunaire : c’est environ 9. Et nous voilà encore bien près du cycle des années sèches et humides, Cette seconde hypothèse semble aussi rationnelle que la première car jusqu’ici on ne voit pas bien en quoi les taches solaires, qui ne peuvent exercer qu’une action générale sur la terre, détermineraient localement un excès ou une disette de pluie. L’abondance des pluies n’est pas générale pour une année donnée. On comprend mieux une influence lunaire, parce que les déplacements de notre satellite en déclinaison peuvent faire prévaloir successivement à chaque latitude les vents secs ou les vents pluvieux. Sans insister plus longuement sur ces détails, ces quelques remarques paraîtront sans doute suffisantes pour justifier nos réserves sur des coïncidences qui ont besoin d’un contrôle sévère avant d’être admises comme l’expression véritable des faits.