L’un des fils de Lamarck, interrogé sur la famille de son père par Cuvier, qui préparait l’éloge qu’une mort soudaine l’empêcha de prononcer, s’excusait de ne pouvoir répondre convenablement aux désirs obligeants du secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. Lamarck avait brûlé sa généalogie sous la Révolution et ses enfants n’avaient jamais su rien de bien net du passé de leur maison.
Ils ignoraient, ce que bien d’autres ont ignoré comme eux, qu’une enquête sur les titres et privilèges, prolongée pendant les dernières années du XVIIe siècle, a jadis accumulé entre les mains des agents de la Couronne un amas énorme de documents généalogiques et que ces dossiers, encore augmentés depuis, sont venus former à Paris, sous la direction des d’Hozier, le célèbre Cabinet des titres.
Cuvier, autorisé par les Lamarck (c’était la règle alors) aurait pu compulser les copies authentiques de leurs papiers de famille et l’auteur de ces lignes a retrouvé et consulté à son aise tout ce qu’il a voulu de ce précieux assemblage de matériaux biographiques, le cabinet étant aujourd’hui libéralement ouvert à tous les chercheurs au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale.
L’examen de ces papiers nous apprend d’abord que le nom de Monet, qui est le nom de famille de Lamarck, a été largement disséminé en France et jusque dans plusieurs pays voisins. Il y a eu des Monet en Bigorre et à Paris, en Vermandois, en Boulonnais, en Calaisis. On en retrouve d’autres en Espagne et dans les états de la maison de Savoie.
Toutefois la plus ancienne de ces branches est établie dès la première moitié du XVIe siècle, aux environs de Tarbes. C’est celle d’où est directement issu notre grand naturaliste.
Dans cette partie du Bigorre vivait alors Laurent de Monet, époux de Marie de Cassagnès, dont le fils aîné, Étienne, s’unissait, par contrat du 15 août 1543, à Marguerite de Sacaze.
L’ainé des enfants issus de ce mariage, Pierre de Monet, écuyer, seigneur d’Asté, « guidon aux gendarmes de la compagnie du roi de Navarre », épousait par contrat du 15 mai 1563 Jeanne de Caussade. C’est lui qui a acheté en 1592 la terre de Saint-Martin en Bigorre, dont son frère aîné Étienne, deuxième du nom, a transmis le titre à sa branche, tandis que le cadet Joseph héritait de celui d’Asté qu’avait d’abord porté leur père. Et c’est Étienne II, qualifié de seigneur et parfois même de baron de Saint-Martin, qui a acquis par son mariage (17 mai 1612) avec Marie de La Marque-Pontacq, fille « de noble Guillaume de la Marque, seigneur de Bretanihe et antres terres et de demoiselle Claude de Parron, son épouse », ce titre de la Marque devenu Lamarck par une altération relativement récente et peut-être voulue et que devait illustrer à jamais le rénovateur des sciences naturelles.
Étienne II sert comme a servi son père, et le Roi « désireux de recognoistre les bons, fidelles et agréables services que le sieur de Saint-Martin de Bigorre lui a ci-devant rendus et rend journellement », lui accorde par brevet du 3 juin 1621, donné au camp devant Saint-Jean-d’Angely, une pension annuelle de 2000 livres.
Son testament anticipé, rédigé l’année suivante, renferme une clause montrant qu’il est dès lors propriétaire, par la mort de ses beaux parents, de la maison de Lamarque « ensemble la dixme de l’abbaye dudit lieu ».
Étienne II eut une grande famille et c’est le dernier de ses fils, Philippe, venu au monde le 25 mars 1628, qui a fondé la maison des Monet-Lamarque de Picardie en 1656. Possédé de cet esprit d’aventure que nous retrouverons à diverses reprises dans sa descendance et chez notre Lamarck lui-même, Philippe était sorti de son pays fort jeune et en bas âge, comme il l’a déclaré lui-même, « pour prendre le party des armes ».
Il était devenu capitaine-major au régiment d’Aboville sous le nom de Philippe de la Marque et quand il s’est marié, en juin 1656, il ignorait le véritable nom de sa famille et le prénom même de son père qu’il croyait s’appeler La Marque et il a désigné sa mère dans son contrat sous son deuxième nom de Pontacq déformé en Pontaigne. C’est seulement douze ans plus tard que, mieux instruit des « titres et enseignements de sa maison », il a fait rectifier par déclaration notariée cet état civil inexact.
