Nos températures tendent-elles ou non à s’affaiblir ? Le long hiver que nous venons de subir a remis cette question à l’ordre du jour. Souvent déjà il a été touché au problème. Des savants éminents s’en sont même occupés. Mais jusqu’ici les solutions offertes n’ont, dans aucun sens, été acceptées d’une manière définitive.
Les hivers rigoureux se sont fréquemment renouvelés dans nos régions, qui ont eu aussi leurs étés exceptionnellement chauds ; mais il ne faudrait pas se baser sur les seules considérations qui s’y rattachent pour en tirer des conclusions plus ou moins positives. Les excès de température de cet ordre ne sont, le plus souvent, que le résultat de causes fortuites. Ils ne sauraient conséquemment rien prouver par eux-mêmes. Mais bien d’autres points s’offrent plus utilement à l’observation.
Nous allons exposer la situation telle qu’elle nous apparaît, avec les quelques développements qu’elle exige. Nous essayerons ensuite d’en montrer les origines et d’en dégager les causes.
I.
Jetons d’abord un coup d’œil sur ce qui a été relaté des hivers, en remontant aussi loin que possible dans le passé et sans nous arrêter aux étés, qui n’ont été que trop rarement notés. Nous ferons notre excursion avec Arago qui, un des premiers, s’est attaché à ce sujet. Ce sont les historiens latins qui l’ont renseigné sur ce qu’étaient nos climats à leur époque, et c’est dans les récits des chroniqueurs qu’il a surtout puisé les indications relatives au moyen âge.
Un fait à signaler tout d’abord, c’est qu’au temps de la prédominance romaine, la Gaule, et plus encore la Germanie, avaient en général des hivers longs et rigoureux et des étés courts et humides. Mais des froids sévissaient aussi ailleurs, et ils s’étendaient même à des contrées beaucoup plus méridionales.
En l’an 271 avant Jésus-Christ, les neiges sont si abondantes à Rome que le forum en reste couvert pendant quarante jours.
En l’an 210, de très grandes quantités de neige tombent également en Italie et en Espagne.
En l’an 66, l’embouchure des Palus-Méotides (mer d’Azov) est gelée à ce point que la cavalerie des barbares, vaincue par Mithridate, peut s’y engager.
Dans le cours du premier siècle de notre ère, une tempête de neige se produit en Grèce et surprend les Bacchantes sur le sommet du Parnasse.
En 401, la mer Noire gèle presque ’en entier. Le même fait se renouvelle en 762.
En 557, les Bulgares peuvent franchir le Danube sur la glace dont il est couvert.
En 763, c’est le Bosphore et le Pout-Euxin qui gèlent. En 821, toutes les grandes rivières de la Gaule et de la Germanie sont tellement gelées que, pendant plus de trente jours, on les traverse même avec des chevaux et des voitures.
En 860, l’Adriatique prend autour de Venise et ses lagunes sont aussi parcourues par des cavaliers et des voitures.
En 1074, froids très vifs en France et congélation de la plupart des fleuves.
En 1076, autre hiver très rigoureux, qui fait périr beaucoup d’arbres et de vignes.
En 1082, prise du Pô, qui est traversé sur la glace par l’empereur Henry IV suivi de ses soldats.
En 1124, chutes très abondantes de neige.
En 1149, congélation de la mer sur les côtes de Flandre jusqu’à une distance de trois milles à partir du rivage.
En 1323, congélation de la partie méridionale de la mer Baltique sur les glaces de laquelle on va, même à cheval, de Copenhague à Lubeck et à Dantzig.
Même phénomène en 1333, 1349, 1399, 1402 et 1407.
En 1408, hiver des plus rudes à Paris. Les voitures traversent la Seine, supportées par la glace.
En 1434, abondance exceptionnelle de neige, également à Paris.
En 1457, la Seine et d’autres rivières sont traversées à cheval et en chariot. Sur le Danube campe toute une armée.
En 1493 comme en 860, congélation des lagunes de Venise.
En 1503, prise du Pô qui supporte le poids de l’armée du pape Jules II.
En 1548, ce sont toutes les rivières de France qui gèlent jusqu’à porter des voitures.
En 1564, froids rigoureux et neiges abondantes, surtout en Languedoc.
En 1589, le Rhône gèle entièrement. Les chevaux et ’les voitures le traversent à Tarascon.
En 1595, la mer se prend sur les côtes de Marseille. En 1608, le froid est particulièrement rigoureux à Anvers. Les habitants dressent des tentes sur l’Escaut.
En 1620, le Zuyderzee gèle, de même qu’une partie de la Baltique ; Les glaces des lagunes de l’Adriatique emprisonnent la flotte vénitienne.
En 1655, à Wismar, dans le Mecklembourg-Schwerin, on voit arriver par la Baltique des chariots chargés, attelés de quatre chevaux, venant de plus de 40 kilomètres.
En 1683, on érige, à Londres, sur la glace de la Tamise, des loges où se tient une foire qui dure quinze jours. La mer, sur les côtes d’Angleterre, de France, des Flandres, de Hollande, gèle jusqu’à la distance de plusieurs milles.
En 1709, hiver particulièrement rigoureux. Toute l’Espagne a eu à en souffrir. La Garonne et même l’Èbre sont gelées. En avril, la Baltique est encore couverte de glaces.
En 1726, on passe en traîneau de Copenhague en Suède. Il en est de même en 1754, 1762, 1765 et 1766.
En 1740, froids excessifs pendant plus de deux mois.
En 1776, les vins restés sur les quais de la Seine, à Paris, gèlent et font éclater les tonneaux qui les contiennent. A la fin de janvier, l’embouchure du fleuve, sur une largeur de plus de 8 kilomètres, se trouve couverte de glaces, de telle sorte que la mer y a l’apparence de la Baltique. C’est un hiver presque aussi rigoureux que celui de 1709, qui a marqué parmi les plus froids.
En 1783-1784, nouvel hiver très dur, de même qu’en 1788-1789. A Marseille, pendant ce dernier hiver, les bords du bassin sont couverts de glace.
En 1794-1795, le thermomètre descend, à Paris, jusqu’à -23,5°C.
En 1812, neiges abondantes et grands froids, surtout en Russie. C’est l’année de la retraite de Moscou, si désastreuse pour notre armée.
1819-1820. Le plus grand de tous nos hivers entre ceux de 1789 et de 1830.
