A l’occasion des concours de gymnastique et de sports athlétiques, l’administration de l’Exposition de 1900 a nommé une Commission de physiologie et d’ hygiène chargée de suivre ces divers concours et de tirer de cette réunion exceptionnelle des meilleurs athlètes du monde l’enseignement qu’ elle comportait.
La tâche était vaste ; il s’agissait, en effet, de déterminer physiologiquement l’action des divers sports sur les fonctions organiques, la respiration, la circulation du sang, la digestion et enfin sur la santé générale. D’autre part, la Commission devait étudier les divers sports en eux-mêmes, essayer d’en comprendre le mécanisme et de surprendre le secret de la supériorité de certains athlètes
Ces dernières études se prêtent mieux que les autres à un exposé sommaire ; nous allons essayer de le présenter.
Nos lecteurs connaissent déjà la méthode qui a permis d’analyser dans tous leurs détails les actes les plus rapides et les plus complexes des divers exercices du corps : la chronophotographie Chronophotographie La chronophotographie est le terme historique qui désigne une technique photographique qui permet de prendre une succession de vues à intervalle de temps fixé en vue d’étudier le mouvement de l’objet photographié. . Elle donne sur un long ruban qui se déroule une série d’images photographiques instantanées dont le nombre varie de 15 à 50 par seconde et même davantage au besoin, de sorte que toutes les phases d’un mouvement soient parfaitement représentées échelonnées en série sur une longue bande, ces figures sont difficilement comparables entre elles ; il est déjà plus commode de les disposer, comme dans la figure 3, sur trois colonnes parallèles ; on lit la succession des images sur chaque colonne de haut en bas en commençant par celle de gauche.
L’acte représenté est le lancement du poids par l’américain Sheldon , champion du monde pour ce genre de sport. Le poids, uniforme pour tous les concurrents, était un boulet de 7kg.250 et la distance à laquelle, il a été lancé, de 14m,02. La figure 3, réduite aux actes essentiels, montre l’athlète au moment où il prend son élan sur la jambe droite pour faire un saut sur cette jambe. A la fin de ce saut, et au moment où le pied gauche touche le sol, commence la détente du bras droit qui pousse le boulet en haut et en avant en lui imprimant la plus grande vitesse possible.
L’élan que peut prendre le gymnaste est limité par le règlement à un parcours de 2 mètres : à cet effet on a tracé sur le sol un carré de 2 mètres de côté dont il ne doit pas sortir.
Pour apprécier la vitesse des différents mouvements exécutés, il faut introduire dans les images la double représentation du temps et de l’espace. Le temps se mesure au moyen du chronographe visible seulement dans les cinq dernières images. C’est un cadran noir portant des divisions et que parcourt une aiguille blanche, à raison d’un tour par seconde. L’espace angulaire parcouru par l’aiguille, entre deux images consécutives, mesure le temps écoulé.
Un bon moyen de mesurer ces intervalles est de rechercher combien d’images sont contenues en un tour, un demi-tour ou un quart de tour du cadran. Ainsi (fig. 3), pendant la durée des cinq dernières images, l’aiguille a parcouru exactement un quart de son tour ; il y a donc. eu 5 images en un quart de seconde, soit 20 images à la seconde.
Il s’ensuit que, entre deux images consécutives, le déplacement que l’on constate pour un point quelconque du corps s’est fait en un vingtième de seconde ; il en est de même pour le boulet.
Reste à connaitre l’étendue réelle du déplacement constaté ; c’est à cela que sert une échelle métrique placée dans chaque figure. On dispose sur le sol une règle d’un mètre portant des divisions ; cette règle se photographie en même temps que chacune des attitudes de l’athlète ; elle sert d’échelle pour évaluer le chemin parcouru par chacun des points considérés pendant un temps connu. (Dans la figure 3, p. 312, l’échelle métrique n’est pas visible, car il a fallu rogner les images pour les rapprocher les unes des autres, c’est même pour cette raison que le cadran du chronographe a été enlevé, sauf pour les cinq dernières images.)
Nous voici donc pourvus de tous les éléments nécessaires pour mesurer avec précision l’étendue et la vitesse de tous les mouvements de l’athlète. Mais cette mesure n’est pas encore très facile ; il faut, sur des figures agrandies, porter continuellement le compas d’une image à l’autre afin de mesurer le déplacement de chaque point. Une nouvelle simplification s’impose ; voici en quoi elle consiste.
