La Nouvelle-Zélande, découverte par Tasman, en 1642, et retrouvée par Cook, en 1769, demeura jusqu’au commencement de ce siècle une terra incognita ; ce n’est, en effet, qu’en 1824 que des missionnaires wesleyens parvinrent à y fonder quelques établissements, grâce à la conversion d’un certain nombre d’indigènes. Mais à partir de cette époque, l’influence européenne grandit rapidement, des villes s’élevèrent, des ports s’ouvrirent à un commerce actif, des sociétés scientifiques et littéraires se fondèrent, et la Nouvelle-Zélande, que beaucoup de Français considèrent peut-être encore comme un groupe d’iles à demi-sauvages, est aujourd’hui un centre de civilisation très avancé ; c’est pour ainsi dire un coin de l’Angleterre transporté aux antipodes ; les journaux et les revues y abondent, et périodiquement les transactions de l’Institut de la Nouvelle-Zélande, créé en 1867 à Wellington-City, ou de l’Institut philosophique, dont le siège est à Canterbury, nous apportent des renseignements précieux sur l’ancienne population des Maoris, ou sur les plantes et les animaux de ces contrées lointaines. La faune ornithologique qui présente encore, malgré les pertes qu’elle a éprouvées, un cachet tout particulier, attire spécialement l’attention des naturalistes de ce pays, et M. Th. H. Potts, d’Ohinitahi, a récemment publié sur les changements qu’elle subit chaque jour une notice fort intéressante dont un extrait a paru dans The Field [1].
En effet, sans revenir ici sur les Moas ou Dinornis, dont les derniers individus sont tombés sans doute sous les coups des premiers habitants de la Nouvelle-Zélande, sans parler des Mohos ou Notornis, que M. Mantell avait déjà trouvés à l’état fossile et dont un spécimen vivant a été capturé dernièrement par des pêcheurs, près de l’Ile de la Résolution, il y a à la Nouvelle-Zélande plusieurs types ornithologiques en voie d’extinction : tels sont les Apteryx dont le nombre a bien diminué depuis quelques années, les Coturnix (C. novœ Zelandiœ), sortes de petites cailles qui étaient les seuls représentants autochtones de l’ordre des gallinacés, et dont une paire, la dernière peut-être, vient d’être payée quinze cents francs, les Anarhynchus (Anarhynchus frontalis), petits échassiers qui se font remarquer par la courbure latérale de leur bec, les Thinornis (Th. Novœ-Zélandiœ), autres oiseaux du même groupe, de la taille de nos petits Pluviers à collier, enfin les Strigops, ces perroquets singuliers, au plumage duveteux, aux ailes courtes, aux yeux entourés d’un cercle de plumes décomposées, qui parleur aspect extérieur et par leurs habitudes nocturnes, rappellent un peu les oiseaux de la famille des Chouettes. Il est vrai que pour combler ces vides dans la faune locale, on a fait venir à grands frais du continent australien ou même de l’Ancien et du Nouveau-Monde, un grand nombre d’espèces utiles ou d’agrément ; mais ces essais d’acclimatation n’ont pas toujours été couronnés de succès, parce que les oiseaux étrangers n’étaient pas suffisamment soignés sur les bâtiments chargés de les transporter, qu’ils avaient eu à supporter une trop longue traversée, ou qu’ils ne trouvaient pas à leur arrivée, les aliments auxquels ils étaient habitués dans la mère patrie. Quelques espèces cependant ont prospéré et sont venues changer le caractère primitif de la faune. Ainsi les Cailles indigènes sont remplacées maintenant par la Caille de Californie (Ortyx califorrnicus), qui s’est étonnamment multipliée, ou par d’autres Gallinacées, comme la Perdrix grise, le Faisan commun et le Faisan de Chine (Phasianus torquatus) ; les Étourneaux explorent en troupes les terres cultivées ; les Pinsons fréquentent les jardins, et, dans les rues de Kaiapoi et de Christchurch, les moineaux se montrent aussi tapageurs, aussi insolents qu’en Angleterre ; ils nichent d’ordinaire soit dans les gouttières, soit dans les fourrés d’Eucalyptus, tandis que la Fauvette d’hiver, ou Traîne-buisson, cache ses œufs d’un bleu verdâtre, dans les haies qui bordent les vergers.