L’union qu’il avait contractée au château de Miraumont était un mariage militaire qui le faisait gendre du chevalier Alexandre de Fécamp, seigneur dudit lieu, Austruille, Reuillères, Morancourt, Formantel, etc., lieutenant-colonel au régiment d’infanterie de Monsieur le maréchal de Hocquincourt en garnison à Péronne, et veuf de dame Éléonore de Planquin.
Philippe est passé au fameux régiment de Rambures dès 1688 ; il a fait la campagne de Hollande, puis celle de Franche-Comté et, après la paix de Nimègue, on lui a donné l’ordre de Saint-Lazare et le gouvernement de la ville et citadelle de Dinan qu’il a gardé jusqu’en 1690. Il s’est alors fixé au Petit-Bazentin, entre Péronne et Bapaume, où, huit ans plus tard, il a marié son ainé, nommé comme lui Philippe, « chevalier, seigneur de Saint-Martin, de Bazentin, grand et petit, Hamel et du fief de Hochecocq, ancien capitaine au régiment de Feuquières » avec Madeleine, « fille de feu messire Henry de Lyonne, comte de Servan … , maréchal des camps et armées du Roy et de dame Françoise de Salvois, sa veuve » (1er mai 1648). Il venait d’être maintenu et gardé en qualité de noble et d’écuyer (13 septembre 1697) et l’on peut voir ses armes, assez compliquées, décrites tout au long à la page 93 de l’Armorial de Picardie, à la Bibliothèque nationale.
Le premier des Philippe de Monet est mort en 1708 à l’âge de 80 ans, laissant Philippe II déjà père de plusieurs enfants ; Philippe-Jacques, l’aîné (né le 16 février 1702) qui fut lieutenant au régiment de Conti-Infanterie, Charles-Alexandre, titulaire du fief de Hamel, Henriette, Magdeleine, Françoise, etc.
Philippe-Jacques épousait à vingt-cinq ans (4 juin 1727) Marie-Françoise de Fontaines, un peu plus âgée que lui ; fille de Charles de Fontaines, chevalier, seigneur de Chuignolles, Villiers, Rasse et autres terres et de dame Marie-Thérèse de Partenay [1]. Notre Lamarck fut le onzième enfant issu de cette alliance.
Les deux aînés de cette génération avaient l’un quinze et l’autre quatorze ans, lorsqu’il est tardivement venu au monde le 1er août 1744 (sa mère avait 44 ans) et l’on comprend quelle action énergique devait exercer sur ce jeune cerveau, préparé par une longue hérédité à la vocation militaire, l’exemple de ces grands frères partant l’un après l’autre pour les armées du Roi. Comme leur père, comme leur grand-père, comme deux bisaïeuls, comme deux trisaïeuls et d’autres encore ils devenaient soldats tour à tour et lui, voué au séminaire, dès sa naissance pour ainsi dire (on lui avait choisi pour parrain un chanoine de Péronne), comme deux de ses sœurs étaient toutes jeunes destinées au couvent, souffrait cruellement de cette contrainte, en poursuivant le cours de ses études au pensionnat des jésuites de Saint-Acheul.
On sait comment, au lendemain de la mort de son père, l’enfant de dix-sept ans s’échappait, comme autrefois Philippe son bisaïeul pour gagner l’armée du maréchal de Broglie où il se conduisait en héros à la journée de Villingshausen (16 juillet 1762). Ces faits sont bien connus et je ne m’y arrête que pour rapprocher de l’équipée pittoresque qui conduit notre jeune guerrier aux rives de la Lippe cette fugue non moins extraordinaire qui avait marqué cent vingt ans plus tôt les débuts de la vie agitée de son arrière-grand-père ; curieux exemple d’un atavisme bien spécial, qui s’est reproduit non moins accentué chez son fils André le marin.
Cette intéressante constatation n’est pas la seule que permette de faire cette généalogie de l’illustre naturaliste. Il ressort nettement, en effet, de l’analyse des éléments ethniques qui se sont combinés chez Lamarck, quelque chose de bien remarquable. Le Béarnais primitif s’est, en effet, successivement mélangé de Normand et de Dauphinois, et de sa mère il a reçu le meilleur sang de la vieille Picardie. Il tient à la montagne par les Monet pyrénéens et les Lionne subalpins, il tient à la mer par les Fécamp et les Saint-Valéry d’où sortent les Fontaines, il tient à la plaine par tous les autres, Picards, Flamands et Gascons, et l’on peut dire qu’il nous apparaît dans ce milieu familial, comme une véritable synthèse du génie national.
E.-T. Hamy (de l’Institut).