Les anciens savaient-ils remédier aux différentes infirmités de l’œil et, en particulier, aux défauts d’accommodation ?
Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, Pline nous renseigner dans son Histoire naturelle. Il donne une foule de recettes employées de son temps pour éclaircir la vue mais ne parle nulle-part de lunettes ou d’instruments ayant quelque analogie avec elles. Cependant, il nous apprend que les graveurs de pierres fines se reposent la vue en fixant un scarabée vert ou une émeraude ; que cette dernière pierre a une couleur fort agréable qui l’emporte sur le meilleur vert, qu’elle conserve toujours un doux éclat et reste transparente dans toute son épaisseur ; il raconte enfin que l’empereur Néron avait la vue faible et que, pour voir les combats de gladiateurs, il se servait toujours d’une émeraude de forme concave. Ce cruel tyran serait donc l’inventeur du monocle qu’il portait, sans doute, à la fois pour atténuer la vivacité des rayons solaires et pour avoir une vision plus nette.
Une chose est certaine, c’est que les anciens, n’ont pas connu les lunettes ; aucun auteur n’en parle ; pas plus d’ailleurs que les écrivains du début du moyen-âge. Les Chinois au contraire ont employé cet instrument de temps Immémorial.
On ne sait pas à quelle époque les bésicles ont paru en Europe pour la première fois, ni par qui elles ont été inventées. Tout ce qu’il y a de certain, c’est qu’elles existaient déjà en 1150,ainsi que Ducango l’a prouvé. Leur invention n’est donc pas due à Roger Bacon, mort en 1294, ni, au Florentin, Salvino degli Amati, son contemporain ; encore mons au moine dominicain Alexandre de Spina, mort en 1312, et au napolitain Jean-Baptiste Porta, mort en 1615. Les bésicles ne devinrent des objets courants qu’au début du XIVe siècle ; leurs lentilles furent d’abord taillées dans du cristal de roche ou dans des émeraudes incolores nommées alors comme aujourd’hui beryl, d’où le nom de bericles qui leur fut donné, puis bésicles par altération. Ce mot ne vient donc pas de bis oculi (deux yeux) comme on serait tenté de le croire et comme on l’a dit.
Les verres, ronds, étaient enchâssés dans des cercles de corne ou de métal. On parait d’abord avoir fixé les bésicles à l’aide d’un bandeau que l’on attachait derrière la tête. Plus tard on imagina de réunir les deux verres par une monture à cheval qui se fixait sur le nez, comme le pince-nez moderne. Il y avait aussi des bésicles montées comme des loupes avec un cercle et un manche. Des portraits, du XVIe siècle montrent des personnages le nez chaussé de bésicles.
On portait les besicles suspendues au cou ou à la ceinture, dans la poche et quelquefois même dans les livres d’heures où une place leur était réservée par le relieur. Elles étaient renfermées plus habituellement dans des étuis. Quelques-uns ayant une véritable valeur artistique figurent aujourd’hui dans les musées et dans les collections particulières. Nous donnons deux intéressants spécimens de ces riches étuis, l’un, en fer gravé, est un travail allemand, de la fin du XVIe siècle, et l’autre du XVIIIe siècle, en bois curieusement et élégamment fouillé.
Le premier devait être suspendu à la ceinture, le second se portait peut-être dans la poche du gilet.
De la fin du XVIIIe siècle à nos jours, la monture des lunettes a toujours été en s’allégeant ; les verres, au lieu d’être circulaires sont généralement elliptiques. Leur emploi s’est généralisé en raison de la diffusion de l’instruction, la myopie étant de plus en plus répandue dans les milieux scolaires.
Suivant les allures qu’on veut avoir, le monde dans lequel on vit, on porte aujourd’hui les lunettes, le pince-nez, le monocle ou l’on se sert d’un face-à-main, Sans parler des gens à myopie intense qui emploient une loupe pour lire leur journal. A cette catégorie, si nombreuse des myopes, des hypermétropes et des presbytes se joignent les gens qui ont la « vue tendre », redoutent les rayons solaires et emploient des verres colorés, les ouvriers de beaucoup de professions que sont, pourvus de lunettes spéciales en mica ou en verre avec toiles métalliques, enfin les derniers venus, les « chauffeurs » avec leurs lunettes si gracieuses surmontant l’élégant accoutrement que l’oit sait. En somme, tout le monde aujourd’hui est plus ou moins « lunettier » ; on porte lunettes un peu à tort et à travers sans tenir compte du précepte si sage : « Mettez toujours un oculiste entre votre œil et vos lunettes ». Les infirmités de l’œil sont si nombreuses et si variées : impressionnabilité excessive à la lumière, atonie des muscles oculaires, défauts d’accommodation, dissymétrie de la courbure des milieux, etc. etc., que la recommandation n ’est pas superflue. S’il ne faut avoir aucune répugnance pour l’usage des lunettes quand la vision s’altère, il ne faut choisir celles qui conviennent qu’avec l’aide d’un spécialiste.
