L’école d’Alexandrie
Quand Alexandre eut constitué son empire, il voulut lui donner une capitale, et il choisit lui-même l’emplacement de la ville à laquelle il imposa son nom. Placée au centre du monde connu, presque à la jonction de trois continents, Alexandrie pouvait, grâce à son admirable situation, concentrer dans ses ports le commerce de toutes les contrées sur lesquelles le conquérant avait étendu son influence. Par la Méditerranée, elle rayonnait sur l’Occident ; par le lac Maréotis, le Nil et le golfe Arabique, elle pouvait facilement communiquer avec l’extrême Orient. Aussi vit-elle bientôt affluer dans ses murs les commerçants et les industriels qui, en peu d’années, en firent une ville des plus florissantes du monde.
Afin d’y attirer les savants et les philosophes, Ptolémée Soter, à qui l’Égypte était échue en partage, après la mort d’Alexandre, s’efforça de rassembler dans sa capitale tout ce qui pouvait faciliter leurs études ; il commença par y fonder une bibliothèque qui, à sa mort, contenait déjà plus de 200000 volumes [1].
Ptolémée Philadelphe, son fils et son successeur, ne cessa de l’augmenter, en achetant des livres à Athènes et à Rome ; il acquit notamment des héritiers de Théophraste la bibliothèque entière d’Aristote. De plus, il fit construire un magnifique édifice, appelé le Museum parce qu’il était consacré aux Muses, où les savants les plus illustres étaient logés et nourris aux frais de l’État. Le Muséum était contigu au palais du roi : il contenait de vastes amphithéâtres pour les cours publics, des salles d’anatomie [2], un observatoire, un jardin d’acclimatation, des galeries où l’on réunit à grands frais tous les appareils rares ou curieux que l’on put se procurer, enfin la bibliothèque. Celle-ci fut même bientôt à l’étroit dans la portion du bâtiment qui lui était consacrée, et on dut construire pour les nouvelles acquisitions une annexe, le Sérapéum, qui fut aménagé de façon à abriter, en outre, des ateliers pour la préparation du papyrus ’et la copie des manuscrits. A la fin du règne de Philadelphe, la bibliothèque contenait, suivant le rapport officiel de son conservateur Callimaque, 400 000 volumes dont 90000 étaient des originaux et les autres des copies.
Non content de cela, dit Vitruve (préf. du liv. VII), ce prince voulut l’augmenter encore en jetant, pour ainsi dire, la semence de nouveaux ouvrages. Il institua donc des jeux en l’honneur des Muses et d’Apollon, et, de même qu’il y avait pour les athlètes des récompenses et des honneurs, de même il y en eut pour tous les écrivains qui remporteraient le prix.
Ptolémée Évergète succéda à Philadelphe et hérita de sa passion pour les livres. Galien rapporte qu’il demanda aux Athéniens l’exemplaire qu’ils possédaient des œuvres d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, afin d’en faire prendre copie et que, pour gage, il déposa quinze talents d’argent (75000 francs). Cette copie fut exécutée avec le plus grand soin et sur le plus beau papyrus, puis remise aux Athéniens à la place de l’original, par ordre du roi qui abandonna son gage pour le prix de la substitution. Évergète avait donné l’ordre qu’on demandât à tous les marchands et navigateurs qui venaient à Alexandrie tous les livres qu’ils avaient avec eux. On en prenait une copie que l’on rendait au possesseur et l’original était déposé à la bibliothèque, où il était lu par des savants qui le classaient parmi les livres de choix ou ceux d’un intérêt secondaire. La bibliothèque d’Alexandrie ne cessa de s’accroître ainsi pendant deux siècles. Elle dut certainement puiser une partie de ses richesses dans les grandes villes de l’Orient, car celle de Ninive était célèbre à cette époque. Alexandre le Grand avait déjà fait traduire en grec les ouvrages d’histoire des Chaldéens [3]. Les Ptolémées firent traduire les livres hébreux de l’Ancien Testament par soixante-dix savants grecs ; sous leur règne, Manéthon composa un ouvrage sur la chronologie égyptienne et traduisit les ouvrages d’Hermès Trismégiste ; enfin Bérose fit un livre sur les antiquités assyriennes.
