V. Des phénomènes musculaires.
Messieurs,
Dans la précédente séance, nous avons vu comment l’action nerveuse chemine à travers les nerfs ; nous savons que le muscle, lorsqu’il a déjà reçu l’excitation, reste un certain temps avant de réagir, c’est ce temps d’arrêt que Helmholtz a appelé pause ou temps perdu. Nous allons étudier aujourd’hui les phénomènes qui se passent dans le muscle lui-même.
Voici une patte de grenouille dont le nerf est isolé. Je soumets ce nerf à des excitations variées, courants voltaïques, courants induits, pincement, etc. Dans tous ces cas la patte réagit de la même manière. Au bout d’un temps que nos sens ne peuvent apprécier, mais que vous avez pu mesurer à l’aide des appareils enregistreurs, cette patte donne une convulsion brusque, violente, de très-courte durée. Cette convulsion ne ressemble eu rien aux mouvements prolongés et réglés que l’animal exécutait pendant la vie. C’est qu’en effet ce mouvement diffère notablement de la contraction proprement dite, et je vous ai dit à l’avance [1] que la contraction est constituée. par une série de secousses très-fréquentes qui, fusionnées entre elles, donnent naissance à un raccourcissement plus ou moins prolongé du muscle ; c’est ce qui constitue la contraction proprement dite.
Jusqu’ici, l’auscultation seule a révélé la complexité de la contraction musculaire. J’espère vous prouver, que l’emploi de la méthode graphique permet de pousser, plus loin la connaissance de ce phénomène. C’est au moyen des appareils enregistreurs que je vais essayer de résoudre les questions suivantes :
1° Quels sont les caractères d’une secousse musculaire ?
2° Comment les secousses s’ajoutent-elles les unes aux autres pour produire la contraction ?
3° Quelle est l’influence du nombre des secousses sur l’intensité de la contraction musculaire ?
De la secousse musculaire ; des moyens d’en déterminer graphiquement la forme.
Helmholtz, le premier, a donné des tracés graphiques de la secousse musculaire. La figure 135 est empruntée à ce physiologiste.
Ce graphique représente une secousse unique ; les ondula lions qui accompagnent chacune de ses deux périodes, celle d’ascension et celle de descente, correspondraient à des saccades dans le mouvement par lequel le muscle se raccourcit et se relâche. Ces tracés datent d’une époque déjà reculée ct sont entachés d’erreurs qui me paraissent tenir à la disposition vicieuse de l’appareil. Dans les petites ondulations isochrones entre elles qui viennent se surajouter, pour ainsi dire, au mouvement général, il ne faut voir que les oscillations isochrones que produit un poids suspendu à l’extrémité du muscle. Ce muscle, en effet, est élastique, et comme tel doit nécessairement permettre au poids qui le distend d’osciller d’une façon rythmée.
Du reste, un autre graphique de la secousse musculaire a été donné par Helmholtz lui-même ; il diffère notablement du précédent. Voici ce graphique (fig.136) que j’emprunte au Traité de physiologie de M. Béclard :
On ne voit plus, dans cette seconde figure, les petites oscillations que présentait la première, et cela vient justifier l’idée que j’émettais tout à l’heure, que ces oscillations étaient accidentelles ct produites par la disposition même de l’appareil enregistreur. En comparant les ligures 135 et 136, on voit encore entre elles des différences frappantes. - 1° Au point de vue de la ’durée absolue de la secousse : la première correspond environ à trois cinquièmes de seconde, la seconde à trois dixièmes [2] ; - 2° au point de vue de la durée relative des périodes d’ascension et de descente qui correspondent, la première au raccourcissement du muscle, la deuxième au retour de celui-ci à ses dime ions normales. Or, dans le premier tracé ; l’ascension occupe le quant de la durée totale, .dans le second il en occupe les deux tiers.
Vous verrez tout à l’heure que la secousse musculaire peut présenter des caractères différents, suivant qu’elle est fournie par un muscle frais ou par un muscle fatigué. Mais outre ces conditions physiologiques qui modifient la fonction musculaire elle-môme, le graphique peut-être altéré par une imperfection de l’appareil enregistreur. Aussi, malgré les règles générales que je vous ai déjà données relativement à la construction des appareils, je dois insister de nouveau sur la nécessité d’employer un levier très-léger. En effet, toutes les fois qu’il est animé d’un mouvement très-rapide, le levier présente un danger, celui de déformer le mouvement par sa vitesse acquise. Cet effet n’est à craindre que si le mouvement qu’on enregistre est rapide, mais il croît avec la rapidité même du mouvement communiqué. Or, comme la vitesse acquise est un effet du poids du levier, li faut diminuer ce poids autant que possible pour atténuer le plus qu’on peul celle cause d’erreur. En myographie, plus que dans tout autre cas de l’emploi du graphique, il faut faire des leviers très-légers, de tel !e sorte que le mouvement propre il l’appareil soit infiniment faible et s’éteigne dans les frottements, si minimes qu’ils soient, de la plume sur le papier. Alors les mouvements communiqués à l’instrument par le muscle, beaucoup plus énergiques que les précédents, s’enregistrent seuls et sans erreur sensible.