Le monocle présente de nombreux inconvénients sur lesquels il est inutile d’insister. Le pince-nez, quand il est mal assujetti, complique les effort nécessaires à la vision nette. La meilleure monture est celle qui maintient les verres à une bonne distance de l’œil et dans une position fixe.
Les verres colorés sont très utiles pour les personnes qui supportent péniblement la lumière vive ; tout le monde est d’accord là-dessus, mais quand il s’agit de savoir quelle couleur convient le mieux ; l’accord est trouble.
La plupart des oculistes conseillent d’employer le gris de fumée qui éteint en masse la lumière ; à la condition de n’être que légèrement teinté et d’être absolument pur de toute nuance violette, ou bien encore le bleu qui exclut l’orangé et les rayons chimiques mais qui a l’inconvénient de laisser passer le rouge, c’est-à-dire les rayons chauds.
Le vert a ses partisans ; s’il laisse passer les rayons jaunes et oranges, il exclut complètement le rouge et le violet, rayons calorifiques et rayons chimiques. M. Henri de Parville, qui est partisan du vert, rappelle à ce propos à quel point l’œil aime à se reposer sur la verdure des bois et des jardins, Le vert est au milieu de la gamme lumineuse pour ses vibrations ; c’est un juste milieu.
Melsens, le célèbre chimiste belge, a préconisé les lunettes à verres dorés ou argentés. Blessé par l’explosion d’un ballon qui contenait une préparation chimique, sa vue devint d’une sensibilité si grande que la moindre lumière était douloureuse pour lui ; il avait une véritable photophobie. Il se servit d’abord sans succès, pour protéger ses yeux, des lunettes des mécaniciens des trains de chemin de fer. Il eut ensuite recours aux conserves à verre d’un bleu pâle, dont il eut l’idée de faire couvrir la surface d’une simple feuille d’or appliquée mécaniquement.
La lumière transmise par ces lunettes dorées est d’une douceur toute particulière. En les dirigeant vers les nuages éclairés par le soleil il voyait plus nettement que d’ordinaire tous les contours de ces nuages et les transformations successives qu’ils subissaient. On emploie quelquefois un verre opaque pour annuler l’un des deux yeux quand il nuit à la vision en doublant l’image, ou bien quand il oblige l’œil opposé à une convergence excessive, cause de tiraillements nuisibles. Dans certaines taches de la cornée, on se sort d’écrans perforés qui excluent une partie des rayons lumineux.
On a conseillé quelquefois d’employer des verres ronds ou en coquilles pour mieux garantir l’œil. Wollaston a imaginé les verres périscopiques
Lorsqu’on se sert de lunettes, les images subissent des déformations dès qu’on ne regarde pas les objets droit en face, mais plus ou moine de côté. Pour avoir des images nettes, on est donc forcé de renoncer pour ainsi dire aux mouvements, associés de latéralité des yeux et de les remplacer par des mouvements de la tête.
Les verres périscopiques sont destinés à obvier à cet inconvénient, ils ont la forme de ménisques à surface convexe dirigée vers la lumière et à surface concave tournée du côté de l’œil : la forme la plus avantageuse du ménisque varie avec les différentes lentilles.
Terminons par une dernière invention. De même que Marconi a imaginé la télégraphie sans fil, un Anglais vient d’inventer les lunettes… sans verres. On sait qu’en photographie l’emploi d’un diaphragme contribue à donner plus de netteté à l’image, surtout si l’objectif est défectueux ou si son ouverture est trop grande. M. Andrews a songé à appliquer le principe du diaphragme à l’œil humain. Avec l’âge, sa vision devenant confuse. il s’est fabriqué des lunettes constituées par deux petites plaques métalliques percées chacune d’un trou ayant lin demi-millimètre de diamètre, Il affirme qu’avec cet appareil, il peut se passer complètement des lunettes ordinaires qu’il a l’habitude de porter. Voilà une méthode qui ne ferait pas l’affaire des opticiens si elle se généralisait.
A. Angerville