Tout le papyrus qui se fabriquait en Égypte étant employé pour la bibliothèque, il fut interdit d’en exporter. Les rois de Pergame, qui rivalisaient avec les Ptolémées, durent chercher une autre substance pour recevoir l’écriture ; c’est alors qu’on ’donna une extension considérable à l’usage des peaux convenablement préparées qui prirent le nom de Pergameneum, d’où est venu le mot parchemin.
Quand César se rendit maître d’Alexandrie, en l’an 47 avant notre ère, il y avait 400 000 volumes au Muséum et 300000 au Sérapéum ; mais un incendie, allumé dans un combat, détruisit alors complètement la première de ces collections. Peu de temps après, Antoine, pour faire sa cour à Cléopâtre, lui donna en compensation la bibliothèque des rois de Pergame, composée de 200000 volumes, à un seul exemplaire. La bibliothèque, ainsi reconstituée, subsista jusqu’à la destruction du Sérapéum sous Théodose, en l’an 390 de notre ère ; elle disparut alors presque complètement ; et quand, en 640, les Arabes entrèrent dans Alexandrie, sous la conduite d’Omar, ils n’en trouvèrent que les débris.
Parmi les savants qui illustrèrent la cour des Ptolémées et qui constituent la première école d’Alexandrie, les plus célèbres sont, par ordre de date : Euclide, qui fut appelé d’Athènes par Ptolémée Soter ; Archimède, qui habitait Syracuse, mais était en rapports constants avec Conon de Samos et Dosithée, pensionnaires du Muséum ; Ératosthène, à qui remonte la première tentative vraiment scientifique, pour déterminer la grandeur de la terre et qui peut être considéré comme le fondateur de la géographie physique ; le mathématicien Apollonius de Perge ; enfin, au IIe siècle avant notre ère, Hipparque, le créateur de l’astronomie mathématique, qui découvrit la précession des équinoxes, et les mécaniciens Ctèsibios, Héron et Philon.
La science est arrivée alors à une hauteur qu’elle ne dépassera plus dans l’antiquité ; sous le règne de Ptolémée Évergète, prince ami des lettres, mais soupçonneux et jaloux, les savants, tantôt comblés d’honneur, tantôt soumis aux traitements les plus cruels, prennent le parti de fuir une ville où ils ne sont plus en sûreté : peu à peu ils se réfugient dans les îles et les cités voisines de l’Égypte. Désormais dispersés, obligés de lutter avec les difficultés de l’existence, ils abandonnent les recherches pour se créer des ressources par l’enseignement.
Il convient donc de faire ici une halte. Nous avons en main non plus des extraits, mais les traités eux-mêmes ; ces traités ne sont plus écrits de manière à n’être compris que par les initiés, mais, au contraire, de manière à vulgariser la science. Nous ne les possédons pas tous, il est vrai ; mais il est possible de se rendre compte à peu près de ce que pouvaient contenir ceux qui nous manquent.
Au temps des Pythagoriciens, écrit Anatolius [4], les philosophes pensaient que la science ne devait se préoccuper que des objets éternels, immuables et purs de tout mélange ; mais, à une époque plus récente, on a estimé que le mathématicien devait s’occuper non seulement de la matière incorporelle et idéale, mais encore de ce qui touche à la matière corporelle et sensible. « En effet, il doit être habile dans la théorie du mouvement des astres, de leurs vitesses, de leurs grandeurs, de leurs figures, de leurs distances. Il doit, en outre, considérer les diverses modifications de la vue : il doit savoir scruter les causes pour lesquelles les objets ne paraissent pas, à toute distance, ce qu’ils sont, ni tels’ qu’ils sont en réalité, gardant, il est vrai, leurs rapports mutuels, mais produisant de fausses apparences en ce qui concerne leurs positions et leur ordre, soit dans le ciel et dans l’air, soit dans les miroirs et dans toutes les surfaces polies, soit enfin dans ceux des objets visibles qui sont transparents et dans tous les corps de cette nature. On pensait, de plus, que le mathématicien devait être mécanicien et habile dans la géodésie et dans la logistique (arithmétique pratique) et qu’il devait aussi s’occuper de l’union mélodieuse des sons et de leurs combinaisons dans la mélodie. »
Tel est bien le bilan de la science officielle à l’époque alexandrine ; tous les documents qui nous restent confirment l’exactitude de celte énumération ; tous les traités dont le texte ou l’analyse seulement nous ont été conservés ont pour objet, ainsi qu’on le verra plus loin : les cinq machines simples et leurs dérivés, les machines de tir, les machines d’approche pour les sièges, les théâtres à automates, les fortifications, les ports, les horloges hydrauliques, les pneumatiques, l’optique, la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie. Existait-il, en outre, une science occulte ? C’est une question que j’examinerai plus tard. Pour le moment, je vais exposer d’une façon sommaire les matières contenues dans les traités qui nous sont restés, laissant de côté la logistique, la géodésie et l’astronomie qui sortent du sujet que nous avons choisi.