Lorsque les géomètres veulent comparer deux figures ils les superposent entre elles ; aussitôt apparaît la différence de leurs dimensions ou de leurs formes. Nous allons suivre la même méthode.
Projetons (fig. 1), sur une feuille de papier, la première image d’une série, traçons sur ce papier la ligne du sol et marquons-y la place d’un point de repère fixe r : un petit béton fiché dans le sol. Décalquons ensuite les contours du corps et des membres du gymnaste aussi fidèlement que possible. Cela fait, projetons la seconde figure de la série et pour la mettre dans sa position par rapport à la première, déplaçons, s’il le faut, notre papier de façon à faire coïncider la ligne du sol et l’image du point de repère avec la ligne et le point déjà tracés dans le premier calque. Nous verrons que l’image du gymnaste ne se superpose pas aux contours qui expriment sa précédente attitude ; c’est qu’un mouvement s’est produit et que chaque partie du corps a changé de position. Nous fixerons, par un second décalque, cette nouvelle attitude et nous procèderons de même pour toute la série des images.
Il résultera de ces opérations une figure d’ensemble un peu confuse peut-être, mais que l’examen des images séparées de la série permettra d’interpréter facilement. Dans cette épure composite on n’a pas utilisé toutes les images dont on disposait ; la résultante eût été trop touffue. On a éliminé deux images sur trois, ce qui en a réduit le nombre à sept.
Dans les figures 1 et 3, les mêmes actes sont représentés : l’athlète commence par un saut qui imprime au boulet une certaine accélération ; le bras, pendant ce temps, est inactif, puisque le boulet reste constamment appliqué à l’épaule. Ensuite vient s’ajouter à la vitesse acquise une accélération nouvelle qui tient à l’action du bras.
Pour pénétrer plus avant dans l’analyse mécanique de ce sport, pour connaître, par exemple, la force qui pousse le boulet à chaque instant, il faudrait représenter toutes les images de ce projectile (sans pour cela multiplier les figures de l’athlète lui-même, ce qui ne ferait qu’amener de la confusion). Une fois tracées sur le papier les positions successives du boulet, il serait facile d’en déterminer les accélérations et d’en construire la courbe ; celle-ci exprimerait précisément les valeurs de l’effort à chaque instant développé par l’athlète. La même méthode se prète à l’étude de tous les autres sports, courses, sauts, etc., on en va voir encore quelques applications.
Du saut en longueur. - La figure 4 rassemble en un seul tableau une série d’images chronophotographiques disposées sur trois colonnes et dont la succession se lit, cette fois, de droite à gauche et de haut en bas. De, sorte que la première image se trouve en haut et à droite du tableau ; la dernière en bas et à gauche.
Comme dans l’exemple précédent, pour mieux faire suivre dans l’espace tous les mouvements du gymnaste, on a, par des décalques successifs, réuni plusieurs images en une figure unique, véritable à épure à des mouvements (fig. 2) .
Cette fois, grâce à la translation rapide du sauteur, les images avaient moins de tendance à se confondre entre elles par superposition ; il a suffi d’en éliminer une sur deux pour obtenir l’expression claire et saisissante de tous les actes exécutés, actes que nul langage ne pourrait traduire d’une manière aussi précise.
La connaissance de l’étendue et de la vitesse de ces mouvements est aussi parfaite que possible. Le chronographe montre, en effet, que l’intervalle entre les image est de un quatorzième de seconde, tandis que l’échelle métrique assigne à la longueur du saut 4m,69. Les mêmes éléments de mesure font voir que l’espace parcouru par le sauteur en un quatorzième de seconde était de 52 centimètres et, pat conséquent, la vitesse de 7m,28 par seconde.
Si l’on entre davantage dans le détail de la figure 2 on voit qu’un point du corps du sauteur ne parcourt pas le même espace en des temps égaux. La tête, par exemple, se déplace avec des vitesses inégales. Cela tient à ce que les jambes et les bras se déplacent à chaque instant et à ce ’lue la translation uniforme du centre de gravité du corps implique une propulsion de la tête en avant quand les bras se portent en arrière, et inversement.