Disposition des appareils.
Il y a diverses manières de recueillir le mouvement musculaire que l’on veut enregistrer. On sait qu’un muscle qui se contracte ne change pas pour cela de volume et qu’il gagne, précisément en largeur ce qu’il perd en longueur. On peut donc, il volonté, transmettre au levier enregistreur les mouvements produits par les changements de longueur du muscle ou ceux que produit son changement de diamètre dans le sens transversal. Celle dernière méthode rend possible l’expérimentation sur l’animal vivant et même sur l’homme, ce qui étend beaucoup le domaine des éludes myographiques et pourra fournir an clinicien de nouveaux moyens de diagnostic dans les affections de l’appareil musculaire.
En expérimentant sur la grenouille, je me sen irai du myographe que vous connaissez déjà ; celui qui nous a servi à déterminer la vitesse du courant nerveux. Je supprime dans cet appareil [3] le levier contact le et je ne conserve que le levier lm mis en mouvement par le raccourcissement du muscle. Un cylindre tournant autour d’un axe horizontal servira à recevoir le graphique.
Quant au myographe qui permet d’étudier sur le vivant les phénomènes musculaires, voici quelle est sa disposition.
La figure 137 représente cet appareil que j’appellerai pince myographique . Il se compose de deux branches a et b s’articulant au point c, de telle sorte que la branche a puisse basculer autour de cc’ point comme le fléau d’une balance. Deux disques de métal sont placés aux extrémités des deux branches. Chacun de ces disques communique par un fil avec l’un ; des pôles d’une bobine d’induction il glissière comme celle de du Bois-Reymond.Un ressort à boudin rapproche l’une de l’autre les deux branches et en forme une pince qui saisit entre les deux disques de métal le muscle dont on veut enregistrer la contraction. D’autre part, les deux branches de la pince se continuent en arrière de leur articulation c, la branche inférieure porte sur son prolongement un tambour à air T dont la membrane est tournée en haut et reçoit le contact d’une vis de pression v qui traverse le prolongement de la branche supérieure. On conçoit que si le muscle saisi entre les deux mors de la pince reçoit, à travers les disques de métal, une décharge électrique, la secousse du muscle, traduite par un gonflement subit de celui-ci, écartera les mors de la pince et, par un mouvement de bascule, fera presser la vis v sur la membrane du tambour. Ce mouvement communiqué à l’air du tambour se transmet au moyen d’un tube de caoutchouc il un deuxième tambour dont la membrane reproduit à dis tance tous les mouvements du muscle. Un levier de.myographe, mis en mouvement par celle seconde membrane, écrit sur un cylindre la secousse ou la série de secousses produites par le muscle auquel est appliqué la pince myographique.
Dans la figure 137, ce sont les muscles de l’éminence thénar qui sont saisis entre les mors de la pince.
De la forme réelle d’une secousse musculaire.
Malgré toutes les précautions que l’on puisse prendre dans la construction des appareils, il reste toujours dans le tracé une certaine déformation qui tient il plusieurs causes. D’une part, il ce que la pointe du levier, qui s’élève et s’abaisse tour à tour, ne se meut pas suivant une ligne verticale, mais décrit un arc de cercle dont le rayon est donné par la longueur même du levier. D’autre part, le levier est animé d’une vitesse si grande, qu’il entre presque toujours en vibration et trace une ligne légèrement onduleuse au lieu d’une courbe simple qu’il devrait enregistrer sans cet accident. De ces diverses causes résulte, dans le tracé, une légère dé formation qui pourrait facilement se corriger en vertu des considérations suivantes :
La courbe ox étant fournie par une secousse musculaire, il faut d’abord lui faire subir la correction de l’erreur due à l’arc de cercle qui a le levier pour rayon. Soit 0 l’origine de la courbe. Si le cylindre était immobile et que le levier s’élevât jusqu’au niveau du maximum x, il décrirait, non pas la verticale qui part du point o, mais l’arc de cercle qui se détache du même point. Plus le levier s’élèverait, plus il s’écarterait de la verticale pour se porter sur la droite. Or, pendant que le cylindre tourne, le levier décrit toujours le même ure ct déforme le tracé en déviant chaque point de la courbe sur la droite, et cela d’autant plus fortement que le levier s’élève plus haut. On peut diminuer celle cause d’erreur en augmentant la longueur du levier ; mais alors intervient une autre influence fâcheuse, celle des vibrations qui se produisent d’autant plus facilement que le levier est plus long.