Optique.
L’optique ne sonde point la nature ’des choses ; elle ne cherche point si certaines émanations, certains rayons émis par les yeux vont toucher les surfaces des corps, ou bien si les images, émises par les objets sensibles, vont en ligne droite pénétrer dans les yeux, ou bien si le souffle lumineux de la vue produit une tension et un tourbillonnement de l’air situé entre l’œil et l’objet [6]. Elle examine seulement si chacune de ces hypothèses maintient la direction rectiligne du mouvement ou de la tension, et si, lorsqu’il s’agit d’expliquer les différences des grandeurs apparentes des objets, chacune de ces hypothèses respecte le principe d’après lequel la convergence a lieu suivant un angle. Elle examine principalement comment la vision s’opère par tous les points de la pupille et de l’objet, et non par un seul point déterminé, et comment elle s’opère, soit suivant un angle dont le sommet est vers l’œil, soit suivant un angle dont l’ouverture est vers l’œil et le sommet en dehors, soit suivant des lignes parallèles.
Les anciens divisaient l’optique en quatre parties : l’optique proprement dite, la catoptrique, la dioptrique et la scénographique.
Sur l’optique proprement dite, il ne nous est resté des Alexandrins qu’un traité d’Euclide [7].
Le géomètre grec démontre la direction rectiligne des rayons de lumière par la direction rectiligne des ombres et par la manière dont s’effectue la vision qui ne permet pas d’embrasser à la fois tous les points d’un objet perçu à une certaine dis lance. Il part de là pour établir une série de théorèmes qui constituent les éléments de ce que nous appelons aujourd’hui la perspective, par exemple : — De plusieurs objets de même grandeur, le plus rapproché de nous se voit plus distinctement que les plus éloignés ; tout objet placé à une distance qui dépasse certaine limite ne se voit plus ; les objets de même grandeur et de distances inégales paraîtront de grandeurs différentes ; le plus éloigné paraîtra le plus petit et le plus rapproché le plus grand. — Un corps rectangulaire paraît arrondi. à distance ; une sphère, vue à une certaine distance, a l’apparence d’un cercle. — Si des objets se meuvent sur une ligne droite avec la même vitesse, le plus éloigné paraîtra précéder les autres ; étant donnée une certaine position de l’œil, il paraîtra au contraire suivre les autres, si l’œil est à une autre place.
Pour la catoptrique, il y avait, au dire de Théon [8], un grand ouvrage d’Archimède relatif aux miroirs ; cet ouvrage est aujourd’hui perdu [9], mais il nous est resté un fragment d’Euclide, l’abrégé d’un traité de Héron de Constantinople. Je me bornerai ici à indiquer les matières qu’ils devaient traiter à l’aide d’un autre fragment du livre de Damien.
Cette dernière partie pourrait bien être, quoi qu’en dise M. Henri Martin, le sujet des traités de dioptrique aujourd’hui perdus.
Dioptrique.
La dioptrique ne serait, d’après M. Henri Martin, que la description d’un appareil nommé dioptre, analogue à nos alidades, et de son usage dans l’astronomie et la topographie. Tel est, en effet, le contenu d’un ouvrage de Héron qui nous est resté sous le titre de Περι διοπτρας ; mais la raison ne me paraît point concluante.
Les lunettes, composées d’une série de verres combinés, paraissent n’avoir point été connues dans l’antiquité ; il n’en est point de même des verres grossissants. On vient de lire la mention qu’a faite Damien des verres destinés à concentrer les rayons du soleil. Dans un poème, réputé orphique, sur les pierres, on lisait déjà (V, v. 770-784) que, pour rallumer le feu sacré, il fallait faire tomber les rayons du soleil sur des flambeaux à l’aide d’un cristal. Le dialogue suivant, tiré des Nuées d’Aristophane (acte Il, scène 1), confirme d’une façon piquante l’ancienneté de ces instruments. Strepsiade, personnage grossier, indique à Socrate comment il compte s’y prendre pour ne point payer ses dettes.
