Tout le monde a pu remarquer que le phénomène de la pluie est fort variable [1] suivant les localités que l’on considère. En France, il pleut souvent dans certaines régions, rarement dans quelques autres. Quand la pluie tombe, ici elle est très faible ; là, elle est tellement forte qu’elle occasionne des désastres. Le même département présente quelquefois ces grandes différences de fréquence, d’intensité ou d’abondance. Il est donc difficile de caractériser une région tout entière, sous le rapport de la pluie, d’après les mesures effectuées dans une seule station pluviométrique. Il faut un très grand nombre de stations quand la surface territoriale à étudier possède une vaste étendue. En toute rigueur même, les résultats obtenus ne devraient s’appliquer qu’à la localité qui les a fournis.
Le service pluviométrique organisé en France a cependant permis de reconnaître qu’il y a dans notre pays huit régions qui offrent ordinairement des maxima principaux de pluie : ce sont celles qui avoisinent les Pyrénées occidentales, les Cévennes, les Alpes, le Jura, les Vosges, le Plateau Central, les monts du Morvan et ceux de la Bretagne. Cela confirme le principe, déjà souvent vérifié, que la pluie augmente avec l’altitude. Dans nos plaines du Nord-Ouest et du Nord, la hauteur annuelle de pluie reste quelquefois au-dessous de 500 millimètres, tandis qu’elle dépasse souvent 2 mètres dans les stations élevées de nos départements montagneux.
Toutefois, si le principe est vrai d’une manière générale, il souffre aussi de nombreuses et importantes exceptions. C’est ainsi qu’à Vialas, dans le département de la Lozère et dans le bassin de l’Ardèche, à 522 mètres seulement d’altitude, il tombe, annuellement et en moyenne, 1655 millimètres de pluie, alors qu’on en constate seulement 952 millimètres à Florac, qui est situé à 25 kilomètres de distance, dans le même département. et à 551 mètres d’altitude. Bien plus, Bayonne reçoit 1255 millimètres d’eau pluviale, soit 500 millimètres de plus que Florac, et 400 millimètres de moins que Vialas, quoique son altitude ne soit que de 12 mètres. Dira-t-on que Bayonne est située tout près de la mer, et au pied des Pyrénées ? On pourra répondre que Perpignan se trouve dans une situation absolument analogue, à 32 mètres d’altitude, et qu’on y relève à peine 546 millimètres d’eau de pluie, c’est-à-dire moins de la moitié de la quantité recueillie à Bayonne.
On trouve des anomalies de même ordre si l’on étudie avec quelques détails la fréquence de la pluie. En général la pluie est plus fréquente à mesure que le relief du sol augmente ou qu’on se rapproche de la mer, mais les exceptions sont aussi remarquables que dans le cas précédent. À Bordeaux, il y a 205 jours de pluie par an, tandis qu’on n’en compte que 142 à Lorient, 125 à Bayonne, 89 à Perpignan, et 131 à Bagnères-de-Bigorre, dont l’altitude atteint 553 mètres.
La quantité de pluie n’est même pas toujours en rapport avec le nombre des jours pluvieux. Vialas, qui compte 94 jours de pluie, Nantua qui en a 136, Gérardmer qui en subit 147, fournissent respectivement 1653, 1254 et 1550 millimètres d’eau ; tandis que les 205 jours pluvieux de Bordeaux n’en produisent que 764 millimètres.
Toutes ces singularités, que l’on pourrait croire créées par le hasard ou par des conditions absolument locales, relèvent cependant au premier chef de causes générales que nous connaissons encore imparfaitement, mais que nous faisons plus que soupçonner, Il est bien certain que si la topographie environnante joue quelquefois un rôle important dans le régime pluvial d’une localité, il faut aussi lui adjoindre l’influence primordiale qui appartient à la situation géographique de cette localité, c’est-à-dire à la position qu’elle occupe par rapport aux trajectoires ordinaires des dépressions atmosphériques, grandes ou petites.
D’après ce que nous venons de dire, on reconnaîtra qu’on se heurte à de grandes difficultés quand on cherche à tracer exactement une carte pluviométrique dans laquelle les hauteurs de pluie seraient représentées par des courbes continues. Mais il est relativement facile de dresser une carte sur laquelle on se contentera d’inscrire, près des localités importantes, les quantités annuelles de pluie et les nombres annuels de jours de pluie qu’on a observés, en moyenne, dans ces localités. C’est un projet que nous avons commencé à mettre en exécution, d’après les observations publiées par le Bureau central météorologique, pour près de 2000 stations réparties dans toute la France. Nous extrayons des préliminaires de ce travail les deux tableaux suivants qui représentent les villes d’une certaine notoriété où il pleut le plus et celles où il pleut le plus souvent.