1829-1830. Jusqu’ici le plus rigoureux du siècle. La neige tombe pendant deux mois dans le midi de la France et s’y accumule en couches énormes. En Corse, en Italie, en Portugal, il en tombe également de grandes quantités. La Garonne, la Dordogne, la Durance sont prises. On passe le Rhône sur la glace.
En 1837-1838, soixante-dix-sept jours de gelée à Paris, dont trente-trois successifs. En 1844-1845, soixante-dix-neuf jours, nombre le plus considérable depuis 1789 ; mais ces dernières ne sont pas très intenses.
En 1854-1855 et 1855-1856, hivers également à citer, de même que celui de 1870-1871, dont la France n’a que trop à se souvenir.
En 1874-1875 et 1875-1876, autres hivers presque aussi rigoureux.
En 1878-1879, soixante-huit jours de gelée et chutes abondantes de neige.
En 1879-1880, froids tout à fait exceptionnels. A Paris, la gelée commence dès le mois d’octobre, s’accentue en novembre, devient terrible et continue en décembre, et se soutient encore fort rude pendant toute la durée de janvier. Le thermomètre, à l’observatoire de Saint-Maur, descend à -25,6°C.
Enfin, il y a notre dernier hiver.
Assurément, on ne saurait rien trouver d’absolument concluant dans cette nomenclature. Nous n’y avons du reste fait figurer qu’une partie des hivers relevés par Arago, les principaux. Il y a cependant à en retenir ceci : c’est qu’aux approches de notre ère, avant et après, la Gaule et la Germanie étaient incontestablement plus froides que de nos jours ; que des températures fort abaissées se sont alors produites dans des régions qui, depuis, n’en ont plus éprouvé de semblables ; que les hivers exceptionnels ont fait défaut pendant près de deux cents ans, de 1149 à 1323, et enfin qu’ils se sont surtout multipliés depuis le commencement du XVIIIe siècle. Ils sembleraient, il est vrai, avoir d’abord été particulièrement rares. Mais nous nous trouvons forcément ici en présence de lacunes qui ne pouvaient être comblées.
Nous passerons à d’autres témoignages, ceux-là plus explicites, et nous allons faire pour la vigne ce que nous avons fait pour les hivers. Nous puiserons ici dans les recherches de M. Fuster. Nous nous appuierons surtout sur celles de MM. Portes et Ruyssen, dans leur récent et beau traité de la vigne. Il nous suffira d’y ajouter quelques remarques qui nous sont propres.
On sait que les Gaulois, bien qu’aimant le vin, avaient la bière pour boisson usuelle. La vigne, au temps de Jules César, n’était cultivée que dans nos provinces les plus méridionales, et si elle ne s’était pas encore répandue plus au nord, il faut bien admettre que c’est parce que le climat le lui permettait peu. Ce n’est que plus tard, en effet, et progressivement que la diffusion en a eu lieu. Au IIIe siècle, elle se révèle sur quelques points. Au VIe, sa marche en avant est déjà prononcée. Au IXe, la propagation en est beaucoup plus générale ; mais ce n’est que vers le XIIIe que s’est produite sa plus grande expansion. Si donc nous nous adressons à la vigne, elle nous fournit des indications que nous ne saurions obtenir avec la même précision de la supputation des hivers. Des premières dates auxquelles nous nous sommes arrêté jusqu’au XIIIe siècle, nos températures auraient sûrement progressé, et la situation actuelle démontre que, depuis lors, elles se sont réellement affaiblies. Appesantissons-nous un peu sur ce point.
Vers le XIIIe siècle, en outre des cantonnements qu’elle occupe aujourd’hui, la vigne s’était implantée, chez nous, entre autres provinces, en Bretagne, en Normandie, en Picardie. Les environs de Rennes, de Dol, de Dinan, de Montfort, avaient des vignobles. Lisieux en possédait de son côté, ainsi que Rouen, Jumièges, Forges, Neufchâtel et les environs de Dieppe. Les alentours de Vernon paraissent n’avoir été qu’un grand vignoble. Les vignobles les plus renommés et les plus productifs de la Normandie étaient toutefois ceux d’Airan et d’Argences, dans la vallée de la Muance, un des affluents de la Dive. Enfin, la vigne était cultivée à Abbeville et à Cugnies, près d’Amiens.
Quelque avancée que soit la région d’Amiens, elle était cependant loin de constituer la limite extrême de la culture de la vigne, dans notre pays, au temps de sa plus grande diffusion. La Flandre aussi a eu alors ses vignobles, notamment Watten et Wormhoudt, dans l’arrondissement de Dunkerque. Lille lui-même a, sans aucun doute, été doté de vignes. En 1203, avant de partir pour la croisade, Beaudoin, devenu plus tard empereur de Constantinople, a aboli l’usage qui lui permettait d’acheter son vin aux bourgeois de la ville, au prix qu’il lui convenait d’y mettre. Un pareil usage, malgré l’époque, n’aurait certainement pas eu sa raison d’être si la ville avait été dépourvue de vignes. Une preuve plus positive nous en est du reste donnée. En 1297, lors du siège de Lille par Philippe le Bel, les assiégés, par mesure de défense, ont fait raser les vergers plan tés sur les glacis du clos Saint-Pierre, situé, dit la narration, près de la vigne du Comte. Ici, on le voit, le fait ne peut plus être mis en doute. Mais ce n’est pas seulement dans cette partie de la Flandre qu’on récoltait du vin, c’était aussi à Tournay, à Gand, à Bruges. Louvain, dans le Brabant méridional, a même été un centre important de production, et Bruxelles et Anvers se sont trouvés à peu près dans le même cas. Il n’y a pas jusqu’à Utrecht, en Hollande, qui n’ait été un lieu de récolte. Nous sommes évidemment là bien loin des zones actuelles.
L’Angleterre n’a pas été plus déshéritée que la Belgique sous le rapport de la viticulture. Elle y était aussi en pleine prospérité dès le XIIe siècle, principalement dans le Surrey, et la vallée du Gloustershire était celle qui fournissait les meilleurs de ses vins. A propos de celui d’Argenteuil, on a souvent répété qu’il était loin d’être dédaigné par Henri IV. Le vin anglais, en 1377, était lui-même servi sur la table du roi. Il est pour le moins supposable qu’il n’était pas non plus dépourvu de qualité. A la même époque, notre vin d’Auxerre était considéré comme un produit de qualité supérieure.