- Streps. - As-tu vu chez les droguistes la belle pierre transparente dont ils se servent pour allumer du feu ?
- Socr. - Tu veux parler du verre ?
- Streps. - Oui.
- Socr. - Eh bien ! qu’en feras-tu ?
- Streps. Quand le greffier aura écrit son assignation contre moi, je prendrai le verre, et me mettant ainsi au soleil, je ferai fondre son écriture.
On sait que l’écriture se traçait alors sur des tablettes recouvertes de cire.
Les anciens ont certainement remarqué en même temps que cette propriété des surfaces convexes transparentes, celle qu’elles possédaient de grossir les objets. Sénèque dit, en effet, dans ses Questions naturelles (liv. I), que de petites lettres vues à travers une boule de verre pleine d’eau paraissent plus grosses. M. Layard a trouvé dans les ruines de Ninive [11] une lentille plan convexe à base hexagonale taillée dans un morceau de cristal de roche. L’examen attentif des circonstances qui entouraient autrefois les apparitions semble, du reste, prouver que l’antiquité connaissait la lanterne magique.
Sénèque parle encore dans le livre I de ses Questions naturelles (chap. V1l) du prisme comme d’un instrument bien connu de son temps. « On a coutume, dit-il, de faire une sorte de baguette à plusieurs angles, qui, présentée au soleil d’une certaine manière, fait voir les couleurs qu’on remarque dans l’arc-en-ciel. »
La scénographique était une application directe de l’optique proprement dite ; il ne nous est resté sur ce sujet que le passage suivant de Damien ; je le reproduis ici pour montrer jusqu’à quel point les anciens avaient poussé l’étude des illusions d’optique. « La scénographique, partie de l’optique, cherche comment il faut tracer les ligures des édifices. En effet, comme les objets ne paraissent pas tels qu’ils sont ; on n’opère pas de manière à montrer les proportions réelles des objets ; mais on arrange ces proportions telles qu’elles doivent paraître. Le but de l’architecte est de produire une œuvre bien proportionnée suivant l’apparence, et, autant que possible, inventer des remèdes contre les tromperies de la vue, en se proposant la symétrie et la proportion, non en réalité, mais au jugement des yeux. C’est pourquoi, puisqu’une colonne bien cylindrique devait paraître amincie et rétrécie vers le milieu au jugement des yeux, l’architecte la fait plus grosse vers le milieu, Pour représenter un cercle, quelquefois ce n’est pas un cercle qu’il trace, mais une section d’un cône acutangle ; pour représenter un carré, il fait un rectangle oblong ; et pour représenter des colonnes nombreuses et de diverses grandeurs, il leur donne des proportions différentes quant au nombre et quant aux : dimensions. C’est encore le même raisonnement qui donne au constructeur de colosses les proportions apparentes que son œuvre devra présenter aux regards pour produire un effet convenable, au lieu d’avoir en réalité dans sa structure celles inutilement exactes ; car les objets ne paraissent pas tels qu’ils sont quand on les voit à une grande hauteur. »
Cette partie de la science antique a été tout récemment reconstituée avec beaucoup de sagacité par M. Choisy qui, malheureusement, n’a encore fait part de ses intéressantes découvertes qu’aux auditeurs de son cours d’architecture à l’École des ponts et chaussées.
Hydraulique et pneumatique
Archimède [12], Ctésibios et Héron auraient, d’après les témoignages anciens, écrit sur la conduite des eaux ; tous ces ouvrages sont perdus. Il en est de même de ceux de Ctésibios, Héron et Philon sur les horloges hydrauliques.
Il nous est resté d’Archimède un traité des corps portés sur un fluide. Voici, d’après Vitruve (préf. du livre IX), le fait qui donna lieu à ses recherches.
Plus tard, on eut quelque indice que l’ouvrier avait soustrait une partie de l’or et l’avait remplacé par le même poids en argent mêlé dans la couronne ; Héron, indigné d’avoir été trompé et ne pouvant trouver moyen de convaincre l’ouvrier du vol qu’il avait fait, pria Archimède de songer à cette affaire. Un jour, tout occupé de celte pensée, Archimède se trouvait dans une salle de bains ; il observa, quand il entra dans la baignoire, qu’à mesure que son corps s’y enfonçait, l’eau s’échappait par-dessus les bords. Ce fait lui suggéra la solution du problème qui lui avait été posé [13] ; sans plus attendre, il s’élance hors du bain, et, dans sa joie, il se précipite vers sa maison, sans songer à s’habiller. Dans sa course, il criait de toutes ses forces qu’il avait trouvé ce qu’il cherchait, car il disait : Ευρηχα, ευρηχα.