Une paire de Verdiers, ayant été lâchée au mois d’octobre 1865, donna naissance en un an à plus de vingt individus, et ces oiseaux sont aujourd’hui si nombreux qu’on entend de tous côtés leurs cris d’appel. Le chant joyeux de l’Alouette réjouit le voyageur qui va de Nelson à Christchurch, la voix rauque des Corneilles lui rappelle le temps où, tout enfant, il parcourait les sombres allées qui conduisaient à la cure ou au manoir, et la vue des Merles et des Grives qui peuplent les pâturages des monts Cheviot lui fait oublier un instant l’énorme distance qui le sépare de sa patrie. De temps en temps des bandes de Cygnes noirs traversent les airs et, s’abattant sur les canaux, les débarrassent du cresson de fontaine qui tend sans cesse à les obstruer ; ces oiseaux qui rendent ainsi des services signalés à l’agriculture, se sont multipliés avec une étonnante rapidité. Du reste la plupart des Palmipèdes qu’on a introduits à la Nouvelle-Zélande y ont fort bien réussi, et l’on ne saurait trop encourager les colons à faire venir des pays voisins, et particulièrement de l’Australie, quelques représentants du groupe des Canards, qui fourniraient eu peu de temps de précieuses ressources à l’alimentation. On pourrait également tenter de propager quelques belles espèces de Faisans et de Tétras, et essayer de substituer à la petite Caille qui vient de disparaître une espèce très voisine, le Coturnix perlé d’Australie,
Après avoir jeté, avec M. Potts, un coup d’œil rapide sur les récentes acquisitions de la faune néo-ozélandaise, il ne serait pas moins intéressant de passer en revue les espèces indigènes, auxquelles M. Buller vient de consacrer un fort bel ouvrage, illustré d’un grand nombre de planches ; mais cet examen nous entraînerait beaucoup trop loin ; nous nous contenterons donc d’appeler l’attention sur les mœurs de certaines espèces, mœurs qui, dans plusieurs cas, ont été sensiblement modifiées par les prorgrès de la colonisation. Les Faucons [2] sont devenus si hardis qu’ils poursuivent leur proie jusque dans les habitations, ils ne se contentent plus de donner la chasse aux Aigrettes et aux Cormorans, mais ils attaquent les Poules et les Pigeons, et le docteur Haast raconte que se promenant un jour à la lisière d’une forêt, il eut son chapeau renversé par un de ces oiseaux et qu’il eut beaucoup de peine à se défendre avec sa canne contre une nouvelle agression. Aussi les colons ont-ils déclaré une guerre acharnée à ces rapaces, dont le nombre a considérablement diminué dans ces dernières années. En revanche l’espèce de Chouette [3] appelée vulgairement more-perk à cause de son grognement particulier, loin de mériter l’animosité qu’on lui témoigne dans certains provinces, a droit à tous les égards, car elle se nourrit principalement de souris cet d’autres petits rougeurs, comme il est facile de s’en assurer par l’inspection des pelotes qu’elle rejette. Les Strigops que les naturels du pays nomment Kakapo, et qui établissent, comme nous l’avons dit, sous le rapport des habitudes nocturnes, une sorte de transition entre les rapaces nocturnes et les Perroquets, ont, de même que ces derniers, un régime exclusivement végétal et viennent ramasser les fruits du Coriaria sarmentosa ; les Nestors sortent un peu plus tôt de leurs retraites et se montrent plus vifs, plus sociables et surtout pl us bruyants que les Strigops ; leurs cris sauvages retentissent alors que la forêt est encore plongée dans l’ombre, ou parfois pendant le jour quand un des leurs a été blessé ; mais d’ordinaire, c’est vers le soir qu’on les voit grimper, en s’aidant de leurs mandibules puissantes, le long des sarments de vigne pour saisir les larves et les petits insectes, ou aller sucer le nectar dans les fleurs rouges du Rata (Metrosideros robusta) ou se gorger. des fruits succulents qui couvrent les arbustes en automne.