Plus ou moins favorisée, la culture de la vigne s’est maintenue pendant une certaine suite de siècles sur les points dont elle avait pris possession. Elle ne paraît surtout pas avoir persisté longtemps en Angleterre, bien que de nos jours des treilles d’une grande abondance y existent encore. Seulement, la culture n’en a plus lieu qu’en serre. Au XVIe siècle, Neufchâtel possédait toujours des vignes. Au XVIIe, on continuait à citer le vin d’Argences. Il existerait même aujourd’hui encore une vigne dans cette localité ; mais on n’en tirerait plus que du verjus. A la même époque, il en restait aussi à Louvain, et ce n’est plus qu’à sa bière que Louvain doit actuellement la réputation dont il jouit. Quoi qu’il en soit, après une ère de réelle prospérité, la vigne disparaissait peu à peu de la zone extrême à laquelle elle était parvenue, et, de nos jours, dans ces régions où elle avait été florissante, on ne peut même plus obtenir que le raisin mûrisse, quand il y mûrit, que lorsqu’il est complètement abrité.
Il semble difficile de ne pas voir dans cette marche de la vigne, avançant d’abord et reculant ensuite, un effet des changements survenus dans notre climatologie. Mais ce n’est pas la vigne seule qui en fournit la preuve. La culture de l’olivier ne tend-elle pas elle-même a rétrograder ? Dans les environs de Carcassonne, depuis une centaine d’années, elle s’est rapprochée du sud d’environ 15 à 16 kilomètres. La canne à sucre, qui avait été acclimatée en Provence, en a, de son côté, complètement disparu. Les orangers qui, au XVIe siècle, aux environs d’Hyères, étaient cultivés jusqu’au village de Cuers, atteints eux-mêmes par les vicissitudes climatériques, ont dû être remplacés par d’autres arbres moins frileux. Que dire d’ailleurs de l’abaissement de la zone de végétation forestière dans les Alpes de la Savoie, dans celles de la Suisse, dans les Carpathes, sinon qu’il procède de la même cause. N’y eût-il dans tout cela qu’un effet de la rigueur croissante des hivers qu’il n’en serait pas moins la preuve d’un abaissement de la moyenne de nos températures, que le mouvement de la vigne atteste tout particulièrement.
II.
Quelque positives que soient ces constatations, il est cependant des savants qui ne s’y arrêtent pas, et tout récemment encore, en se basant sur une considération tirée de l’époque où s’effectuent les vendanges, M. Henri de Parville, dans une de ses causeries scientifiques, émettait l’opinion que nous avons aujourd’hui exactement notre climat d’autrefois. Dans le passé, les vendanges, en France, étaient réglementées et elles ne pouvaient s’ouvrir qu’en conformité d’arrêtés pris par les autorités locales. Or, d’après M. Angot, les dates pour un même territoire, en remontant jusqu’au XIV siècle, tout en présentant des variations annuelles souvent très considérables, seraient en réalité restées les mêmes. Sont-elles donc aussi restées les mêmes, là où les vignobles ont disparu ? On a vu que la qualité du vin s’est sensiblement altérée relativement à divers de nos crus. En Bourgogne, dans le Mâconnais, on récoltait, il y a trois cents ans, en 1552, du raisin muscat qui n’y mûrit plus aujourd’hui. Est-ce là aussi une preuve de la permanence des températures ? En voici une autre : dans le Vivarais, on a vendangé jusqu’à l’altitude de 600 mètres et la vigne, de nos jours, n’y porte même plus de fruits. Pour en revenir aux bans de vendanges, M. Henri de Parville rappelle lui-même que des écarts de plus de deux mois (70 jours) se sont produits d’une année à l’autre. Il nous semble difficile que des moyennes établies à l’aide de pareils éléments puissent être regardées comme ayant une signification bien nette.
Si le thermomètre avait été connu autrefois, ses indications auraient certainement conduit à des appréciations plus sûres ; mais son invention ne remonte guère qu’à deux cents ans et ce n’est même que depuis le commencement de notre siècle que son emploi a pu donner lieu à des comparaisons utiles. Les variations, dans un si petit espace de temps, n’ont pu qu’être très insensibles. En France, rien d’appréciable n’a été relevé : mais un abaissement est déjà signalé en Allemagne. C’est encore une attestation dans le même sens.
Les variations de température ne se sont pas limitées à nos contrées ; elles se sont étendues à d’autres régions et s’y sont même prononcées dans une mesure beaucoup plus forte. Dès le Xe siècle, les Norvégiens, déjà établis en Islande, colonisaient aussi la côte occidentale du Groenland. A cette époque, il y existait de vastes pâturages où paissaient de nombreux troupeaux de rennes, et c’est même de là, on ne l’ignore pas, que lui est venu son nom de Groenland qui signifie terre verte. Des chevaux, des moutons, des bœufs y furent amenés. On bâtit des maisons, ou mit le sol en culture et, dans le cours du XIIe siècle, la colonie s’étendait même jusqu’au 73° de latitude. Les bœufs, abondamment nourris, s’étaient multipliés à ce point que leur viande, desséchée, était exportée par cargaisons complètes. Mais peu à peu, de grandes perturbations survinrent, les froids s’accentuèrent, les neiges s’amassèrent en quantités de plus en plus grandes et il n’est personne qui ne sache ce que sont aujourd’hui ces parages déshérités. Bien que plus favorisée, l’Islande, elle-même très gravement atteinte, n’a-t-elle pas vu s’accomplir un revirement de même nature ? Au XIVe siècle, l’île comptait jusqu’à 120000 habitants. Il n’yen a même pas la moitié actuellement, et si les éruptions volcaniques ont été pour quelque chose dans la disparition de quelques-unes de ses vallées les plus productives, combien l’accumulation des neiges et des glaces n’y a-t-elle pas ajouté.
S’abaissant depuis le milieu du moyen âge, les températures s’étaient antérieurement peu à peu réchauffées et on les retrouve de plus en plus froides à mesure qu’on remonte jusqu’à une certaine limite, dans les temps qui ont précédé. Les tourbières du Danemark, dont l’origine, d’après Stenstrup, remonte à une moyenne de onze à douze mille ans, nous montrent ce qu’étaient alors le climat de cette contrée. Au début de la formation, c’est le pin qui existe, et il ne croît plus dans le Danemark. Après, le chêne rouvre fait son apparition et il y est devenu très rare. Ce n’est qu’à la surface qu’on trouve le quercus pedunculata qui est maintenant, dans le pays, l’espèce la plus répandue. Mais ce qui caractérise surtout le dépôt du fond, c’est que les plantes qui s’associent au pin ne sont plus confinées aujourd’hui que sous le cercle polaire. Si le Danemark a eu les basses températures que les Kowmoses nous révèlent, quelles n’ont pas été aussi les nôtres à la même époque, et dira-t-on toujours qu’elles sont restées immuables ?