Aussitôt après cette première découverte, il fit faire, dit-on, deux masses de même poids que la couronne, l’une d’or, l’autre d’argent ; ensuite il remplit d’eau jusqu’au bord un grand vase et y plongea la masse d’argent, qui, à mesure qu’elle enfonçait, faisait sortir un volume d’eau égal à sa grosseur. Ayant ensuite ôté celte masse, il mesura l’eau qui manquait en en remettant avec une mesure graduée jusqu’à ce que le vase fût de nouveau plein jusqu’au bord. Cette expérience lui fit connaître à quel poids d’urgent répondait un certain volume d’eau.
Il plongea de même la masse d’or dans te vase plein d’eau ; et, après l’avoir retirée et avoir également mesuré l’eau expulsée, il reconnut qu’il n’en manquait pas autant et que celte différence en moins correspondait à celle qui existait entre le volume de la masse d’or et celui de la masse d’argent qui avait le même poids.
Le vase fut rempli une troisième fois, et la couronne elle-même y ayant été plongée, il trouva qu’elle en avait fait sortir plus d’eau que la masse d’or qui avait le même poids n’en avait fait sortir. Calculant d’après le volume d’eau que la couronne avait fait sortir de plus que la masse d’or, il découvrit la quantité d’argent qui avait été mêlée à l’or et fit voir clairement ce qui avait été dérobé.
Dans son traité, Archimède part de l’hypothèse suivante :
Voici maintenant les principales propositions du livre :
La surface de tout fluide en repos est sphérique, et le centre de celte surface sphérique est le centre de la terre.
Si un corps, qui sous un volume égal à la même pesanteur qu’un fluide, est abandonné dans ce fluide, il s’y plongera jusqu’à ce qu’il n’en reste rien hors de la surface du fluide ; mais il ne descendra pas jusqu’au fond.
Si un corps plus léger qu’un fluide est abandonné dans ce fluide, il s’y enfoncera jusqu’à ce qu’un volume de liquide égal au volume de la partie du corps qui est enfoncé ait le même poids que le corps entier.
Si un corps plus lourd qu’un fluide est enfoncé dans ce fluide, ce corps remontera avec une force d’autant plus grande qu’un volume égal du fluide sera plus pesant que ce corps.
Un corps, qui, à volume égal, est plus pesant qu’un fluide, continuera à descendre jusqu’à ce qu’il soit arrivé au fond.
C’est dans les traités de pneumatique de Héron et de PhiIon que nous trouvons exposées les idées des Alexandrins sur la constitution des corps et en particulier des fluides. Elles peuvent se résumer ainsi :
Tout corps est composé de molécules très petites entre lesquelles se trouvent des espaces vides ou pores d’une grosseur moindre que ces molécules.
Les corps se présentent à nous sous quatre aspects, celui de la terre, celui de l’eau, celui de l’air, et celui de feu (chaleur, lumière) ; ces quatre formes typiques sont appelées éléments.
On élément peut se transformer en un ou plusieurs autres, par l’action d’un autre élément, comme quand l’eau se réduit en vapeur ou qu’un solide se dissout dans l’eau ou qu’on fait brûler un solide.
L’air est élastique ; quand on le comprime, ses molécules se rapprochent, plus que ne comporte leur état d’équilibre naturel, en pénétrant dans les espaces vides qui les séparent. Quand, au contraire, on les dilate, les molécules s’espacent davantage. Mais, dès que la force qui les comprimait ou les dilatait cesse d’agir, les molécules reviennent très rapidement reprendre leur espacement normal.
Le feu est composé de particules d’une ténuité extrême qui peuvent pénétrer dans les pores du corps. Il agit de deux manières différentes suivant son intensité ; quand il est modéré et se manifeste seulement par une certaine sensation de chaleur, il se borne à écarter les molécules entre lesquelles il a pénétré et il augmente ainsi le volume des corps sur lesquels il agit ; mais quand il devient plus violent et prend l’aspect d’une flamme, il use ces particules et les rend plus ténues, de telle sorte que, finalement, le corps est en partie consumé.