Localités | Altitudes | Quantités de pluie | Nombre de jours de pluie |
---|---|---|---|
Gérardmer | 685 mètres | 1550 mm | 147 |
Pontarlier | 823 | 1370 | 143 |
Nantua | 484 | 1254 | 136 |
Bayonne | 12 | 1253 | 125 |
Chambéry | 283 | 1210 | 142 |
Bagnères-de-Bigorre | 553 | 1178 | 131 |
Château-Chinon | 540 | 1169 | 142 |
Tulle | 246 | 1120 | 143 |
Besançon | 251 | 1092 | 159 |
Aurillac | 666 | 991 | 135 |
Localités | Altitudes | Nombre de jours de pluie | Quantités de pluie |
---|---|---|---|
Bordeaux | 74 mètres | 205 | 764mm |
Brest | 56 | 189 | 960 |
Clermont-Ferrand | 388 | 169 | 618 |
Pontarlier | 823 | 163 | 1370 |
Le Havre | 89 | 159 | 911 |
Besançon | 251 | 159 | 1092 |
Cherbourg | 20 | 158 | 873 |
Epinal | 333 | 157 | 979 |
Bar-le-Duc | 186 | 156 | 946 |
Gérardmer | 683 | 147 | 1550 |
Ce premier résultat a été déduit d’une statistique comprenant cinquante stations et quinze années d’observations (1880-1894). S’il n’atteint pas l’exactitude que nous obtiendrons plus tard pour notre carte, il doit s’en écarter très peu, car nous avons choisi les cinquante stations utilisées dans les régions qui présentent habituellement des maxima de pluie, tant sous le rapport de la quantité que sous celui de la fréquence.
Nous donnons ci-dessous un second tableau, qui concerne quelques-unes des principales villes de France et qui permet de faire quelques comparaisons intéressantes avec les deux précédents [2] :
Villes | Altitudes | Quantités annuelles de pluie | Nombres annuels de jours de pluie |
Paris | 56 mètres | 481mm | 136 |
Lyon | 175 | 739 | 146 |
Marseille | 74 | 547 | 72 |
Bordeaux | 74 | 764 | 205 |
Toulouse | 194 | 642 | 124 |
Cherbourg | 20 | 873 | 158 |
Besançon | 251 | 1092 | 159 |
Le Havre | 89 | 911 | 159 |
Saint-Etienne | 550 | 741 | 117 |
Brest | 56 | 960 | 189 |
Au premier examen des tableaux on voit que c’est Bordeaux qui compte le plus grand nombre de journées pluvieuses ; Brest vient ensuite, et Clermont-Ferrand en troisième ligne. C’est cependant cette dernière localité qui reçoit le moins d’eau pluviale après Marseille et Paris. Enfin on peut encore constater que Marseille a trois fois moins de jours pluvieux que Bordeaux, et qu’elle est, parmi les villes que nous avons considérées, celle où il pleut le moins et le moins souvent.
Pour terminer, nous ferons remarquer que nous avons volontairement laissé de côté les observatoires installés au sommet des montagnes, à cause de leur situation exceptionnelle, dans des endroits peu habités. Nous ajouterons cependant, pour achever de caractériser d’une manière sommaire la répartition des pluies en France, que les quantités d’eau pluviale, ainsi que les nombres de jours pluvieux enregistrés par ces observatoires, ne dépassent guère les valeurs atteintes dans quelques stations de moyenne altitude. Le sommet du mont Ventoux, qui s’élève à 1900 mètres, a 108 journées pluvieuses qui fournissent 1544 millimètres d’eau. Le Pic-du-Midi, dont l’altitude atteint 2859 mètres, reçoit seulement 1541 millimètres d’eau répartis sur 185 journées. Enfin le Puy de Dôme, dont la cime ne dépasse pas 1465 mètres, est l’observatoire qui subit le plus grand nombre de jours de pluie ou de neige : on en compte 256 qui donnent en moyenne 1586 millimètres d’eau météorique.
Jean-Raymond Plumandon, Météorologiste à l’Observatoire du Puy de Dôme.