Avec le Danemark, nous nous sommes écartés des temps historiques. Nous avons à y revenir. Il y a trois ou quatre mille ans, de vastes forêts, habitées par des ours, couvraient, dit M. Élisée Reclus, certaines parties de la Palestine, et des prairies, où les brebis paissaient en nombre considérable, s’étendaient dans toutes les vallées. De nos jours, ce pays ne reçoit même pas assez d’eau pour abreuver un peu son sol desséché. Aucun doute ne peut exister, non plus, selon M. Fras, au sujet d’un changement important du climat de la vallée du Nil, pendant les soixante-dix derniers siècles. Des cités, jadis entourées de culture, sont aujourd’hui perdues dans les solitudes. La faune et la flore d’alors ont disparu. Le chameau, autrefois inconnu des Égyptiens, s’est montré et s’est avancé avec les limites du désert, à mesure que les sécheresses se prononçaient. Il est vrai qu’Arago n’en a pas moins prétendu, relativement à la Palestine, qu’elle n’a pas cessé depuis plus de trois mille ans de jouir d’une température de 21°C à 21,5°C, en se basant sur ce fait qu’aujourd’hui comme au temps de l’histoire des Juifs, le dattier et la vigne mûrissent leurs fruits dans les mêmes conditions de lieu. Que la température de l’été ait peu varié, cela est certain, et j’ai déjà eu ailleurs à l’expliquer ; mais cela ne prouve nullement qu’il n’y ait pas eu de changements dans les autres saisons et conséquemment dans l’ensemble de son climat.
Contrairement à l’opinion de quelques-uns, nos climats ne sont donc pas demeurés stationnaires et prétendre le contraire, c’est simplement aller contre l’évidence même des faits. Mais à quelles causes attribuer ces changements ? C’est surtout par suite de leur impuissance à se prononcer à cet égard que certains savants se sont arrêtés à la négative, trouvant plus simple de contester des témoignages qui, pourtant, ne devraient faire doute pour personne.
On a parlé des taches solaires. On n’a pas tardé à reconnaître qu’elles ne coïncident nullement avec les fluctuations qui surviennent. On s’est aussi demandé s’il n’y aurait pas là un effet du refroidissement de notre globe. Ce n’est assurément pas le refroidissement de notre globe qui aurait amené le réchauffement qui s’est produit depuis l’origine des marais tourbeux du Danemark. Le refroidissement supposé aurait du reste agi sur toutes les températures de la terre et rien ne prouve que celles des deux hémisphères en aient également et en même temps été influencées. A propos de ce refroidissement, M. Henri de Parville fait observer que s’il avait été tant soit peu réel, la contraction qui en serait résultée pour notre planète aurait eu pour conséquence une accélération de son mouvement de rotation et que rien de semblable n’a été constaté depuis plus de deux mille ans. Il aurait fallu, en tout cas, une contraction assez sensible pour déterminer un pareil résultat. L’accélération se fût-elle accusée qu’il n’y aurait même pas ’là encore une preuve bien positive de refroidissement pour notre globe, car la contraction du soleil doit forcément avoir la même conséquence. En se contractant, le soleil acquiert une plus grande puissance attractive. La Terre s’en rapproche d’autant et son mouvement de rotation s’active dans la même mesure. Il n’est pas douteux que le soleil se contracte. Il n’est pas douteux que la Terre se refroidit. Mais ce n’est certainement pas en quelques milliers d’années que la chose serait appréciable, surtout d’après sa rotation. Autrement il faudrait attribuer à notre monde une durée qui n’aurait rien des chiffres auxquels les calculs les plus sérieux ont jusqu’ici conduit.
Sans chercher aussi loin la cause de nos grands changements climatériques, on les a rattachés à des déviations du Gulf-Stream et à des modifications dans la marche des grands courants atmosphériques. Cette dernière cause, à ne l’envisager qu’au point de vue qui nous occupe, ne saurait être que temporaire et nous n’avons pas trop à nous y arrêter. Des directions différentes du grand courant équatorial auraient plus sûrement des conséquences autres. Mais rien ne fait supposer qu’il en ait été ainsi et surtout ce n’est pas du côté de la Palestine et de l’Égypte qu’il faudrait en aller chercher le témoignage. Le Gulf-Stream réchauffe incontestablement les côtes qu’il baigne et l’Angleterre reçoit toujours une part de ses caresses. Elle n’en a pas moins perdu ses vignobles. La Bretagne est elle-même toujours touchée par le grand fleuve marin. Ne se trouve-t-elle pas dans le même cas ? On a vu enfin dans nos vicissitudes climatériques un effet du transport plus ou moins abondant des glaces descendues des régions polaires. Mais si les régions arctiques nous envoient plus de glaces, n’est-ce pas parce qu’elles-mêmes sont plus refroidies ?
Nous sommes loin de contester que les changements dus à la main de l’homme n’aient pas été pour quelque chose dans les actions qui se sont exercées par rapport à notre climat. La Gaule, couverte de forêts au temps de la domination romaine, ne pouvait, par ce fait, qu’avoir des températures différentes de celles actuelles. Les défrichements les ont sûrement améliorées et cette amélioration n’a pu qu’aider au réchauffement qui s’est produit jusque vers le XIIIe siècle. Mais le reboisement ne s’est pas fait depuis et cependant un revirement a eu lieu. Il montre bien que la circonstance en question n’a pas autant agi qu’on pourrait le supposer et qu’il n’y a pas, au fond, beaucoup à en tenir compte.
