Nouvelles applications de la chronophotographie Chronophotographie La chronophotographie est le terme historique qui désigne une technique photographique qui permet de prendre une succession de vues à intervalle de temps fixé en vue d’étudier le mouvement de l’objet photographié.
L’intérêt principal de l’étude des êtres organisés est de rechercher le lien qui existe entre la conformation spéciale de chaque espèce et les caractères de ses fonctions. L’union de plus en plus intime de l’anatomie et de la physiologie comparée fera sans doute découvrir les lois fondamentales de la morphogénie, lois qui permettront, d’après la forme d’un organe, de prévoir les particularités de sa fonction. Ces relations commencent t à être saisissables pour l’appareil locomoteur des vertébrés. Le volume et la longueur des muscles, les dimensions relatives des rayons osseux des membres, .la forme et l’étendue des surfaces articulaires permettent de prévoir quelles sont les allures d’un mammifère. Et, d’autre part, on peut contrôler l’exactitude de ces prévisions au moyen de la chronophotographie Chronophotographie La chronophotographie est le terme historique qui désigne une technique photographique qui permet de prendre une succession de vues à intervalle de temps fixé en vue d’étudier le mouvement de l’objet photographié. qui fixe en une série d’images instantanées les caractères de ces mouvements.
Les lecteurs de ce journal savent déjà comment les allures de l’homme, du cheval et des principaux mammifères se traduisent par de véritables épures géométriques sur lesquelles on lit aisément les mouvements angulaires des différents segments des membres et la vitesse de chaque point du corps, à tout instant, et pour chacune des allures ( [1]).
Les différents types du vol des oiseaux et des in-sectes ont été également étudiés par la chronophotographie Chronophotographie La chronophotographie est le terme historique qui désigne une technique photographique qui permet de prendre une succession de vues à intervalle de temps fixé en vue d’étudier le mouvement de l’objet photographié. . Cette méthode peut s’étendre à l’analyse de la locomotion de tous les êtres vivants ; même de ceux qui s’agitent dans le champ du microscope. Il sera donc possible de réunir et de classer dans des atlas iconographiques la série des types de la locomotion animale. Ces types, rapprochés des descriptions anatomiques des diverses espèces, fourniront les éléments nécessaires à la comparaison que nous désirons faire.
Ce sera une entreprise de longue haleine que de rassembler tous ces documents anatomiques et physiologiques et d’en effectuer le rapprochement. La difficulté principale, au point de vue d’une étude de différents types de locomotion, n’est pas de se procurer à l’état vivant un grand nombre d’espèces animales, mais c’est de trouver les procédés convenables pour photographier chacune d’elles avec ses allures normales.
La plupart des animaux domestiques se prêtent fort bien à ces études ; on les conduit aisément sur une piste préparée d’avance et qu’ils parcourent régulièrement. Pour les oiseaux non apprivoisés, la difficulté est plus grande ; nous avons cependant réussi à obtenir différents types du vol ramé ( [2]).
Les poissons, les reptiles, les mollusques, les insectes sont d’un maniement plus difficile ; il faut, pour chaque espèce, trouver une disposition particulière qui l’oblige à cheminer régulièrement devant l’objectif photographique. On doit en outre, suivant le cas, varier les conditions de l’éclairage de façon que l’animal tantôt se détache en silhouette sur un fond clair, et tantôt apparaisse lumineux sur un fond obscur. J’ai réussi toutefois à obtenir de bonnes images sur un assez grand nombre d’espèces variées, ainsi qu’on en peut juger par les images ci-contre. On voit dans cette série d’images certaines analogies dans le mode de progression des espèces qui se rapprochent par leurs caractères anatomiques. Ainsi la couleuvre et l’anguille cheminent toutes deux par des ondulations horizontales qui parcourent toute la longueur du corps en allant de la tète à la queue (fig. 1 et 2). L’analogie serait encore plus grande si l’anguille et le serpent nageaient tous deux dans l’eau ou rampaient tous deux sur le sol. En effet, c’est la résistance du milieu, autrement dit la nature du point d’appui, qui règle les mouvements de la reptation. Dans l’eau les ondulations sont plus régulières et plus efficaces ; leur amplitude est moindre, et la vitesse rétrograde des ondes est très peu inférieure à la vitesse de progression, de l’animal. Sur un sol. plat, et plus encore sur une surface glissante, le serpent et l’anguille ont des ondulations très étendues et progressent très peu.