Les corps se superposent par ordre de densité ; en bas, les solides et les liquides ; au-dessus, l’air, puis le feu. Ils tendent toujours à se suivre dans cet ordre sans laisser d’intervalle entre eux ; c’est là une des propriétés de la matière dont on ne peut empêcher l’effet que par l’application d’une force étrangère.
Cette propriété se manifeste par l’attraction qu’exercent les différents éléments les uns sur les autres : qu’on jette une pierre, à mesure que la pierre se déplace, l’espace qu’elle abandonne est aussitôt occupé par l’air qu’elle attire après elle ; plongez un tube de verre dans l’eau, vous verrez l’eau se coller contre les parois du tube. Cette force d’attraction n’est point la même entre tous les éléments ; peu considérable entre un liquide et un solide, elle l’est beaucoup entre un liquide et l’air. C’est pour cela que, quand il y a de l’air sur de l’eau dans un tube et qu’on retire l’air, l’eau le suit, obéissant ainsi à une force qui agit en sens inverse de la pesanteur. On voit que, d’après les idées des anciens, l’eau pourrait ainsi monter jusqu’à ce que le poids de la colonne d’eau soulevée fasse équilibre à la force d’attraction exercée par l’air sur l’eau, et que l’explication du phénomène observé par le fontainier de Florence eût été facile pour eux s’ils l’avaient connu.
La théorie que je viens d’indiquer, d’après Philon, pour l’ascension de l’eau n’était point seule admise. Héron l’attribuait à la pression de l’air ; mais les anciens, qui savaient cependant que l’air était pesant, n’ont jamais eu l’idée de rechercher quel pouvait être l’effet de son poids.
Mécanique
Suivant Vitruve (X, I), les Grecs divisaient la mécanique, ou plutôt les arts qui constituaient le domaine de l’ingénieur, en trois genres : le Scansorium ou Αχροβατιχον, le Spiritale ou Πνενματιχον et enfin le Tractorium ou Βαροµn;νλχον. Cette énumération est incomplète ; il faut y ajouter notamment le Βελοπουχη ou art de construire les machines de jet et faire précéder le tout des Principes de mécanique théorique.
Ces principes ont été exposés dans les traités perdus de Philon, de Héron ; Vitruve en dit quelques mots dans le chapitre III du livre X. Il nous est resté d’Archimède un livre sur l’Équilibre des corps et un autre sur les Centres de gravité dans les figures planes. Quoi qu’en ait dit Plutarque [14], Archimède avait aussi très probablement écrit sur les applications de la mécanique [15].
On vient de voir ce qu’était la Pneumatique.
Le Βαρουλχον avait pour objet la traction et l’élévation des fardeaux ; il nous est resté sur ce sujet un traité de Héron qui n’a été publié qu’en partie. Vitruve donne quelques détails sur celle partie de la mécanique dans son livre X ; le chapitre Il parle notamment des chèvres et cabestans ; dans les chapitres IV, V et VI, il décrit différentes machines pour élever l’eau, ainsi que les roues de moulins.
L’anecdote suivante racontée par Plutarque dans la Vie de Marcellus permet de se rendre compte des effets que les anciens savaient tirer de leurs machines.
Le Scansorium parait avoir été l’art de construire les échafaudages, art de peu d’importance dans la vie civile parce que les édifices n’avaient généralement pas une grande hauteur dans l’antiquité, mais extrêmement utile pour les machines de siège : hélépoles, béliers et tortues diverses [16].
Le nombre des auteurs qui ont écrit sur ce sujet est considérable. J’ai déjà parlé de Diadès, ingénieur d’Alexandre ; Vitruve cite encore (préf. du liv, VII), comme ayant traité des machines de guerre, Archytas, Archimède, Ctésibios, Nyrnphodore, Philon de Byzance, Diphile, Démoclès, Charidas, Polyeldos, Pyrhos, Agésistratos ; à ces noms j’ajouterai celui d’Athénée, qui paraît avoir vécu peu de temps avant Vitruve. De tous ces ingénieurs il ne nous est resté sur le Scansorium que les livres de Philon et d’Athénée dont j’ai publié les premières traductions françaises.