Puisque nos grandes variations de température sont bien réelles et puisque les causes qui ont été invoquées ne sauraient les expliquer, il faut bien qu’il y en ait d’autres. Pour nous, nous ne les avons cherchées que du coté de l’astronomie, sans trop nous préoccuper en cela du plus ou moins d’accélération de la rotation terrestre et il nous a paru, comme à Adhemar, que ces grands effets sont surtout dépendants du balancement précessionnel. C’est donc dans ’celte voie que, comme lui, nous nous sommes engagé. Seulement, nous sommes allé beaucoup moins loin dans nos déductions et nous avons pu donner à notre démonstration, sans en tirer les mêmes conséquences, des bases infiniment plus sûres et en même temps d’un caractère beaucoup plus. difficilement contestable. Nos études dans ce sens ne datent du reste pas d’hier et nos premiers travaux sur la matière, publiés dans les annales de diverses sociétés savantes, ne remontent pas à moins de douze ans. Il est vrai que nous ne nous étions guère placé jusqu’ici que sur le terrain logique ; mais si nous avons pu montrer dans le passé la cause des oscillations séculaires de température dont le sol a gardé les empreintes, nous pouvons tout aussi bien expliquer le phénomène dont nous sommes aujourd’hui les spectateurs, puisqu’il est resté et est toujours le même. Commençons par rappeler la théorie sur laquelle nous nous basons.
III.
On sait que l’axe de rotation de la terre n’est pas perpendiculaire au plan de son orbite, mais qu’il est incliné de 23,28°. On sait aussi que les attractions qui s’exercent sur le renflement équatorial de notre planète, pendant son parcours annuel autour du soleil, ont pour conséquence de la faire osciller sur elle-même, de sorte que, pendant une durée qui a été calculée, la direction de son axe décrit, par rapport à l’espace, une révolution qu’une autre suit immédiatement. Nos saisons tiennent donc à la position que le globe occupe sur son orbite, et, ces positions se déplaçant, elles doivent forcément se déplacer elles-mêmes. Si l’orbite était simplement circulaire, ce déplacement ne les modifierait en rien dans leurs caractères ; mais elle est elliptique et le soleil n’en occupe pas le centre. Cela fait qu’il ne saurait en être ainsi. On comprend que les hivers, lorsqu’ils se présentent à l’aphélie, ne sauraient être les mêmes que lorsqu’ils se produisent au périhélie, et que, survenant sur ces points opposés, les étés doivent à leur tour et également se diversifier. Or, nous avons actuellement nos étés du côté le plus éloigné du soleil et nos hivers du côté le plus rapproché, alors que nous les avions précédemment à l’inverse. Nos températures en ont donc forcément éprouvé le contre-coup.
Considéré en lui-même, le balancement précessionnnel s’effectue en une durée de vingt-six : mille ans ; mais il se combine avec un autre mouvement, qui affecte l’orbite, celui de la ligne des absides, et sa durée, au point de vue qui nous occupe, s’abrège de 5000 ans, ce qui la réduit à 21000. Chacun de nos hémisphères passe donc en 10500 ans d’une phase à l’autre. D’un autre côté, c’est en l’an 1250 de notre ère que nos deux grandes saisons d’hiver et d’été se sont produites exactement dans le sens du grand axe de l’orbite, et pour retrouver l’opposé de cette situation, il faut remonter à 11138 ans. Si, il y a 638 ans, nous nous sommes trouvés au milieu de notre phase de chaleur, et nous allons faire voir qu’il en a bien été ainsi, nous nous serions donc trouvés, il y a 11138 ans, au milieu de notre précédente phase de froid. Comme correspondant au second de ces termes se présente le fond des tourbières du Danemark, et, comme marque du premier, nous avons l’expansion de la vigne jusqu’aux : limites où nous l’avons suivie. Ces points, on le reconnaitra dès maintenant, sont loin d’être dépourvus de valeur.
Il y avait pour nous, bien entendu, à aller beaucoup plus avant dans la question. Il fallait déterminer les causes précises de l’action de la précession.
En raison de l’excentricité de l’orbite, nos étés, à l’aphélie, comptés de l’équinoxe du printemps à l’équinoxe de l’automne, son t plus longs de huit jours (exactement 8,1) que ceux : de l’autre hémisphère, qui se produisent au périhélie, et nos hivers, au périhélie, sont plus courts de ce même laps de temps que les autres à l’aphélie. C’est de là que vient, en partie, notre avantage ; mais ce dont on ne s’est pas assez préoccupé, c’est qu’il tient principalement à l’inégale répartition des heures de jour et de nuit, pour les mêmes saisons, de l’un à l’autre des hémisphères. Ces inégalités diffèrent d’ailleurs selon les latitudes. Ainsi, tandis qu’elles se résolvent, pour les pôles, sans distinction, en un total de 194 heures de jour en plus dans un sens et de 194 heures de nuit en plus dans l’autre, elles ne sont plus, sous le 49e parallèle, qui est celui de Paris, que de 165 heures et s’affaiblissent encore à mesure qu’on se rapproche de l’équateur. Paris occupant en quelque sorte la moyenne des latitudes, il y a surtout intérêt à s’y attacher.
Les étés actuels de Paris, dans leur ensemble et comptés comme nous l’avons dit, se composent de 2716 heures de jour et de 1764 heures de nuit. Ceux de l’hémisphère austral, sous le même parallèle, ont 2551 heures de jour et 1735 heures de nuit. La différence, pour les heures de jour, est donc bien de 165, et si nos heures de nuit sont en nombre un peu plus grand que de l’autre côté, le total n’en dépasse le correspondant que de 29, ce qui ne l’atténue que de très peu. Quant aux hivers, les heures de nuit, pour nous, sont de 2551 et les heures de jour de 1735, alors que celles de l’autre hémisphère, toujours sous la même latitude, sont, les premières, de 27’16, et les secondes, de 1761, c’est-à-dire qu’il en ressort des différences nécessairement égales à celles déjà établies, mais qui, celles-là, se présentent à l’inverse. On peut déjà, par là, se faire une idée de ce qui peut en résulter. Mais ce n’est pas tout, et d’autres enseignements nous sont donnés par les distances solaires.