Chez les insectes, coléoptères et orthoptères (fig. 3 et 4), la locomotion est bien celle qui a été décrite par les naturalistes : Carlet et M. de Moore ont montré que les insectes reposent sur trois pattes pendant que les trois autres se meuvent. Les pattes à l’appui forment une base trianulaire formée de la première et de la troisième patte d’un côté et de la patte moyenne du côté opposé.
Chez les arachnides il y a de chaque côté deux pattes à l’appui et deux au levé. Mais chez l’araignée et le scorpion que nous avons pris pour types (fig. 5 et 6), la marche est si rapide qu’on ne peut aisément suivre l’ordre de succession des mouvements, et pour tant le nombre des images recueillies était de près de soixante par seconde. Il faudra donc accroître encore le nombre de ces images et surtout recourir aux conditions d’éclairage que nous avons adoptées pour l’étude de l’araignée. Cela consiste à éclairer l’animal par-dessus et par-dessous, de manière que, tout en se détachant en silhouette, l’animal projette son ombre sur la piste qu’il parcourt. Cette ombre renseignera beaucoup sur la position des pattes ; en effet, quand celles-ci se posent sur le sol, l’image et l’ombre des pattes se touchent par leurs extrémités.
Un des points les plus intéressants de ces comparaisons physiologiques est de voir comment à des analogies anatomiques chez des animaux différents correspondent des analogies fonctionnelles.
Chez les poissons, par exemple, on retrouve à des degrés divers l’ondulation reptilienne qui, pour l’anguille, est le seul mode de progression. Mais cette ondulation perd beaucoup de son importance. Très visible encore sur le chien de mer (fig. 7), elle ne se retrouve plus que dans la queue chez les poissons dont le corps, plus trapu, a perdu en grande partie sa flexibilité, mais alors la queue élargie agit plus efficacement, car elle trouve dans l’eau une grande résistance.
Les batraciens, aux différentes phases de leur développement, ont des modes de progression en rapport avec l’état de leurs organes. Un têtard de crapaud chez lequel les pattes sont encore insuffisamment développées (fig. 8, ligne supérieure) nage avec la queue à la manière des poissons. Plus tard (ligne inférieure) les pattes commencent à servir à la progression, mais la queue garde encore son action impulsive et frétille continuellement, tandis que les pattes procèdent par détentes successives. Plus tard encore (ligne moyenne) la queue a disparu et les pattes d’arrière servent seules à la progression.
Ce rôle des membres postérieurs, qui présente de si grandes analogies avec le mode de natation de l’homme, s’effectue de la manière suivante ( [3]).
L’animal fléchit ses jambes et les ramène forte-ment contre son corps, puis les écarte largement, de façon que les deux pattes, transversalement dirigées, forment un angle droit avec l’axe du corps. A ce moment les pattes allongées se rapprochent vivement l’une de l’autre ; c’est le temps impulsif, après lequel les pattes se fléchissent graduellement et se rapprochent du corps et la série des mouvements recommence.
Les lézards (fig. 9) qui se rapprochent anatomiquement des serpents gardent aussi dans leur progression quelque chose du mouvement ondula toire que nous avons représenté plus haut. Mais cette ondulation se complique de l’action des membres dont 1’efficacité est prédominante dans leur reptation. Sur le Gecko (fig. 10) l’ondulation du corps est très visible ; elle ne l’est presque plus sur le lézard gris. Chez ces deux espèces, il serait impossible à l’œil de suivre la succession des appuis des pattes et de la comparer à celle des vertébrés quadrupèdes. Mais on reconnaît aisément sur les images chronophotographiques qu’au point de vue de l’ordre de succession des mouvements des quatre membres les lézards sont des animaux trotteurs. Leurs membres, en effet, se meuvent en diagonale, c’est-à-dire que la patte antérieure droite agit en même temps que la postérieure gauche.
L’ondulation du corps se combine avec le mouvement des pattes, de telle sorte que les pattes sont très voisines l’une de l’autre du côté de la concavité de l’onde, et, très éloignées du côté de la convexité. Cela implique une concordance absolue entre le nombre des ondulations du corps et celui du pas de l’animal. On voit, par les exemples qui viennent d’être cités, que la chronophotographie Chronophotographie La chronophotographie est le terme historique qui désigne une technique photographique qui permet de prendre une succession de vues à intervalle de temps fixé en vue d’étudier le mouvement de l’objet photographié. donne au sujet de la locomotion animale de renseignements que ne saurait fournir l’observation la plus attentive ; et que grâce à cette méthode on pourra,comme nous le disions tout à l’heure,comparer chez les différentes espèces animales, la conformation anatomique et les caractères fonctionnels.
Étienne.-Jules MAREY, de l’Institut