L’origine du lis héraldique

La Science Illustrée N° 531, 29 Janvier 1898
Samedi 28 février 2009

Quelle est l’origine du motif décoratif qui a joué un si grand rôle en France sous le nom de fleur de lis ? Résulte-t-il de la simplification d’une fleur, d’une feuille, de toute autre production naturelle ou, au contraire, d’un objet inanimé ? A-t-il pris naissance sur le sol français ? Y a-t-il été importé par quelque civilisation antérieure ? Autant de questions qui ont fait couler des flots d’encre et qui sont loin encore d’être résolues.

La fleur de lis, ou quelque chose de très approchant, apparaît pour la première fois au sommet du sceptre de nos rois, sous les Mérovingiens du Ve siècle. Sur la pierre tombale de Frédégonde cette reine est représentée avec un sceptre dont le fleuron a cinq découpures au lieu de trois. Sur un sceau de 972, Lothaire porte à la main un sceptre terminé en fleur de lis. Louis VI (1108-1137) est figuré en tenant un dans chaque main ; l’un est terminé par le lis traditionnel à trois lobes ; l’autre, par un fleuron à cinq lobes.

Sous Louis VII seulement cet ornement apparaît dans les armoiries ; Philippe-Auguste en recouvre ses étendards, et son exemple est suivi par ses successeurs. C’est Charles VI qui fixa à trois le nombre des fleurs de lis des armoiries royales, telles qu’elles se sont conservées jusqu’en 1830.

Nous reproduisons un émail de Falise avec le chiffre de François Ier entouré de fleurs de lis, et un verrou en fer, du musée du Louvre, sur lequel sont représentés les armes royales et le chiffre de Henri II.

Examinons les diverses hypothèses qui ont été émises sur l’origine de ce fleuron gracieux. Certaines ne méritent même pas la discussion. Telles sont celles qui le font dériver de la croix, du croissant, d’une couronne, du crapaud qui formait le cimier du casque de Pharamond (?) ou encore des abeilles d’or que l’on découvrit dans le tombeau de Childéric, à Tournai, en 1655. L’opinion qui le fait dériver d’un fer de hallebarde est plus sensée.

Certains auteurs ne craignent pas d’appuyer leur thèse sur un calembour ; ils établissent, par exemple, une relation entre le nom de Ludovicus Florus, attribué à Louis le Jeune, et la fleur de Louis d’où l’on aurait fait, par corruption, fleur de lis ; ou bien encore, souverain se disant ly, en néo-celtique, l’emblème du roi ou fleur du roi, aurait été la fleur du roi ou fleur de ly et serait devenue, par une confusion bien naturelle, la fleur de lis.

L’opinion d’après laquelle le lis héraldique proviendrait de la transformation de l’iris mérite plus d’attention ; il est certain qu’il a plus d’analogie avec la fleur d’iris qu’avec celle du lis naturel.

« Cette analogie, dit M. Van Malderghem, archiviste adjoint de la ville de Bruxelles, dans une récente brochure sur les fleurs de lis, frappa quelques écrivains, malheureusement trop enclins à accorder le bénéfice de la révélation aux manifestations imaginaires.

Se rappelant qu’il existe au nord de la France une rivière qui s’appelle la Lys et que l’iris y croissait en abondance - ils l’affirmaient du moins - ils firent un rapprochement de coïncidence et en conclurent que la fleur de lis des armes de France n’était autre que l’iris national que l’on avait appelé Lys du nom de la rivière. La chose leur parut d’autant plus évidente que le lis royal étant jaune et le champ de l’écu bleu, ils purent se complaire à voir dans la juxtaposition des figures et des couleurs de leur choix l’image symbolique de l’iris se reflétant dans l’onde azurée de la Lys ! »

Certains bons esprits pensent que le lis conventionnel pourrait bien avoir pour prototype tout simplement la feuille de trèfle, aux folioles de laquelle le moyen âge a donné souvent, par fantaisie, une forme pointue.

Reste une dernière opinion fort plausible, en somme, d’après laquelle l’emblème de la monarchie française proviendrait de la fleur de lis naturelle ; c’est, en particulier, celle de M. Van Malderghem cité plus haut :

« Nous n’avons en France que quatre espèces indigènes dont aucune ne ressemble au beau Lis blanc des jardins (Lilium candidum) : le Lis Martagon, le Lis des Pyrénées, le Lis de Pompone, outre qu’ils sont très rares, ont leur périanthe réfléchi vers le bas, laissant à nu les étamines ; le Lis faux safran s’en rapproche davantage, mais ses fleurs n’accusent pas cette courbe gracieuse que présente le périanthe du lis blanc. Ce dernier n’est pas indigène en France, sans doute, mais il y est connu et cultivé depuis des siècles.

Une vieille légende rapporte qu’un ange présenta un lis à Clovis le jour de la bataille de Tolbiac. Charlemagne, dans ses Capitulaires, ordonne de planter des lis dans ses jardins. »

Une seule objection, mais elle est fondamentale, suffit pour réfuter cette opinion ; c’est qu’on ne trouve nulle part de formes intermédiaires entre l’état naturel et l’état héraldique. C’est à peine si les partisans du lis naturel peuvent citer un document à l’appui de leur thèse : les deux filets à forme très caractérisée d’étamines qui, sur un contre-sceau de Philippe-Auguste, partent de la base du lobe moyen d’une fleur de lis. C’est peu et c’est insuffisant.

Jusqu’à présent, en effet, nous ne nous sommes occupés que de la fleur de lis en France, mais, bien avant de devenir l’emblème de la royauté française, le lis a figuré dans les armoiries de maintes familles d’Italie et d’Allemagne. Bien mieux, au musée assyrien du Louvre, sur des tiares, des casques portés par des divinités, à la base des arbres sacrés, sur des briques émaillées, sur des bas-reliefs, on trouve un ornement identique à notre fleur de lis héraldique. Celle-ci serait donc un symbole usité de toute antiquité. Mais quelle est sa signification ? Comment expliquer qu’on le retrouve dans des contrées aussi éloignées, dans des civilisations aussi différentes ?

Il semble résulter d’un examen approfondi, qu’en Assyrie, le casque des divinités a été surmonté d’une fleur de lotus ornementale (symbole de la fécondité, de la création), à la base de laquelle étaient fixées deux cornes recourbées, emblèmes de la puissance. Ces deux symboles, associés et modifiés peu à peu par les artistes, auront donné naissance à l’ornement décoratif qui s’est propagé, par la suite, dans les pays occidentaux. Destiné d’abord à exprimer la puissance des dieux, il a figuré ensuite celle des rois, et pour une cause restée inconnue, il aura pris en France un nom populaire.

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