La Terre, au périhélie, reçoit de plus près la chaleur du soleil ; mais elle la reçoit moins longtemps. A l’aphélie, elle lui arrive de plus loin, moins forte conséquemment ; mais elle en jouit pendant huit jours de plus. Il faut donc tenir compte de cet autre fait. Si nous prenons 1000 comme intensité calorique du soleil, nous avons, dans les conditions actuelles de notre excentricité, 1034 pour le périhélie et 966 pour l’aphélie. Ces déterminations ne s’appliquent toutefois qu’aux points extrêmes et, les positions étant envisagées dans leur ensemble, on n’a plus, comme moyenne, du côté du périhélie, que 1017, alors que du côté de l’aphélie le chiffre se relève à 983. Maintenant si, à l’aphélie, dans une même longueur de temps ; nos étés reçoivent 34/1000 de chaleur de moins que ceux du périhélie, ils en reçoivent, par contre, pendant 165 heures de jour en plus. Or, ces 165 heures représentent, relativement à l’autre total, une proportion de 65/1000. De ce seul fait découle donc bien pour nous, dans notre situation actuelle. plus qu’une compensation. Mais ce n’est pas l’été seul qui nous est plus favorable, c’est aussi et surtout l’hiver. D’une part, au périhélie, nos hivers reçoivent en moyenne 34/1000 de chaleur de plus que ceux de l’aphélie, et d’autre part ces derniers, avec leur excédent de 165 heures de nuit, éprouvent des déperditions de 65/1000 plus fortes que celles que nous supportons. Notre avantage annuel, l’hiver et l’été compris, atteint donc de ce chef jusqu’à 130/1000. Pour arriver au terme exact, il n’y a plus qu’à faire la défalcation de la différence entre les heures de nuit pour l’été et celles de jour pour l’hiver, soit 34/1000. Il n’en reste pas moins, comme résultat final, un écart de 96/1000, c’est-à-dire de près d’un dixième dont nous bénéficions. Ce n’est même là qu’un minimum qui doit encore s’accroître à la fois par l’accumulation de la chaleur due à la prolongation de nos étés, et par l’accumulation du froid, conséquence de la plus longue durée des hivers de l’autre hémisphère [1].
Ainsi, il est évident que nous nous trouvons sensiblement plus favorisés, sous le rapport des températures, que l’hémisphère qui nous est opposé, et, par la même raison, nous le sommes réellement plus aujourd’hui qu’il y a 10 500 ans, alors que nous occupions sur l’orbite la place qui est maintenant la sienne. Le fait trouve-t-il au moins sa confirmation dans notre état climatologique actuel ?
L’équateur thermal n’occupe pas la position de l’équateur géographique. Sa moyenne est au 4° de latitude nord. C’est un premier point. En voici un second. Les pôles ont chacun leur calotte de glaces permanentes. Celle de l’hémisphère boréal est limitée à la moyenne du 76° parallèle. L’autre descend jusqu’au 65°. On le voit, c’est bien toujours dans le même sens que l’influence s’accuse et si, de ce côté, la différence s’élève à 11° au lieu des 8° qui la constituent de l’autre (4° en plus au nord et 4° en moins au sud), c’est justement parce que l’action précessionnelle, comme nous l’avons fait remarquer, se prononce d’autant plus qu’on se rapproche davantage des pôles, où elle est à son maximum. Nous avons donc en cela non seulement la preuve de l’action invoquée, mais encore et en même temps celle de la mesure dans laquelle elle s’exerce par rapport aux latitudes.
Il serait difficile, croyons-nous, de contester sérieusement ces témoignages. On nous a cependant objecté que la comparaison des isothermes, d’un hémisphère à l’autre, ne conduirait pas, sans exception, à la même démonstration. Nous avons tout au moins à faire observer que, sur aucun point, les moyennes isothermiques ne s’élèvent plus dans l’hémisphère du sud que dans celui du nord. II y a surtout à considérer que les masses continentales sont de notre côté et que les plus vastes océans sont de l’autre. Or, les mers ont une plus grande capacité calorique que les terres. Il n’y a dès lors rien d’étonnant à ce que, malgré la situation précessionnelle, certaines des lignes d’égale température tendent à se paralléliser, et ce qui montre bien que notre hémisphère reçoit et conserve réellement plus de chaleur que l’autre. c’est justement ce fait que, même avec la très inégale répartition des terres et des mers, nos moyennes climatériques n’en restent pas moins, dans leur ensemble, les plus élevées.
Quelle est la valeur thermométrique des écarts établis ? C’est aussi ce qu’il y avait à déterminer.
Notre plus haute moyenne de température, à l’équateur, est de +28°C. La plus basse, aux pôles, a été évaluée par nous, abstraction faite de l’influence précesssionnelle, à -25°C. L’échelle, dans son ensemble, s’étendrait donc à 53°C. Le 10°C résultant de nos calculs serait alors de 5,3°C, avec une décroissance de 0,059 par parallèle. Il s’en faut, toutefois, que celte mesure se répartisse d’une manière égale entre toutes les latitudes. Vers l’équateur, la proportion est beaucoup plus faible. Vers les pôles, elle ne peut, au contraire, on en sait le motif, qu’être beaucoup plus forte. Les 8°C de déplacement de l’équateur thermal correspondent à une différence thermométrique qui n’est que de 2,3°C et les 11°C applicables aux calottes polaires en représentent une qui est de plus de 9°C. La part, pour chaque parallèle, serait ainsi vers l’équateur de 0,29°C et vers les pôles elle irait à 0,82°C. Relativement à la latitude à laquelle Paris appartient et où le déplacement des isothermes serait de près de 9°C l’oscillation calorique pourrait aller à 6,4°C, soit, par parallèle, à 0,71°C. On comprend qu’il faille tenir compte de ces variations d’effets dans la recherche de la justification des faits qu’on a en vue ; mais ce ne sont pas les seules qui se produisent et il y a encore à distinguer.
Les chiffres que nous venons de donner sont ceux qui résultent des moyennes générales pour l’ensemble des hémisphères. Mais les lignes d’égale température ont des directions quelquefois fort écartées d’une région à une autre, à la même hauteur en latitude. Elles s’abaissent généralement au milieu des continents par suite d’une plus active radiation nocturne, et se relèvent dans le voisinage de certaines mers sous l’influence des courants qui y existent. L’Europe, et surtout sa partie occidentale, se trouve dans ce dernier cas. Nous avons donc à envisager plus particulièrement le côté de notre hémisphère auquel elle appartient.
