Nous avons examiné l’emploi des parfums dans les cérémonies religieuses et funéraires, dans les banquets ; il nous reste encore à parler de leurs usages en médecine et dans la toilette.
Criton, Galien et Hippocrate avaient placé les parfums parmi les médicaments. Ce dernier, ayant vainement épuisé tous les moyens pour chasser la peste d’Athènes, fit suspendre des fleurs odorantes à la porte de toutes les maisons, brûler des aromates dans tous les carrefours et eut raison, paraît-il, du fléau.
N’oublions pas, avant de nous moquer de ce procédé primitif, qu’à Toulon, lors de l’épidémie de choléra de 1883, pour compléter les mesures hygiéniques adoptées, on fit brûler au coin de toutes les rues des bois résineux, du pin et surtout du genévrier.
Pline, dans son Histoire naturelle, nous donne 80 remèdes tirés de la rue, 41 de la menthe, 25 du pouliot, 41 de l’iris, 43 de la rose, 21 du lilas et 17 de la violette.
« Les médecins pourraient, dit Montaigne, tirer des odeurs plus d’usage qu’ils ne font, car j’ai souvent aperçu qu’elles me changent et agissent en mes esprits suivant qu’elles sont. »
La croyance que l’on purifie l’air en y répandant des parfums est générale et, en somme, fort naturelle. Leur présence n’aurait-elle pour résultat que de masquer l’odeur désagréable de miasmes qu’elle serait déjà des plus précieuses ; mais qui nous dit qu’elle n’exerce pas une action spéciale sur les miasmes, c’est-à-dire les gaz malsains d’odeur infecte ? Peut-être les parfums opèrent-ils une sorte de réduction sur les fluides malfaisants. Dans tous les cas, et c’est là l’essentiel, ils ne sont pas favorables au développement des microbes.
Toujours est-il que lors des diverses invasions de choléra, on a remarqué que les ouvriers parfumeurs de Londres et de Paris ont été complètement indemnes.
Les villes du moyen âge ne devaient guère briller par leur propreté : la boue séjournait dans les ruelles, le système des égouts était rudimentaire ; les odeurs qu’on y respirait en été devaient être dépourvues d’agrément. Aussi comprend-on la nécessité d’avoir toujours sur soi un moyen de combattre les miasmes ; de là l’usage, dans la noblesse et la bourgeoisie, des flacons d’odeur, des cassolettes et des pommes d’ambre. Si les parfums sont moins répandus aujourd’hui qu’autrefois, du moins en Europe, c’est parce que les progrès de la propreté en ont diminué l’utilité.
Les monuments de l’ancienne Égypte nous montrent que les cassolettes furent employées dès la plus haute antiquité. Les élégantes, à la promenade, tenaient souvent à la main un bouquet artificiel dont chaque fleur cachait une cassolette ou un flacon d’essence. Inutile de dire que la fleur de lotus était la forme donnée de préférence à ces récipients.
Les Assyriens, très avancés dans la préparation des parfums, plaçaient les onguents dans des boîtes d’albâtre , les essences, dans des flacons de cristal aux couleurs brillantes. Le Musée britannique possède quelques exemplaires de ces vases qui datent de trente siècles.
En Grèce, on enfermait les parfums dans de petits vases sans anses, nommés alabastres, Ils étaient souvent en albâtre, mais aussi en verre, en onyx, en agate, et même en or ou en argent ornés de délicates ciselures. Affectant la forme d’une fleur ou d’un fruit, ils étaient un accessoire indispensable de la toilette féminine.
Les Romains reçurent des Grecs cet amour des parfums. Dans leurs établissements de bains si perfectionnés, les huiles de senteur employées pour masser étaient contenues dans des ampoules spéciales, les onguents dans des étuis d’ivoire (narthecium). Dans le peuple, on plaçait les substances odorantes dans de petites coquilles dorées ; les patriciennes enfermaient leurs essences dans de riches flacons d’albâtre, d’onyx ou d’autres matières précieuses.
Les parfums coûtaient fort cher ; alors comme aujourd’hui certains se vendaient jusqu’à 300 deniers la livre, soit près de 800 francs le kilogramme. Horace dit qu’une petite fiole d’onguent au nard égale en valeur une grande amphore de vin, et trouve qu’on ne saurait payer plus galamment son écot qu’en en présentant une à son hôte.
Nous retrouvons au moyen âge l’usage des cassolettes. Dans l’inventaire des ducs de Normandie (1366), il est question de « deux petites boules de cristal à mettre basme » et « d’une navette dorée à mettre encens », Dans celui des ducs de Bourgogne, on parle d’une petite boistelecte d’argent à mettre cyvecte ».
Pour les parfums solides on employa surtout aux XVe et XVIe siècles, les pomandres ou pommes d’ambre. C’étaient de petits bijoux de forme ordinairement sphérique, formés de deux hémisphères superposés réunis à vis, ou par une douille qui les traversait complètement. L’hémisphère supérieur, finement travaillé, présentait, dissimulés parmi les ciselures et les filigranes, des ajours délicats par lesquels s’échappaient les émanations du musc, de l’ambre gris ou des autres aromates que renfermait le bijou. Dans l’inventaire de Charles V (1379), plusieurs sont indiquées, entre autres « une pomme d’ambre garnie de trois bandes d’or ;… une chose d’or, plaine d’ambre, ouvrée à la morisque », etc. Les comptes royaux de 1528 mentionnent « trois pommes rondes à mettre senteurs, en chascune desquelles y a ung mirouer et ung caderan ».
En Orient, où elle a sans doute pris naissance, la pomme d’ambre, employée encore aujourd’hui, est plus grande et les femmes la roulent du pied nu sur le tapis.
Avec Henri III, la folie des parfums atteint son maximum ; ce roi efféminé portait toujours un collier de cassolettes minuscules. Henri IV préférait l’odeur de la poudre à celle des aromates, mais tel n’était pas le goût de Gabrielle d’Estrées, qui possédait parmi ses bijoux : « deux chaînes de parfums, six boutons d’or et de diamants pleins de parfums, un bracelet d’or à plusieurs senteurs, une poire de parfums et une main de parfums garnie d’or » (Inventaire 1599).
A partir du XVIIe siècle, d’ailleurs, les parfums ne sont plus guère employés que par les femmes. Les cassolettes sont alors de petits bijoux dans lesquels on enferme une petite éponge imbibée de parfums et qu’on peut tenir à la main ou porter attachés à la ceinture par une chaînette. Leurs formes suivent les fluctuations de la mode et les modifications successives des styles. Quelques-uns sont pourvus d’un petit mécanisme ingénieux comme celui que nous reproduisons.