Dans l’inventaire dressé par Julius Capitolinus, en la Vie de Pertinax [1], des objets vendus après la mort de l’empereur Commode, on voit mentionnés, entre autres objets précieux, « des voitures marquant les distances et les heures ».
Vitruve décrit (X, 14) le mécanisme de ces chariots, mais les dessins, qui devaient servir à éclairer le texte, ont été perdus, de sorte que sa description est assez obscure. Heureusement on a retrouvé, à la suite d’un manuscrit de la Dioptre de Héron, deux fragments grecs sur ce même sujet remontant probablement à l’époque Alexandrine et accompagnés de leur figure.
En voici la traduction :
Mesurer des distances sur la surface de la terre, au moyen de l’appareil que l’on nomme odomètre. - Muni de cet instrument, au lieu d’être obligé d’arpenter lentement et péniblement avec la chaîne ou le cordeau, on peut, voyageant en voiture, connaître les distances parcourues, d’après le nombre des tours exécutés par les roues. D’autres, il est vrai, ont exposé avant nous quelques méthodes pour arriver au même but ; mais chacun pourra décider entre l’instrument décrit ici par nous-même et ceux de nos prédécesseurs. Que l’on imagine un appareil en forme de boîte (fig. 1) dans l’intérieur de laquelle sera contenue tout entière la machine que nous avons à décrire. Sur la base de cette cassette repose une roue de cuivre AB, portant, Implantées près de son bord (et parallèlement à son axe) un certain nombre de palettes (huit, par exemple). Sur ce fond s’ouvre une fente, dans laquelle une tige, fixée sur le moyeu d’une des roues de la voiture, s’engageant à chaque tour, pousse en avant l’une des palettes, qui se trouve remplacée par la suivante, et de même indéfiniment. D’où il résulte que, quand la roue de la voiture aura fait huit révolutions, la roue à palettes en aura fait une. Or, au centre de cette dernière, est plantée perpendiculairement, par une de ses extrémités, une vis qui par son autre extrémité, est engagée dans une traverse fixée aux parois de la boîte. Cette vis s’applique contre une roue dentée dont les dents engrènent avec elle, et dont le plan est perpendiculaire à la base de la boîte. Cette roue dentée porte également un axe dont les extrémités pivotent contre les parois de la cassette ; et une partie de cet axe présente des spires creusées à sa surface, de manière qu’il devient lui-même une vis. De même, contre cette nouvelle vis s’applique une roue dentée parallèle au fond de la cassette ; sur cette roue est pareillement implanté un axe dont une extrémité pivote sur le fond, tandis que l’autre se rend dans la traverse fixée aux parois ; et cet axe porte pareillement une vis qui engrène avec les dents d’une autre roue placée perpendiculairement au fond. Et cela se continuera tant que nous voudrons, ou tant qu’il y aura de la place dans la boîte : car, plus les roues et les vis seront nombreuses, plus longue sera la route que l’on pourra mesurer.
En effet, chaque vis, en faisant un tour, fait mouvoir une dent de la roue contre laquelle elle s’applique ; de telle sorte que la vis qui fait corps avec la roue à palettes, en tournant une fois, indique huit révolutions de la roue de la voiture, tandis qu’elle ne fait mouvoir qu’une seule dent de la roue sur laquelle elle agit. Si donc cette dernière a, par exemple, 30 dents, lorsqu’elle aura fait un tour complet par l’impulsion de la vis, elle indiquera 240 tours de la roue de la voiture. De même la susdite roue dentée, en faisant une révolution, fera faire un tour à la vis implantée sur son plan, et une seule des dents de la roue suivante sera poussée en avant. Par conséquent, si cette nouvelle roue a encore 30 dents (c’est un nombre raisonnable, et il pourrait être bien plus grand), en faisant une révolution, elle indiquera 7200 tours de la roue de la voiture. Supposons à cette dernière 10 coudées de circonférence, ce sera 72000 coudées, c’est-à-dire 180 stades. Ceci s’applique à la seconde roue dentée ; s’il y en a d’autres, et si le nombre des dents augmente aussi, la longueur du voyage qu’il sera possible d’évaluer augmentera proportionnellement. Mais il contient de se servir d’un appareil construit de telle manière que le chemin qu’il pourra indiquer ne dépasse pas de beaucoup celui que l’on peut faire. en un jour avec la voiture, parce qu’on peut, tous les jours, après avoir mesuré la route de la journée, recommencer de nouveau pour la route suivante.
