Nous n’en sommes pas encore arrivés au temps de réalisation du splendide rêve qui occupe l’imagination de Jordan, le vieux savant dont M. Zola a dressé la vivante représentation dans son œuvre grandiose et magnifique : « Travail ». Ce rêveur, malgré son grand âge, étudiait depuis plusieurs années l’ardu problème de capter la chaleur solaire, de façon, disait-il, à l’emmagasiner dans de vastes réservoirs d’où il la distribuerait ensuite comme l’unique, la grande et éternelle force vivante. Quelle victoire s’il puisait directement dans l’astre la puissance calorifique endormie dans le charbon ! Une époque viendra où le charbon s’épuisera au fond des mines.
Nous allons voir, par un exemple, qu’il faut se trouver dans des conditions climatologiques spéciales pour utiliser directement la chaleur émanant du soleil à la production de la force motrice et que le procédé comporte un grand poids de matériel pour un rendement très faible. Cependant, en dépit de gros inconvénients, il peut convenir dans un certain ordre d’application.
La pensée d’utiliser directement les radiations solaires n’est pas neuve. La chaleur versée par l’astre sur notre terre en une heure est suffisante pour porter à l’ébullition une quantité d’eau prise à la température ordinaire d’un volume égal à quatre lieues cubiques, on en conclut que si on parvenait à concentrer en un point unique une bonne partie des radiations thermiques solaires, il ne resterait plus qu’à les transformer en travail. La production de la puissance mécanique par utilisation directe de rayonnement solaire est depuis longtemps un fait accompli, toutefois il n’existe que peu de régions où le procédé offre quelque avantage sur les autres méthodes. On ne se rend quelquefois pas un compte exact de l’intense chaleur concentrée par ce moyen. Sans vouloir remonter au fait historique mémorable de l’incendie des navires ennemis de la Grèce par Archimède, rappelons qu’un de nos compatriotes, M. Villette, construisit un miroir ardent de 1m,25 de diamètre qui permettait d’amener en quelques secondes à l’état de fusion un morceau de fonte de fer.
L’Anglais Parker fabriqua, il y a quelques années, une lentille d’environ un mètre de diamètre avec laquelle il opérait la fusion après trois secondes d’un dé en fonte et le même morceau en granit après une minute d’exposition. Mentionnons enfin les travaux de Mouchel en Algérie et ceux d’Abel Piffre qui ont établi des systèmes fonctionnant.
Avec les procédés techniques d’autrefois, on ne parvenait pas à construire un miroir concave de dimensions supérieures à celle que nous venons d’indiquer ; aujourd’hui, la difficulté primitive a été tournée en groupant sur un anneau parabolique une multiplicité de petites surfaces concaves de telle façon que tous les rayons réfléchis par des surfaces élémentaires viennent se concentrer en un foyer commun. C’est sur ce principe qu’un consortium d’industriels de Boston a fait établir un immense réflecteur solaire édifié en Californie, pays où le soleil luit, pour ainsi dire, sans interruption. Son érection a provoqué l’étonnement des populations de la campagne. Sa structure colossale s’aperçoit de très loin dans la plaine, elle ressemble à un moulin à vent de conception spéciale.
La grande base du réflecteur a un diamètre de 10,25m, celui de la plus petite base mesure 4,50m. La surface interne du cône tronqué est garnie de 1788 petits miroirs. Dans l’axe de cette figure géométrique est placée une chaudière au lieu des points de tous les foyers, occupant. une position analogue à celle du manche d’un parapluie par rapport au dôme d’étoffe du parapluie lui-même, sur la surface de laquelle aboutissent tous les rayons réfléchis par l’ensemble des petits miroirs. La chaudière ainsi suspendue Jans une position bien définie, a 4,10m de longueur, elle contient 450 litres d’eau, ayant encore une capacité additionnelle de 225 litres réservée à la vapeur. La superficie du métal est revêtue d’un mélange à base de noir de fumée très absorbant de la chaleur. La charpente sur laquelle tout l’appareillage est monté a une apparence de légèreté, mais elle est pourtant assez robuste pour résister aux efforts d’un vent très violent.
Le réflecteur doit toujours être exactement orienté vers le soleil, c’est pourquoi il est si adroitement équilibré qu’il est doué d’une très grande motilité en dépit même de son poids atteignant plusieurs tonnes.
Il repose à la manière d’un grand télescope sur un support équatorial et suit, sous l’impulsion d’un mouvement d’horlogerie accordé au jour sidéral, le cours du soleil. Quand il est nécessaire de mettre la chaudière à feu — s’il est permis d’employer cette expression familière dans l’occurrence — on l’amène au lieu géométrique des foyers en tournant une manivelle, un indicateur montre si la vraie position est obtenue.
Après un quart d’heure le manomètre accuse une pression de vapeur de 10 kilogrammes par centimètre carré. La vapeur est conduite de la chaudière au moteur par un tuyau flexible en bronze phosphoreux relié à la base de l’appareil où son mouvement est le moindre. L’eau du condenseur est reprise et refoulée dans la chaudière.
Le moteur actionne une pompe qui débite 6300 litres d’eau à la minute élevés à une hauteur de 3,60m, travail correspondant à une puissance d’environ quatre chevaux vapeur.
La valeur pratique d’une semblable installation est incalculable pour les contrées qui se trouvent dans 16s conditions à pouvoir en profiter. Les régions occidentales de l’Amérique attendent un système rationnel d’irrigations pour se transformer en champs fertiles. Non seulement les domaines de la Californie, mais ceux du Colorado, de l’Utah et des États voisins dans la grande république américaine sont dans le même cas. Le ciel, sous ces zones, est presque toujours pur et sans nuage. Le moteur peut fonctionner aussitôt après le lever du soleil et rester en activité encore une demi-heure après son déclin sous l’horizon. Associé à une dynamo chargeant une batterie d’accumulateurs électriques, il donnerait la faculté de faire mouvoir la pompe jour et nuit ou pendant les journées où le ciel est obnubilé. Tel est l’ordre de fonction auquel est appelé le moteur solaire.
Émile Dieudonné