Quant à l’art de construire les machines de jet, il était arrivé à un haut degré de perfection. Nous avons encore sur ce sujet des livres composés par Héron, Philon et Biton. M. Prou a étudié spécialement l’un d’eux, le Traité de la Chirobaliste, par Héron, et j’ai publié dans le Bulletin Monumental (1882) une notice sur l’artillerie des Grecs. Il suffit d’indiquer ici que les règles étaient devenues tellement précises pour ce genre de constructions, qu’il suffisait d’avoir le poids du projectile pour en déduire, par une équation très simple, le diamètre du faisceau de fibres qui devait servir de moteur par sa torsion ; des tables donnaient ensuite les dimensions de toutes les pièces de la machine en fonction de ce diamètre pris pour module. On parvenait ainsi à projeter les pierres pesant 80 kilogrammes et à envoyer des projectiles légers jusqu’à plus de 700 mètres.
Acoustique
Pythagore savait que le son est dû à l’ébranlement de l’air. Il enseignait même que le mouvement de chaque corps céleste produisait un son spécial, que ces sons étaient en rapports simples, que leur réunion constituait la grande harmonie de l’univers et que, si nous n’entendions pas celle-ci, c’est que nous y étions habitués depuis l’enfance. Aristoxène et Euclide ont composé des traités sur la théorie de la musique qui nous ont été conservés en partie. Vitruve, qui a eu entre les mains les livres d’Aristoxène, en donne un résumé dans son livre V.
Les anciens avaient poussé les applications de l’acoustique à un très haut degré de perfection, non seulement dans la musique, mais encore dans l’art de renforcer les sons et de les propager au loin. On en a un exemple dans le porte-voix avec lequel Alexandre envoyait, dit-on, les ordres à son armée, ainsi que par ces vases en airain dont Vitruve donne la description et que les architectes grecs plaçaient dans les gradins des théâtres, afin de renforcer la voix des acteurs.
Magnétisme et électricité
Les savants de l’école d’Alexandrie ne nous ont rien laissé sur celte partie de la physique ; Héron se borne à citer, dans les pneumatiques. la secousse produite par la torpille à l’appui de sa théorie sur la porosité des corps. Il est vraisemblable cependant que les anciens n’avaient point négligé les applications curieuses de cette partie de la physique, quelle que pût être, du reste, leur ignorance des causes.
Pline raconte, en effet (XXXIV, :l4), que Ptolémée Philadelphe et son architecte Dinocharès avaient dressé pou.r la reine Arsinoë le plan d’un temple dont la voûte devait être construite en aimant, afin que la statue de fer de la nouvelle déesse y restât suspendue par le simple contact ; la mort du roi et de l’architecte empêcha l’exécution de ce dessein.
Lucrèce (VI, 1044-54) parle d’anneaux magiques et de petits morceaux de fer qui s’agitaient dans un bassin d’airain lorsqu’on passait un aimant au-dessous du bassin.
Un autre poète du IVe siècle de notre ère a composé un poème intitulé Magnes, où il décrit un temple d’or et dans ce temple deux statuettes, l’une de Mars, en fer, et l’autre de Vénus, en aimant, servant à représenter l’amour de ces deux divinités. Il parle de la propriété qu’a l’aimant de se fortifier par le contact du fer.
Enfin, une foule d’auteurs chrétiens, en tête desquels il faut placer saint Augustin, mentionnent plus ou moins vaguement des statues de fer, fabriquées par les prêtres du paganisme, qui jouissaient de la propriété, réellement merveilleuse, de rester suspendues en l’air sous l’influence combinée de divers aimants convenablement disposés. Les moines byzantins Cedrenus et Suidas ont même été jusqu’à spécifier le temple de Sérapis à Alexandrie comme l’un des lieux où ce prodige s’était vu.
Quant à l’art de diriger la foudre, que d’anciennes traditions attribuent aux Étrusques, M. Th.-Henri Martin, qui a approfondi la question, pense qu’il faut la rejeter complètement au rang des fables.
Quand l’Égypte fut devenue province romaine, l’école d’Alexandrie puisa dans ses traditions comme un renouveau de vie intellectuelle, mais son esprit ne tarda point à se modifier profondément.