Ce n’est pas tout : comme un tour de chaque vis ne correspond pas, avec une exactitude et une précision mathématiques, à l’échappement d’une dent, nous ferons dans une expérience expresse, tourner la première vis, jusqu’à ce que la roue qui engrène avec elle ait accompli un tour, et nous compterons le nombre de fois que la vis aura tourné. Supposons, par exemple, qu’elle ait tourné 20 fois pendant que la roue adjacente a fait une seule révolution ; cette roue avait 30 dents : donc 20 tours de la roue à palettes correspondent à 30 dents de la roue dentée conduite par la vis. D’un autre côté, les 20 tours font échapper 160 palettes, ce qui fait un pareil nombre de tours de la roue de la voiture, c’est-à-dire 1600 coudées ; par conséquent, une seule dent de la roue dentée précédente indique 53 1/3 coudées. Ainsi, par exemple, lorsque, en partant de l’origine du mouvement, la roue dentée aura tourné de 15 dents, cela indiquera 800 coudées, c’est-à-dire deux stades. Nous écrirons donc sur cette même roue dentée : coud. 53 1/3. Faisant un calcul semblable pour les autres roues dentées, nous écrirons sur chacune d’elles le nombre qui lui correspond ; et, de cette manière, lorsque nous saurons de combien de dents chacune d’elles aura avancé, nous connaîtrons par là même le chemin que nous aurons parcouru.
Maintenant, afin de pouvoir déterminer le chemin parcouru sans avoir besoin d’ouvrir la cassette pour voir les dents de chaque roue, nous allons montrer comment, par le moyen d’un index placé sur les faces extérieures, on peut évaluer la longueur de la route. Admettons’ que les roues dentées dont on a parlé soient disposées de manière à ne pas toucher les parois de la boîte, mais que leurs axes sortent en dehors, les saillies étant équarries de manière à recevoir des index percés de trous également carrés. De cette façon, la roue en tournant, fera tourner avec son axe l’index, dont la pointe décrira, sur la face extérieure de cette paroi, un cercle que nous diviserons en un nombre de parties égal à celui des dents de la roue intérieure. L’index doit avoir une longueur suffisante pour décrire une circonférence plus grande que la roue, de façon que cette circonférence soit divisée en parties plus grandes que l’intervalle qui sépare les dents. Ce cercle doit porter le nombre déjà marqué sur la roue intérieure. Par ce moyen, nous verrons sur la surface extérieure de la cassette la longueur de la route parcourue. S’il était impossible d’empêcher le frottement des roues contre les parois de la cassette, soit parce qu’elles s’embarrassent entre elles soit à cause des vis adjacentes, soit pour toute autre raison, il faudrait alors les limer d’une quantité suffisante pour que l’appareil ne fut plus gêné en aucune façon.
De plus, comme les Toues dentées sont les unes perpendiculaires, les autres parallèles au fond de la boite, de même les cercles décrits par les index seront les uns sur les parois latérales de la cassette, les autres sur la partie supérieure. En conséquence, Il faudra faire en sorte qu’une des parois latérales qui ne portent pas de cercle serve de couvercle, ou, en d’autres termes, Il faudra que la boite se ferme latéralement.
Un autre ingénieur, probablement gréco-latin puisqu’il exprime les distances tantôt en milles tantôt en stades a indiqué un dispositif d’un système différent pour mesurer la marche d’un navire.
Nous allons donner la description de cet appareil, dont nous présentons la reproduction dans la gravure ci-contre (fig. 2).
Soit une vis A B tournant dans ses supports. Supposons que son filet mène une roue Δ de 81 dents, à laquelle sera fixée une autre roue parallèle (un pignon) E de 9 dents.. Supposons ensuite que ce pignon engrène avec une autre roue Z de 100 dents, et qu’à celle-ci soit fixé un pignon H de 18 dents ; puis, que ce pignon engrène avec une troisième roue Θ de 72 dents, laquelle portera également un pignon K de 18 dents ; puis encore, que ce pignon engrène avec une roue A de 100 dents, et ainsi de suite ; de sorte qu’enfin la dernière roue porte un index disposé de manière à indiquer le nombre des stades parcourus.
D’un autre côté, construisons une roue ailée M, dont le périmètre, en dedans des ailes, soit de 5 pas ; supposons-la parfaitement circulaire, et adaptée au flanc d’un navire, de manière à avoir, sur la surface de l’eau, une vitesse égale à celle du bâtiment. Supposons, en outre, les choses disposées de telle façon, qu’à chaque tour de la roue M, il avance, s’il est possible, une dent de Δ. Il est clair qu’alors, à chaque distance de 100 milles parcourue par le vaisseau, la roue Δ fera une révolution. De sorte que, si un cercle concentrique à la roue Λ est divisé en cent parties, l’index fixé à Λ en tournant sur ce cercle, marquera, par le nombre des degrés, le nombre des milles parcourus.
Les odomètres [2] comme tant d’autres choses, ont été réinventés bien des fois, notamment en 1662 par un membre de la Société Royale de Londres et, en 1724, par l’abbé Meynier.
A. de ROCHAS.