Sous les longitudes qui lui sont propres, l’écart de 8° en latitude pour l’équateur thermal donne une différence de 1,5°C du thermomètre avec un fractionnement de 0,19°C par parallèle. A la hauteur de Paris, pour 9°C, on en a une de 5,6°C avec un fractionnement de 0,62°C et le chiffre qui se rapproche aux 11°C applicables à la limite des glaces polaires est de 8,5°C pour 0,77°C par parallèle. Ces déterminations, lorsqu’on s’attache aux situations qui sont les nôtres, sont donc celles sur lesquelles il faut se baser. Seulement, elles ne s’appliquent qu’à la situation actuelle, et celle d’il y a 638 ans en différait nécessairement un peu, puisque c’est à ce moment que nous nous sommes trouvés à l’apogée de nos chaleurs. Les déplacements, pour cette époque, auraient été ceux-ci : 8,5° en latitude à l’équateur pour 1,6°C du thermomètre ; 9,5°C sous la latitude de Paris pour 5,9°C de température ; plus de 12°C vers les pôles pour 9°C. Enfin et relativement à notre phase de froid qui a eu son maximum il y a 11 138 ans, il y a à faire entrer en ligne de compte un autre élément : la différence de l’excentricité de l’orbite. Actuellement, l’excentricité est de 0,0168. Alors, elle était supérieure 0,0187. Pour ne pas négliger les effets de cette autre différence, il nous faut encore en ajouter la proportion aux derniers chiffres. Nous avons alors, comme écart de température de l’une à l’autre phase, vers l’équateur 1,8°C, sous la latitude de Paris 6,5°C, et pour les calottes circumpolaires 9,9°C. Notre véritable point de départ, sans remonter au-delà, reste en définitive celui-là [2].
IV.
Les termes que nous avions à rechercher, établis comme nous venons de le faire, nous n’avons plus qu’à les appliquer aux situations exposées. Le Danemark qui, il y a 11000 ans, a eu les conditions climatériques qu’on sait, aurait donc vu, en raison de sa latitude, la moyenne de ses températures s’abaisser jusque vers zéro. Comparativement à ce qu’elle est aujourd’hui, la chute eût été d’environ 7°C. N’est-ce pas, à très peu de chose près, le chiffre que nous donnent nos calculs ?
Il y a 7000 ans, sous le 28° parallèle, l’Égypte aurait eu, comme moyenne climatérique, 3,2°C de moins que de nos jours. La prospérité de ses anciennes cités, les plantations dont elles étaient entourées s’expliquent par là tout aussi bien que les Kowmoses du Danemark. Pour la Palestine, il y a 4000 ans, sa moyenne, déjà plus relevée comparativement à la phase qui s’éloignait, se serait cependant trouvée encore inférieure de 1,9°C à celle d’à présent. N’eût-elle pas également suffi pour le maintien de ses pâturages et pour la conservation de celles de ses forêts qui, depuis, ont disparu ? Il nous reste l’expansion de la vigne, et il va nous être non moins facile de montrer jusqu’à quel point sa marche est restée en concordance avec le mouvement précessionnel qui s’accomplissait.
En remontant à 2000 ans, on ne trouve guère de vignes en Gaule que dans la Narbonnaise. La Narbonnaise devait avoir alors une moyenne thermométrique inférieure de 1°,1 à celle qu’elle possède aujourd’hui. Malgré les forêts dont la Gaule était couverte, la vigne pouvait donc déjà, et même depuis quelque temps, y prospérer. 600 ans plus tard, la température s’était relevée de près d’un demi-degré, et les provinces s’étendant vers le nord avaient, à leur tour, assez gagné pour que le précieux végétal pût utilement y être introduit. Quelques siècles encore, et la progression climatérique continuant, c’est la plus grande partie de la France qui peut être occupée. Enfin, avec le XIIIe siècle coïncide sa plus grande expansion, et l’on sait que ce moment a dû être aussi la date culminante de nos chaleurs. Peu à peu, depuis lors, la température s’est atténuée et peu à peu aussi la vigne a rétrogradé, nous ramenant à une situation qui a dû, à peu près, être celle du VIIe siècle. Dans 600 ans, nous aurons les mêmes moyennes thermiques que du temps de Jules César, et si la vigne s’était alors maintenue, ce qui est présumable, plus ou moins loin de nos provinces du midi, il y aurait surtout à attribuer le fait aux soins mieux entendus de sa culture et au déboisement du vieux sol gaulois qui, n’ayant plus l’humidité qu’il devait à ses forêts, lui serait resté d’autant plus favorable.
On pourrait trouver que le mouvement de température que nous venons de suivre et particulièrement celui se rattachant à nos derniers 2000 ans, n’aurait pu avoir que difficilement les conséquences que nous en faisons découler. Ces conséquences ne se justifieraient, nous le reconnaissons, qu’assez imparfaitement si nous ne considérions que les moyennes offertes, qui ne sont que celles annuelles. Mais les années se décomposent en saisons et nous avons de ce côté tout le complément d’action qui nous est nécessaire. Ainsi que cela résulte de nos données, c’est toujours et surtout l’hiver qui est influencé par la précession. Dans les variations d’un hémisphère à l’autre, ou, ce qui revient au même, d’une phase à la phase opposée, la part de l’été n’est en effet que de 14 sur 96, tandis que celle de l’hiver est de 82. Là où, comme en Danemark, il y a 11000 ans, l’abaissement thermométrique annuel était de 7°C, l’été n’avait donc perdu, sur sa moyenne propre, que 2,4°C, alors que l’hiver avait perdu, sur la sienne, 11,96°C. De même, en Égypte, il y a 7000 ans, la moyenne de l’été n’avait en moins que 1,92°C quand celle de l’hiver se trouvait affaiblie de 4,68°C. En Palestine, il y a 4000 ans, la répartition de la différence était celle-ci : été O,46°C, hiver 2,74°C, et, pour la Gaule, il y a 2000 ans, elle avait en moins, l’été 0,32°C et l’hiver 1,88°C. En ce qui concerne le revirement commencé il y a 600 ans, il se chiffrerait de nos jours, pour nous, par 0,11°C pour l’été et par 0,61°C pour l’hiver, et les termes, pour le Groenland, iraient à 0,16°C dans le premier sens et à 0,92°C dans le second. Ces distinctions, on le voit, sont loin elles-mêmes de manquer d’importance. Elles montrent d’autant mieux la nature de l’action qui intervient, Il y a à ajouter, par rapport au Groenland, que l’envahissement du froid, dans les phases de refroidissement, doit y être d’autant plus rapide qu’il appartient à un milieu où il prédomine plus particulièrement, et que la même influence doit nécessairement se faire sentir, à des distances plus ou moins grandes, sur les contrées que peuvent atteindre les courants marins ou atmosphériques qui s’éloignent de pareils centres, ce qui pourrait aussi être pour quelque chose dans l’aggravation que nous éprouvons.