Les anciennes religions, après avoir eu comme toutes choses, suivant l’heureuse expression de M. Boucherclercq [17], une jeunesse pleine d’énergie et de séduction, en étaient arrivées à cet âge de décrépitude où l’opinion les délaisse. Le christianisme naissant faisait de rapides progrès ; mais ses enseignements, basés exclusivement sur la morale, laissaient trop de côté les choses de l’intelligence, pour rallier à lui les philosophes ; les classes élevées de la société se défiaient de ces doctrines nouvelles, écloses dans un coin obscur de la Judée, qui se propageaient dans les misérables quartiers juifs des grandes villes, soulevant chez les conservateurs des craintes semblables à celles qu’engendre aujourd’hui l’Internationale. D’autre part, les vastes conquêtes des Romains avaient fait naître dans les esprits une tendance générale à l’éclectisme ; les différents cultes, sans cesse en contact par suite de l’abolition des frontières, avaient perdu le caractère exclusif et local qui les caractérisait dans l’origine ; ils s’étaient fondus par la force même des choses les uns avec les autres, produisant un panthéisme grossier, analogue à cette langue bâtarde que parlent les marins de la Méditerranée. De tous temps les philosophes ont été portés à considérer les religions comme devant suivre les évolutions des peuples et présenter, en quelque sorte à chaque instant, des résultantes de leur état social, le rôle des sages se bornant à les codifier et à les épurer. Telle fut l’opinion qui donna naissance à l’École néo-platonicienne, où l’unité de Dieu se dégageait au-dessus des divinités du paganisme transformées en puissances surnaturelles d’un ordre inférieur (démons) participant à la fois, et en proportions diverses, des perfections divines et des faiblesses humaines, répandues dans l’univers entier et présidant à tous les phénomènes de la nature. Ces idées écloses en Orient, Pythagore et son école les avaient admises pour la plupart ; après les avoir puisées aux mêmes sources, Platon les avait développées avec toute la puissance de son génie. Elles formèrent le fond de la doctrine commune à tous les philosophes alexandrins ; mais bientôt, chacun se laissant aller à son penchant particulier, on vit les savants se subdiviser en trois catégories.
Les premiers, conservant en partie les traditions de la vieille école, peu soucieux des vagues théories de la métaphysique, continuèrent à cultiver avec succès les sciences mathématiques ; tels sont : l’astronome Ptolémée ; Ménelaüs à qui l’on attribue l’invention de la trigonométrie ; Théon de Smyrne, auteur de la théorie des nombres ; Pappus, qui nous a conservé dans ses écrits beaucoup de fragments des mathématiciens plus anciens ; Diophante, inventeur de l’algèbre.
D’autres, s’emparant de l’art sacré que les prêtres, usant de leurs ressources suprêmes, s’étaient enfin décidés à divulguer pour confirmer les vues de Platon sur l’unité de la matière, se livrèrent, avec une ardeur sans pareille dans le silence des laboratoires, à la recherche des deux grands secrets dont la possession était l’idéal terrestre : l’art de transformer en or les substances les plus communes et celui d’animer la matière inerte, et, par suite, de donner l’immortalité. Qui peut dire s’ils n’étaient point soutenus dans leurs travaux par des observations, telles que l’action des ferments sur les matières organiques et la résurrection des rotifères au contact d’une goutte d’eau ? Le plus célèbre d’entre eux fut Zozime le Panapolitain.
D’autres enfin, s’abandonnant à un mysticisme sans limite, prétendirent entrer en relation avec les démons et arriver même par l’extase jusqu’à la communion directe avec Dieu. Plotin, Porphyre, Jamblique furent des thaumaturges comme Simon le Magicien et Apollonius de Thyane dont ils procédaient directement. Il est fort difficile de déterminer la nature des miracles dont ces philosophes, pour la plupart modèles de toutes les vertus, émerveillèrent leurs contemporains ; les jongleries, comme la science, y paraissent également étrangères et c’est peut-être chez eux qu’il faut chercher les premières manifestations positives de ces forces encore inconnues, sur lesquelles les expériences de M. Crookes et du docteur Charcot viennent d’appeler si vivement l’attention. L’école néo-platonicienne, après avoir brillé d’un vif éclat à Alexandrie pendant près de cent cinquante ans, se vit persécutée dans la seconde moitié du IIIe siècle. L’empereur Julien, l’un de ses adeptes, l’avait associée à son pouvoir ; il l’entraîna dans sa chute et les philosophes allèrent chercher un refuge à Athènes où les protégèrent quelque temps encore les vieux souvenirs de l’hellénisme.