En parlant des espèces qui ont été contemporaines de l’homme et qui se sont éteintes à une époque relativement récente, nous avons tait allusion plusieurs fois aux Moas ou Dinornis de la Nouvelle-Zélande, oiseaux de grande taille appartenant à cette famille ou plutôt à cet ordre des Brévipennes qui comptait jadis un grand nombre d’espèces et qui n’est plus représenté de nos jours que par les Autruches, les Nandous, les Casoars, les Dromées et les Aptéryx. C’est le professeur Owen qui, le premier, reconnut, en 1839, qu’un fragment de fémur découvert à la Nouvelle-Zélande par M. Rule n’appartenait pas, comme on l’avait cru d’abord, à un homme ou à un quadrupède. mais provenait certainement d’un oiseau du groupe des Autruches ; comme la forme de cet os, ses dimensions, sa texture, dénotaient d’aillleurs un genre différent de tous ceux de la nature actuelle, M. Owen proposa de désigner ce fossile sous le nom de Dinornis c’est-à-dire, oiseau gigantesque. Depuis lors le savant anatomiste, dans une série de mémoires insérée dans les Transactions de la Société zoologique de Londres, a décrit et figuré un grand nombre de pièces osseuses trouvées successivement dans la même région, et a reconnu l’existence de quinze espèces de Dinornis, variant de grosseur depuis la taille d’un Cygne jusqu’à celle d’une Girafe. Le sternum aplati en forme de bouclier comme chez les Brévipennes de la nature actuelle, et présentant une échancrure ou bord inférieur, de chaque côté de la ligne médiane, comme chez les Aptéryx, les os de l’épaule rudimentaire, et l’humérus réduit à une simple baguette, annoncent que ces oiseaux étaient dépourvus d’ailes, et la structure des os qui n’ont pas de cavités intérieures et qui, par conséquent, ne recevaient pas d’air des poumons par l’intermédiaire de sacs aériens, permet de supposer que la cage thoracique était fermée en arrière pal’ un diaphragme, c’est-à-dire par une voûte musculaire qui pouvait s’élever et s’abaisser dans les mouvements respiratoires. La tète était petite et ressemblait à celle de l’Autruche, mais le bec était plus large à la base, un peu plus arqué, et terminé par un crochet plus prononcé, le col devait être assez élancé, à en juger par le nombre des vertèbres cervicales, ce qui est en rapport avec le développement des membres inférieurs. Ceux-ci devaient leurs dimensions, non pas comme chez la Cigogne et le Héron, à l’allongement du tarso-métatarsien, de ce que l’on considère à tort comme la jambe de l’oiseau, mais au développement exceptionnel du tibia, c’est-à-dire de la partie que l’on appelle vulgairement la cuisse, et qui, dans le Dinornis maximus, atteignait 1 mètre de long. Le tarso-métatarsien était au contraire relativement assez court, et, dans une espèce à laquelle on a imposé, non sans raison, le nom d’elephantopus, il affectait des formes massives qui donnaient à la patte de l’oiseau quelque ressemblance avec le pied d’un pachyderme. Cet os s e terminait d’ailleurs par trois fortes poulies auxquelles s’articulaient les phalanges des doigts antérieurs, tandis qu’en arrière, à une certaine hauteur et près du bord externe, il y avait, au moins chez certaines espèces pour lesquelles M. Owen a proposé de créer le genre Palaptéryx, une facette ovale sur laquelle s’attachait un pouce ou quatrième doigt.
Comme nous l’avons dit plus haut, de nombreux ossements de Dinornis ont été trouvés à la Nouvelle-Zélande dans le cours de ces dernières années. M. J. Hector a même eu le bonheur de découvrir, dans une vallée de la province d’Otage, un squelette entier de Dinornis robustus, auquel étaient encore adhérents des fragments de chair et des lambeaux de téguments avec quelques plumes. Ce squelette fait aujourd’hui partie du musée d’York, où il a été soigneusement étudié par le professeur Owen et par M. Allis. Un autre squelette complet, de Dinornis giganteus, var. maximus ainsi que de nombreux ossements de Dinornis casuarinus, de D. didiformis et de D. elephantopus, ont été envoyés également, cette année, par M. le docteur Haast, à M. le professeur Alphonse Milne-Edwards (1835 — 1900), qui s’est empressé de les déposer dans les collections d’anatomie comparée de notre Muséum d’histoire naturelle, et nos lecteurs, en examinant ces précieux vestiges, pourront se faire une idée de la taille énorme qu’atteignaient quelques-uns de ces oiseaux, auprès desquels nos Autruches ou nos Casoars ne paraîtraient guère plus gros que des Cygnes [1].
