Les grandes variétés de conformation qu’on observe dans les animaux aquatiques font présumer que des variétés correspondantes doivent exister dans leur genre de locomotion. Une des premières applications de la photographie à l’analyse des mouvements des animaux fut faite à la Station physiologique, sur la natation de l’anguille. Nous avons constaté que le corps tout entier de l’animal participe à la propulsion, au moyen d’une ondulation horizontale qui co mmence à la tête et fini t à la queue.
En possession , aujourd’hui, d’appareils plus perfectionnés et d’animaux marins vivants ( [1]), nous avons essayé d’étudier un autre genre de mouvement ondulatoire, celui des nageoires latérales de 1a raie. Ici l’ondulation porte sur les deux nageoires à peu près symétriquement ; en outre, elle se fait dans le sens vertical, c’est-à-dire que chaque point du bord des nageoires s’élève et s’abaisse tour à tour. L’observation directe ne nous ayant pas paru capable de donner à cet égard des renseignements plus complets, nous avons recouru à la chronophotographie Chronophotographie La chronophotographie est le terme historique qui désigne une technique photographique qui permet de prendre une succession de vues à intervalle de temps fixé en vue d’étudier le mouvement de l’objet photographié. . Pour bien suivre les phases du phénomène, il fallait maintenir l’animal devant l’objectif, tout en lui laissant le libre mouvement des nageoires. A cet effet, une bande de fer plat (fig. 1) fut, à ses deux extrémités, tordue et coudée à angle droit. Entre ces deux pièces verticales, deux fils d’acier fortement tendus servirent de points d’appui aux organes fixateurs. Ceux-ci étaient portés par des tubes métalliques réunis par des entretoises et glissant à volonté le long des fils d’acier, pour s’adapter à des poissons de tailles différentes. La tête de la raie fut maintenue entre les mors d’une pince plate, tandis que la base de la queue, couchée dans une gouttière de métal, y fut assurée par une ligature. Ainsi maintenue par ses deux extrémités et soutenue par le fil d’acier sur lequel reposait sa face ventrale, la raie fut immergée dans un aquarium a deux parois de glaces ; elle se détachait sur le champ lumineux de l’horizon. L’animal resta longtemps immobile ; enfin , excité au moyen d’une baguette, il se mit a agiter ses nageoires d’un mouvement régulier qui, pour chaque excitation, se prolongeait pendant des minutes entières. L’animal fut orienté de différentes manières dans l’aquarium : tantôt il était vu de côté, tantôt de face. Les deux séries d’images ainsi obtenues, avec une fréquence de dix par seconde, ont été réunies dans les figures 2 et 3. On n’y a pas représenté les pièces qui servaient à la contention de l’animal. Dans chacune des deux séries la succession des images se lit de bas en haut.
Vu de côté, le mouvement présente les caractères suivants : L’onde naît en avant par un soulèvement du bord de la nageoire, mais bientôt les parties qui se sont élevées les premières s’abaissent, tandis que le soulèvement se propage vers l’arrière en augmentant d’amplitude. Lorsque l’onde a franchi la partie moyenne du corps, elle diminue rapidement et s’évanouit à l’arrière de la nageoire, de chaque côté de la base de la queue. Avant que cette première onde ait disparu, il s’en forme une nouvelle par un nouveau soulèvement du bord antérieur de la nageoire. Ces ondes successives marchent toutes de la même façon de l’avant à l’arrière. Enfin, autant qu’on en peut juger par le modelé des images, les parties soulevées de la nageoire paraissent convexes en dehors, en bas et en arrière .
Cette première série d’images (fig. 2) montre toutes les phases de la propagation d.’une onde, et, comme la neuvième image est identique à la première, il s’ensuit que le mouvement complet est contenu dans huit images et que sa durée a été de 8/10 de seconde. Vu sous un seul aspect, ce mouvement est assez difficile à comprendre, mais il va s ’éclairer par la seconde série d’images où la raie est vue par l’avant.
Sur cette nouvelle série (fig. 3) , six images représentent le cycle complet du mouvement, c’est-à-dire que la septième image est identique à la première. Le parcours de l’onde s’est fait en 6/10 de seconde ; il était donc un peu plus rapide que dans le cas précédent.
La première chose qui nous ait frappé en voyant ces images, c’est leur extrême ressemblance avec celles que donne la chronophotographie Chronophotographie La chronophotographie est le terme historique qui désigne une technique photographique qui permet de prendre une succession de vues à intervalle de temps fixé en vue d’étudier le mouvement de l’objet photographié. appliquée au vol des oiseaux. Dans leur abaissement extrême, les ailes offrent l’aspect d’une demi-circonférence dont le corps occupe la partie moyenne ( [2]). De même, le corps de la raie, dans la sixième image, occupe le sommet de la courbe formée par les deux nageoires abaissées. Quand l’aile de l’oiseau, arrivée au sommet de sa course, commence à s.abaisser, son bord postérieur, formé de plumes flexibles, est soutenu par la résistance de l’air ; il se courbe alors et donne à la surface de l’aile une torsion très prononcée ( [3]). Sur la raie, dès la troisième image de la figure 3,l’abaissement de la nageoire commence et se traduit par un gauchissement de sa portion la plus flexible qui est à l’arrière, de sorte que le bord postérieur de la nageoire est relevé comme celui de l’aile de l’oiseau. Cette torsion se prononce de plus en plus dans les quatrième et cinquième images ; elle disparaît à la fin de l’abaissement, ce qui s’observe aussi dans le coup d’aile de l’oiseau. Si maintenant on revient à la figure 2, on s’explique mieux la propagation de l’onde et l’on saisit mieux, d’après le changement du diamètre vertical apparent de la raie, les élévations et abaissements de ses nageoires. On comprend que, dans la propagation de l’onde en arrière, une partie de la nageoire est passive, et que c’est la résistance de l’eau qui la soutient. Cette analogie entre la natation et le vol était, du reste, naturelle : dans ces deux genres de locomotion, en effet, les organes propulseurs agissent sur un fluide ; de part et d’autre, la propulsion s’obtient par l’action d’une surface flexible qui s’incline obliquement par rapport à la direction de son mouvement. Il est même probable que ces deux genres de locomotion s’éclaireront l’un par l’autre : il semble, en effet, que la forte inclinaison que prend, à la fin de l’onde, la partie postérieure de la nageoire, justifie les idées émises par M. Goupil sur le rôle de la courbure des derniers éléments de la surface de l’aile dans Je mécanisme du vol.
Pour le zoologiste, cette comparaison pourra jeter quelque lumière sur les conditions de l’adaptation du membre antérieur à la locomotion dans les fluides. Ces recherches doivent être poursuivies dans des conditions variées, qu’une installation insuffisante ne nous a pas encore permis de réaliser. Il faudra reprendre les images chronophotographiques de la raie nageant en liberté, afin de déterminer, comme nous l’avons fait pour l ’anguille , le rapport de la vitesse de l’onde le long du corps de l’animal avec celle de la progression du poisson.
Enfin, pour apprécier, au point de vue mécanique, l’action de ce propulseur, on devra déterminer les mouvements imprimés par le poisson à l’eau dans laquelle il nage, c’est-à-dire la direction et la forme des courants et remous que produit l’action des nageoires.
Étienne.-Jules. MAREY, de l’Institut