A mesure que la culture s’étend, les Martins-Pêcheurs [4] augmentent en nombre ; ils suivent pour ainsi dire la marche des défrichements, et on en trouve maintenant à plus de 60 milles dans l’intérieur du pays ; ils détruisent un nombre considérable d’insectes et de lézards, et prennent même des souris ; aussi est-ce bien à tort que, à Nanganui, la Société d’acclimatation a prêché contre eux une véritable croisade, sous prétexte qu’ils avaient détruit les jeunes de quelques couples du Moineau domestique, introduits à grands frais dans la colonie. Les Zosterops que les Anglais nomment Blind Birds (oiseaux aveugles), à cause des petites plumes blanches qui dessinent autour de leurs yeux des sortes de besicles, ne rendent pas moins de services en explorant les arbres fruitiers, et en cherchant dans le feuillage les insectes qui gâtent. les pèches et les prunes succulentes ; les petits Roitelets, nullement effrayés par le bruit de la cognée, s’approchent des bûcherons, s’introduisent dans les chaumières, pénètrent dans les étables à porcs, et quelquefois, hélas ! se noyent dans l’auge en voulant saisir quelques fragments de nourriture. La Fauvette grise (Gerygone) s’est établie désormais dans les jardins, et substitue avec avantage, dans la construction de son nid les brins de laine et de coton aux mousses, aux lichens et aux toiles d’araignée ; elle cache cette fragile demeure dans les haies de genêts et d’ajoncs ou le suspend aux rameaux odorants des Eucalyptus ; c’est là qu’elle élève, avec sa propre couvée, les jeunes que les Coucous sont venus subrepticement confier à ses soins. Les mésanges suivent le laboureur et s’emparent des insectes découverts par la charrue, et les Gobe-Mouches viennent chercher jusque dans les maisons les mouches qui ont été introduites avec des bestiaux amenés d’Australie. Le Pukeko ou Porphyrion et le Canard de paradis ou Casarca s’approchent des fermes où ils trouvent des graines et de l’herbe tendre, et les Mouettes quittant le voisinage de la mer, voltigent autour des boucheries et des hangars où sèchent les viandes destinées à l’exportation. Leurs clameurs se mêlent aux cris des Pétrels, qui, lorsque le vent souffle du sud-est et couvre les côtes orientales d’un épais manteau de brouillard, abandonnent le rivage et pénètrent dans les défilés des montagnes. C’est là que résonne aussi le chant métallique du Bell Bird ou oiseau-cloche [5], qu’interrompt parfois le cri sauvage du Weka ou Ocydrome, et M. Potts a cru remarquer qu’il y a une certaine relation entre le timbre de la voix de ces différents oiseaux et la nature du pays qu’ils habitent, les individus qui se tiennent dans les montagnes ayant en général un chant plus pur et plus sonore que ceux qui vivent dans la plaine. Nous aurons l’occasion sans doute de revenir sur le Bell Bird de la Nouvelle-Zélande, espèce qu’il ne faut pas confondre avec le Bell Bird de l’Amérique du Sud, le premier étant un Melliphage, et le second se plaçant à côté des Cotingas ; quant aux Ocydromes dont les naturalistes distinguent maintenant trois espèces, confinées chacune dans une région particulière de la Nouvelle-Zélande, ce sont des sortes de Râles, ayant comme la plupart des représentants de cette famille un plumage assez terne, varié de brun et de gris, mais offrant, dans leurs organes de vol, un caractère d’imperfection que l’on rencontre chez plusieurs oiseaux de la Nouvelle-Zélande, L’espèce que nous figurons ici et qui est la plus anciennement connue a reçu le nom de Ocydromus australis ; elle est à peu près de la taille d’une poule. On la trouve assez communément dans les environs de Canterbury, et les cens de la campagne la connaissent fort bien à cause de ses habitudes de rapine. Ces oiseaux ont en effet l’instinct du vol presque aussi développé que les Pies de nos pays ; ils dérobent dans les fermes, des cuillers, des boîtes d’allumettes, et jusqu’à des pipes en écume de mer ; ils cachent si bien leurs larcins que le propriétaire ne parvient presque jamais à retrouver les objets volés. Ils détruisent beaucoup d’œufs de volailles, et tuent à coup de bec les jeunes poulets ; il parait même qu’ils ne craignent pas de s’attaquer aux personnes qui viennent les troubler dans leurs retraites, et Lady Barker, dans son livre sur la Nouvelle-Zélande, raconte qu’étant un jour assise dans une forêt, elle fut assez grièvement blessée au bras par un Ocydrome. Aussi les colons qui ont déclaré à ces oiseaux une guerre acharnée sont-ils parfaitement dans leur droit ; et il n’y aurait rien à dire si leur rage de destruction ne s’étendait qu’à ces espèces plutôt nuisibles qu’utiles ; malheureusement on chasse avec la même fureur une quantité d’espèces parfaitement inoffensives, et par une singulière inconséquence, tandis qu’on s’efforce d’introduire à grands frais à la Nouvelle-Zélande des formes exotiques qui auront sans doute beaucoup de peine à s’acclimater, on anéantit sans pitié les oiseaux indigènes, les Cailles, les Pluviers, les Oiseaux-Cloches et les Aptéryx ! Aussi, comprend-on que M. Potts pousse un cri d’alarme et conjure l’Institut de Canterbury de prendre en main la cause de ces espèces persécutées, et d’agir auprès du gouvernement et auprès des populations pour arrêter enfin cette œuvre de destruction. Espérons que son appel sera entendu et que sa voix aura de l’écho jusqu’en Europe ; car chez nous, comme à la Nouvelle-Zélande, on voit sacrifier, avec une suprême insouciance, les ressources certaines qu’offre la faune indigène, et chercher au dehors des formes beaucoup moins bien appropriées à notre climat et à notre sol.
E. Oustalet