Voici comment il faudrait procéder si l’on voulait corriger l’erreur que produit dans ce graphique l’arc de cercle décrit par le levier de l’instrument. En prenant au compas la longueur du levier, et avec cette longueur comme rayon, on trace (fig. 138) un arc de cercle dont le centre serait sur la ligne des abscisses prolongée et qui s’élèverait du point 0, origine de la courbe. Menons parallèlement à la ligne des abscisses autant de droites que nous voudrons ; chacune d’elles coupe à la fois la verticale, l’arc de cercle et la courbe tracée par le muscle ; cette dernière est même coupée en deux points par chaque ligne horizontale. Or, les points coupés par chacune de ces lignes sont tous situés à une même hauteur et auront tous subi une déviation semblable ; il faudra donc les ramener tous vers la gauche d’une même quantité, Celle quantité sera indiquée pour chaque point par la distance qui sépare, il ce même niveau, l’arc de cercle et la verticale. Ainsi les points a’ et ail devront être reportés sur la gauche d’une longueur égale à la distance oa ; les points b’ et b’’, une longueur égale à ob ; le sommet x’, d’une longueur égale à ox. En effectuant ’elle correction pour un grand nombre de points pour la courbe, on obtiendra une courbe nouvelle qui représentera plus fidèlement les mouvements musculaires. - L’influence de l’arc de cercle sur la forme du graphique est d’autant plus prononcée que la translation du papier est plus lente. Il n’est pas nécessaire d’insister plus longuement sur ces phénomènes dont l’évidence est suffisante.
Les effets de la vibration du levier sont plus difficiles à démontrer. Le graphique obtenu par Helmholtz (fig. 135), sans emploi d’un levier, pourrait faire croire que ces ondulations sont bien réellement produites par des variations rythmées dans le raccourcissement du muscle. Je maintiens toutefois mon opinion sur la nature de ces ondulations, et cela pour la raison suivante. D’abord l’intensité de ces ondulations est toujours en raison de la brusquerie avec laquelle le levier est mis en mouvement par le muscle, Dans le graphique de Helmholtz, on voit ces vibrations faibles, au commencement de lu secousse, s’éteindre peu à peu il la manière des oscillations pendulaires. Leur intensité est à son maximum dans les cas où la secousse présente la brusquerie d’un véritable choc, et diminue lorsque le muscle se raccourcit avec plus de lenteur. On en pourra juger par la figure 139, qui montre des secousses de moins en moins brusques et de moins en moins vibrantes en même temps.
Une preuve plus directe peut être tirée de l’expérience suivante. On sait qu’une tige vibrante quelconque possède pour ses vibrations une fréquence déterminée, toujours la même, fréquence qui résulte de la masse de la longueur et de l’élasticité de la tige. Or, si l’on vient à modifier ces conditions en raccourcissant la tige ou en changeant son poids, la fréquence des vibrations changera nécessairement. J’ai pu m’assurer qu’il en était ainsi pour les vibrations que présentent les graphiques musculaires, et qu’on peut, en changeant le poids ou la longueur du levier, obtenir pour un même muscle des graphiques dont les vibrations varient d’amplitude et de fréquence. Il faut donc n’attacher aucune signification à l’existence ou à l’absence de ces petites ondulations du tracé qui se trouvent surtout dans la période d’ascension.
En vous prévenant de ces cames d’erreur dans la production des graphiques musculaires, j’ai voulu, messieurs, pousser aussi loin que possible la rigueur et la précision, mais je me hâte de vous dire que l’influence-de ces causes d’erreur est très-minime, et qu’en pratique on peut les négliger sans inconvénient, ainsi que vous le ’errez bientôt.
Des conditions qui modifient la forme de la secousse musculaire.