D’après la figure, donnée par M. Owen, du pied de Dinornis qui fait partie du musée d’York et qui est encore revêtu en partie de ses téguments, on savait déjà que les doigts étaient couverts de papilles assez saillantes, et agglomérées sur certains points de manière à dessiner des plaques hexagonales , de 2 lignes 1/2 de diamètre, mais on ignorait si la portion de la patte située immédiatement au-dessus présentait le même aspect, ou bien si elle était, comme chez un grand nombre d’oiseaux, revêtue de scutelles imbriquées. La déceuverte qui vient d’être faite à Knobly Ranges, province d’Otago, de tarses de Dinornis ingens, couverts encore sur une grande partie de leur étendue de chair et de peau desséchées, permet de résoudre celle question, et nos lecteurs pourront voir, par la figure que nous publions d’une de ces pièces remarquables, que chez les Dinornis, le tarse, comme les doigts, était presque entièrement revêtu de papilles, de consistance cornée ; ils apercevront aussi, faisant légèrement saillie, le pouce ou doigt postérieur, inséré à une certaine hauteur au-dessus des autres doigts. Ce dessin, réduit au quart environ de la grandeur naturelle (le tarse mesurant 55 à 40 centimètres), a été exécuté d’après des photographies que M. Alphonse Milne-Edwards (1835 — 1900) a bien voulu nous communiquer et qu’il avait reçues le jour même de M. Hutten. Quelque temps auparavant, le savant directeur du musée d’Otago avait déjà envoyé, pour nos collections, un lambeau de chair et une douzaine de plumes de Dinornis. Ces plumes, qui sont fort légères, et dont la coloration varie du brun au roux, sont fréquemment doubles, comme on peut en juger par le croquis ci-joint, et ressemblent à celles du Casoar ; elles offrent, en effet, à côté de la tige principale une tige accessoire moins développée ; leurs barbules sont dépourvues de barbicelles, et soumises à l’examen microscopique, paraissent formées d’une série de cellules dont quelques-unes seulement ont des prolongements latéraux.
On possède également un certain nombre d’œufs de Dinornis, qui pour la plupart ont été trouvés isolément, enfouis à une certaine profondeur dans le sol ; quelques-uns contenaient encore des ossements de jeunes Dinornis. La coquille, dont la surface externe est devenue granuleuse, est d’un blanc jaunâtre et offre des pores linéaires fort caractéristiques. Un de ces œufs a été rencontré dans des conditions qui méritent d’être signalées : il était entre les bras d’un squelette humain, placé dans une posture assise, et était probablement destiné à servir de nourriture au défunt dans son voyage de ce monde dans l’autre.
Cette circonstance, jointe à la découverte faite par M. le docteur Haast, en 1870, de kjökkenmöddings ou débris de cuisine, consistant en ossements de Dinornis de plusieurs espèces, brisés et mêlés à des os de Phoques, de Chiens et de Mouettes et à des fragments de chalcédoine, d’agathe et de cornaline, permet de supposer que ces grands oiseaux ont été contemporains des anciens habitants de la Nouvelle-Zélande et qu’ils sont tombés sous leurs coups. Le gouverneur sir George Grey, qui a fréquemment observé d’anciens campements semblables à ceux qui ont été signalés par M. Haast, raconte d’ailleurs que lesMaoris parlent des Moas [2] comme d’oiseaux qui étaient bien connus de leurs ancêtres e. qui se trouvaieut dans les mêmes régions que les Kakapos ou Strigops et les Wekas ou Ocydromes.