Fixons-nous bien sur les fluctuations qui affectent les saisons. Bien que perdant dans leur ensemble, pendant les phases de refroidissement, les étés n’en arrivent pas moins à des températures que n’atteignent pas les étés des phases contraires. C’est surtout au solstice que l’effet se produit, et il s’explique par cette raison que la terre est alors à son périhélie et que le soleil lui dispense sa chaleur plus abondamment. Avec l’excentricité actuelle, la différence va jusqu’à 68/1000. Mais les hivers plus longs et surtout beaucoup plus froids ne leur laissent rien de cet avantage passager. Dans ces conditions, les saisons se tranchent donc beaucoup plus complètement, et comme ce sont les hivers qui prédominent, ils n’en laissent pas moins aux années toute leur caractéristique de froid. Dans les phases de réchauffement, au contraire, les extrêmes se rapprochent. Bien que plus chauds dans leur ensemble, les étés ont moins d’ardeur temporaire et les hivers, plus courts, s’adoucissent d’autant plus qu’ils participent de plus près aux effluves caloriques de l’astre central.
C’est surtout aux étés qu’on doit les végétations, et il semblerait que, se modifiant peu, les mêmes situations pourraient, dans certains cas, persister plus ou moins longtemps. Il ne faut pas oublier que, bien que n’intervenant pas directement, l’hiver n’en a pas moins, à cet égard, une grande part d’influence. Plus froid, il écarte certaines espèces, et plus long, il déverse d’autant plus d’humidité sur l’été qui, s’il perd peu par lui-même, n’en reste pas moins atteint. Tel est évidemment notre cas actuel. Nos étés ont bien leur milieu un peu plus chaud qu’il y a 600 ans ; mais ils sont devenus plus tardifs et l’hiver se manifeste plus tôt. Le fait cité par Arago au sujet du dattier et de la vigne qui, il y a 3000 ans, en Palestine, mûrissaient leurs fruits aux mêmes lieux qu’aujourd’hui, n’a du reste rien qui soit en contradiction avec ce que nous venons de dire. Les hivers de la Palestine n’ont rien de semblable aux nôtres, et si le changement de leur température leur vaut un peu plus de froid, il leur apporte surtout plus de pluies. Or, malgré cette augmentation d’humidité pour l’hiver, ses étés, il y a 3000 ans, ont pu tout aussi bien, dans une période de temps seulement un peu plus courte, conserver une somme suffisante de chaleur pour amener, sur les mêmes points, le développement et la maturité des mêmes fruits.
Les différences d’heures de jour et d’heures de nuit qui ressortent de nos supputations pourraient ne pas produire d’effets appréciables si on ne les considérait que par rapport à des durées très limitées ; mais ces effets, qui se renouvellent sans cesse et qui sont toujours les mêmes, ne peuvent à la longue que se marquer plus visiblement. Rien qu’en 100 ans, les 194 heures pour les pôles et les 165 heures pour la latitude de Paris forment un double total de 19400 et de 16500. Pour les pôles, c’est l’équivalent de 810 jours, et pour Paris, celui de 688. Si nous prenons 1000 ans, nous arrivons pour les pôles à plus de 22 ans et pour Paris à près de 19. C’est donc en plus pendant ce laps de temps, dans un sens, 22 et 19 ans de présence solaire, et dans l’autre 22 et 19 ans de nuits sans réchauffements. On juge mieux par là de ce qui doit découler d’une action qui peut s’appliquer même à de plus longues périodes de temps.
Si l’excentricité de notre orbite variait peu, si elle n’oscillait qu’entre les chiffres que nous avons donnés, nos alternatives précessionnelles de température ne s’éloigneraient guère de celles exposées. Mais l’excentricité s’accroît jusqu’à 0,0777 et elle s’abaisse jusqu’à 0,0033. Nous avons donc là une autre et puissante cause de fluctuations, dont les effets se retrouvent d’ailleurs dans les formations géologiques avec une netteté égale à celle qu’ils révèlent aujourd’hui. Cette cause serait insuffisante toutefois pour expliquer seule, surtout avec leur durée, les températures extrêmes de nos longues époques, qui seraient beaucoup plus particulièrement la conséquence d’un autre mouvement infiniment plus lent, les déplacements polaires, sur lequel l’action précessionnelle ne ferait que se superposer. Mais c’est là une autre de nos théories sur laquelle nous n’avons pas à revenir ici. Disons seulement que l’excentricité actuelle de notre orbite, qui décroît depuis 100000 ans, doit diminuer encore pendant une longue suite de siècles pour arriver, dans 23900 ans, à son minimum. Nos oscillations climatériques se prononceront donc de moins en moins jusque-là. Il est au surplus aussi facile à cet égard de lire dans l’avenir que dans le présent et qu’il ne nous l’a été de le faire dans le passé. Dans 4642 ans, les deux hémisphères ayant leurs étés et leurs hivers, non plus comme aujourd’hui, mais aux extrémités du petit axe de l’orbite, c’est-à-dire à une égale distance du soleil, auront aussi des températures devenues égales. Paris aura donc perdu alors 2°,8 sur sa moyenne annuelle et l’autre hémisphère, sous la même latitude, en aura recouvré autant. Dans 9862 ans, la situation actuelle se sera complètement intervertie. Nous serons alors retournés à la plénitude de nos froids et l’hémisphère du sud aura retrouvé la plénitude de ses chaleurs. L’équateur thermal sera allé occuper l’autre côté de l’équateur géographique, et ce sont nos glaces circumpolaires qui se rapprocheront du 65e parallèle, tandis que les autres se seront relevées même au delà du 76e.
Le refroidissement dans lequel nous rentrons serait-il donc une nouvelle période glaciaire ? Pas plus que celle actuelle n’en est une pour l’autre partie de notre globe. Les glaciers de la Suisse reprendront bien une partie de leur ancien développement, mais ils ne s’étendront même pas jusqu’au Léman. Le Danemark sera redevenu ce qu’est aujourd’hui l’Islande. La Norvège, malgré le Gulf-Stream, la Suède, la Laponie, la Finlande ressembleront beaucoup au Groenland actuel qui, lui, ne sera plus qu’une suite non interrompue de glaces. Pour nous, simplement dans une situation se rapprochant de celle qu’a aujourd’hui le Danemark et conséquemment sans revoir le renne, notre sol n’en aura pas moins et depuis longtemps perdu la vigne. Peut-être nos arrière-neveux s’en consoleront-ils. Il leur restera du moins la blonde et savoureuse boisson des Gaulois, nos braves et spirituels aïeux.
Jules Péroche