Enregistrées au moment où le muscle est fraichement préparé, les secousses présentent une grande brièveté, Elles prennent une durée de plus en plus grande à mesure que le muscle se fatigue par des secousses successives. L’expérience suivante va vous montrer la transition graduelle d’une forme à une autre pour une succession de secousses. Je vais recueillir sur un même cylindre les graphiques d’une centaine de secousses musculaires provoquées à intervalles réguliers et commençant toutes à un même moment de la rotation du cylindre. Vous voyez la disposition de l’expérience. Le cylindre qui reçoit le tracé tourne autour d’un axe horizontal. Son diamètre est de 14 centimètres, sa vitesse de rotation est indiquée par les ondulations que trace un diapason de 100 vibrations doubles par seconde. (Le cylindre fait un tour en une seconde et demie.) A côté du cylindre et dans un plan parallèle à son axe est un petit chemin de fer qui porte sur un chariot une tige verticale. C’est sur cette tige qu’est placé Ir. myographe dont le levier,’ horizontalement dirigé, vient reposer par S1l pointe Sur la surface enfumée du cylindre. Or, pendant que le cylindre tourne, le chariot s’avance et, avec lui, le levier du myographe qu’il porte. De la combinaison du mouvement circulaire du cylindre et du mouvement rectiligne du chariot résulte une hélice dont le pas est d’autant plus serré pour une même vitesse de rotation .du cylindre que le chariot se meut plus lentement.
Un excentrique est disposé sur l’un des fonds du cylindre, de ’telle sorte qu’à chaque tour un courant électrique se produira et se rompra. De là deux excitations élastiques transmises au muscle à chaque tour du cylindre. Chaque mouvement imprimé par le muscle au levier enregistreur viendra interrompre la régularité Ide l’hélice en produisant le graphique d’une secousse ; et comme ces secousses sont produites à un même moment de la rotation du cylindre, elles commencent toutes verticalement les unes au-dessus des autres.
Si j’étale sur un plan (fig.139) le graphique que je viens d’obtenir, nous y voyons deux séries verticales de secousses musculaires : l’une en 0 correspond aux excitations produites par les courants induits d’ouverture, et l’autre en C représente les secousses provoquées par les courants induits de clôture. Ces deux séries se ressemblent entre elles d’une manière par faite.
La ligne tracée au bas de la figure pal’ un diapason de 100 vibrations doubles permet d’apprécier la durée absolue de chacune des secousses. Enfin vous savez que ces graphiques ayant pour abcisses les tours d’une hélice ascendante, c’est en bas de la figure que se trouvent les secousses fournies par le muscle frais, tandis qu’en haut elles correspondent à un certain degré d’épuisement du muscle.
On peut tirer de l’examen de ces graphiques les conclusions suivantes. Sous l’influence de la fatigue, trois modifications surviennent dans le graphique.
1° La durée des secousses augmente ;
2° La période d’ascension (raccourcissement du muscle) s’allonge notablement ;
3° L’amplitude de la secousse s’accroit également. (Mais cet accroissement n’est que passager. Si j’avais continué l’expérience plus longtemps, vous eussiez vu celle amplitude décroître et la secousse s’éteindre peu il peu, perdant graduellement de son intensité tout en continuant à augmenter en durée.)
Pour justifier l’ex pression de fatigue musculaire que j’ai employée tout à l’heure, et pour prouver que ce n’est pas à l’altération du nerf par les excitations successives qu’est due la modification qu’éprouve la secousse, je vais agir sur le muscle lui-même. Pour cela j’applique la pince myographique sur les muscles de la cuisse d’un lapin qui vient d’être tué, et j’obtiens le graphique représenté figure 140.
C’est toujours de bas en haut que se lisent les graphiques successifs, du commencement et de la fin de l’expérience. On voit très-bien ici les changements produits par la fatigue et l’extinction graduelle de la secousse musculaire. - Le courant induit de rupture produit seul une secousse dans le muscle.
Mais, pendant la vie, ces phénomènes d’épuisement ne se produisent pas ; ils sont en tout cas bien moins énergiques. La pince myographique, appliquée sur moi aux muscles de l’éminence thénar, fournit un graphique régulier et dans lequel les secousses sont très-peu modifiées par la fatigue, ce qui tient à ce que, pendant la vie, il se fait une réparation continuelle.
Plusieurs influences modifient la forme du graphique de la secousse musculaire : ainsi, lorsque l’épuisement du muscle a amené la modification caractéristique qui a été signalée plus haut, il suffit de soumettre ce muscle à une température plus élevée pour obtenir, pendant quelques Instants ; le graphique du muscle non épuisé.
MAREY.