De La course de haies. - Cet exercice consiste à franchir en courant une piste sur laquelle sont disposées des haies ou barrières espacées entre elles d’un intervalle correspondant à la longueur de trois pas. Le coureur doit franchir cette série d’obstacles sans rompre son allure. Les divers gymnastes emploient des moyens très différents pour effectuer ce genre de course.
Le champion français (dont l’épure n’a pas été représentée) tournait les jambes de côté pour éviter l’obstacle, le pied droit ramené en dedans par une rotation du fémur, la cuisse gauche en abduction et le genou en dehors. Il tenait le buste droit, sa téte s’est élevée de 38 centimètres au moment de il franchit la haie.
M. Kraenslein, américain (fig. 5), élève la jambe droite presque horizontalement étendue et plie le torse en avant, en lançant les bras en arrière ; le menton touche presque le genou. Pendant ce temps, la cuisse gauche est en abduction, le genou fléchi. Au moment oé il franchit l’obstacle, la téte du sauteur ne s’est élevée que de 16 centimètres.
Voilé deux manières d’arriver au même résultat qui sont tout à fait différentes. La première exigeait plus d’efforts de la part de l’athlète qui faisait un saut bien plus élevé, car il élevait plus haut son centre de gravité. La seconde manière implique plus de souplesse des reins et des articulations de la jambe, mais elle exige un effort moindre et peut se soutenir plus longtemps. Les documents recueillis à la Station physiologique et analysés de cette façon permettront de modifier entièrement les méthodes de l’éducation physique et de les établir sur l’étude de la nature elle-même et non sur des théories sans base expérimentale trop souvent contradictoires entre elles.
Dans la plupart des exercices du corps, l’adresse et l’ingéniosité ont souvent plus de part que la force physique ; on en jugera par l’exemple qui va suivre :
Du saut en hauteur. - Dans ce genre de sport, les Américains ont surpassé leurs concurrents des autres nations au moyen d’un artifice que les images chronophotographiques font bien comprendre. Le saut représenté (fig. 6) est, pour ainsi dire, un mouvement sur place ; pour en construire l’épure sans confusion, on a dé dissocier les images en les déplaçant toutes vers la droite d’une quantité constante. L’étendue de ce déplacement s’apprécie d’après l’écartement des images d’un des poteaux fixes qui portent la corde à franchir.
Quand on suit, de gauche à droite, la série des images, on voit que le sauteur aborde l’obstacle par le flanc gauche et s’enlève obliquement ; puis, quand il est arrivé à une hauteur telle que la corde soit un peu au-dessous de ses ischions, il élève la jambe gauche, la passe par-dessus l’obstacle, puis, abaissant cette jambe. élève la droite à son tour, la passe sur la corde et retombe enfin sur ses pieds.
Dans ce même exercice, un Français eût abordé l’obstacle de face ; en sautant il eût tenu ses pieds rassemblés sous lui, à peu prés comme on les voit dans le saut en longueur représenté figure 2. Mais alors, il eût dé élever les ischions à une hauteur telle, qu’entre eux et la corde il y eût eu place pour les pieds. Cela eût constitué un saut en réalité bien plus haut, et exigé un effort bien plus grand.
L’ingénieux procédé employé par les gymnastes américains était assurément légitime, puisqu’il n’était pas interdit par le règlement, peut-être même n’était-il pas prévu. Il n’en est pas moins vrai que la comparaison est bien difficile entre deux athlètes qui emploient des méthodes si différentes pour atteindre le résultat proposé, En pareil cas l’avantage appartiendra non pas au plus fort, mais au plus habile.
Ici encore, la chronophotographie Chronophotographie La chronophotographie est le terme historique qui désigne une technique photographique qui permet de prendre une succession de vues à intervalle de temps fixé en vue d’étudier le mouvement de l’objet photographié. détaille la succession et la vitesse de tous les actes exécutés ; elle permet la comparaison des divers athlètes et de leurs méthodes.
Il entre dans le programme de la Station physiologique de continuer des études comparatives sur les divers sports, et d’accumuler les documents, jusqu’à ce que s’en dégagent les lois naturelles de l’éducation physique.
Parallélement à ces études on analyse aussi les caractères des mouvements dans les travaux professionnels ; on mesure, pour chacun d’eux, l’effort exercé et l’effet obtenu, afin de déterminer la meilleure façon d’utiliser, en les ménageant, les forces musculaires de l’homme.
Étienne.-Jules MAREY, de l’Institut